L’archevêque de Paris propose à ses diocésains « quelques réflexions » publiées par l’hebdomadaire Paris Notre-Dame.* Nous ne saurions trop conseiller à tous nos lecteurs d’en prendre connaissance et d’y réfléchir longuement. En effet, le cardinal Lustiger s’interroge sur la prétendue « fin du christianisme en France » qu’une rumeur médiatique ne cesse d’annoncer, au nom d’une improbable sociologie religieuse. Ceux qui suivent attentivement la pensée du Cardinal savent que ce thème lui est familier depuis toujours et que rien de ce qui concerne le développement urbain et la pastorale qu’il requiert ne lui est étranger. Depuis les années soixante, il a observé la fin de la civilisation rurale, la constitution des mégalopoles, s’inspirant, par exemple, des travaux d’un Henri Lefebvre, l’un des philosophes contemporains qui a le mieux mis en évidence les conséquences de la révolution urbaine et de la modification de l’espace. Le pasteur méditait, à partir de là, sur les conséquences de la fin d’une chrétienté.
Il est certain, en effet, que la France rurale de la première partie du XXe siècle avait été intimement façonnée par le christianisme. La disparition de cette ruralité majoritaire correspondait nécessairement à un éclatement de la sociabilité chrétienne. « La famille ne transmet plus la foi ni les mœurs comme elle le faisait naguère, les écoles catholiques n’ont plus le même statut, les prêtres d’origine urbaine sont dix fois moins nombreux que ceux formés jadis par les petits séminaires, la pratique dominicale qui n’est plus portée par la pression sociale devient minoritaire et mouvante, la culture chrétienne s’efface des mémoires. Nous en sommes aujourd’hui à la troisième génération d’après la rupture avec l’ancien monde chrétien. » Tous ces signes impressionnants de déchristianisation n’annoncent pas pour autant la fin du christianisme. Bien au contraire, la persistance d’un noyau de 5 à 10 % de pratique religieuse s’inscrit dans la continuité du noyau fervent d’autrefois. Mais ce noyau n’entraîne plus le même sillage qu’hier. Le Cardinal emploie une image forte pour illustrer le phénomène, celle d’une comète avec sa traînée. La « traînée » a disparu de l’espace, sans toutefois qu’on ne puisse repérer des éléments disposés à se raccrocher au noyau.
Car le cardinal Lustiger – que l’on pardonne cette expression incongrue – sait que la planète France n’est pas peuplée de Martiens. Les hommes et les femmes d’aujourd’hui ont, au cœur, les mêmes aspirations, ils sont marqués par les mêmes blessures. L’Evangile du Christ correspond, aujourd’hui comme hier, à leur plus profonde attente, c’est pourquoi l’évangélisation, loin d’être la tâche impossible que l’on nous prédit, est au contraire la plus urgente et la plus attendue. Le plus grand péril consisterait, en prenant prétexte de l’universel changement, à trahir le fond du message au nom d’une politique « d’adaptation à la demande ». Les chrétiens doivent se pénétrer du sentiment que moins que jamais il ne convient de construire leur maison sur le sable. A la foule affamée et assoiffée de nos villes, ce n’est pas l’illusion ou l’ersatz qu’il faut faire passer en contrebande. C’est le pain et le vin de la Parole et de la Vie qu’il faut offrir au nom de la sollicitude de Dieu.
Gérard LECLERC