Le bras de fer qui oppose les syndicats au gouvernement sur le dossier des retraites est significatif de notre situation morale et historique. La France, comme l’Europe dans son ensemble, vieillit. Etant dans l’incapacité de pourvoir au remplacement des générations, elle se trouve nécessairement aux prises avec un déséquilibre démographique massif, dont l’impossibilité d’assurer le financement des retraites n’est que le symptôme le plus voyant. Et pourtant, notre pays se distingue par un relatif relèvement des naissances qui lui assure une place enviable, par rapport à des pays comme l’Espagne et l’Italie, qui sont de vieille tradition catholique… Mais, ainsi que le remarque Roland Hureaux, dans une remarquable tribune libre de Libération, les Etats-Unis nous précédent sur la voie du relèvement. Alors que “tous les pays de la planète s’engagent dans le mouvement de baisse de la natalité, la France et les Etats-Unis donnent le signal d’un renversement de tendance” (12 mai 2003).
L’immigration constitue actuellement l’autre coordonnée de l’avenir des pays développés. Elle compte beaucoup aussi pour les Etats-Unis dont le renouveau est lié à la venue massive de latino-américains. Nous savons que le visage de la France est en train de se transformer. Certains analyses font état de la présence sur notre sol de cinq à six millions de personnes d’origine musulmane. Y en aura-t-il dix millions dans un quart de siècle ? Ce n’est pas impossible. A l’heure où on parle Constitution européenne, on oublie un peu vite le fait massif de l’existence d’un Maghreb forcément tourné vers l’ancienne métropole, et dont la population jeune ne conçoit pas son avenir autrement qu’associé à la France. De ce point de vue, le voyage de Jacques Chirac à Alger a été hautement symbolique, et la prise de conscience qui se crée (à l’occasion de l’année de l’Algérie) d’une double appartenance culturelle devrait faire réfléchir.
L’historien Alain Besançon exprimait récemment sa crainte. Pour lui, le péril culturel venait moins de l’importation d’une population pauvre que du changement qui interviendrait avec la prépondérance d’une élite musulmane. Il est certain que, s’agissant d’un tel enjeu, notre belle laïcité républicaine pourrait s’avérer aussi efficace qu’autrefois la ligne Maginot. Certes on peut apporter à ce diagnostic pessimiste la réalité d’une mutation profonde des jeunes d’origine maghrébine. Devenus Français, ils ne sont plus les mêmes. La confrontation à une civilisation d’origine catholique ne les laisse pas indemnes… Ce qui est sûr, c’est que notre devenir n’est pas fixé à l’avance. Il dépend aussi, et largement, du dynamisme des chrétiens. Sauront-ils faire la preuve de la nouveauté toujours jaillissante de leur foi et d’un dynamisme de leur Espérance ?
Gérard LECLERC