Notre Semaine sainte, cette année, s’inscrit dans un climat de guerre qui nous incite à entrer au cœur même de ce grand passage accompli par le Christ. Car ce n’est pas un jugement proprement politique, ni même historique, qui s’offre en ces jours à notre conscience, bien que nous n’excluions nullement la possibilité d’y revenir et de l’approfondir. C’est tout simplement ce qu’un grand théologien appelait « la dramatique divine », c’est-à-dire un affrontement avec la souffrance et avec la mort que le Fils de Dieu n’a pas voulu écarter, s’offrant totalement, dans l’obéissance à son Père, à l’œuvre du salut. Plutôt que de vouloir faire une théologie de l’histoire, il nous importe plus, en ces jours, de contempler la Passion du Seigneur pour mieux saisir à quel point chaque homme dans sa singularité est atteint par la grâce rédemptrice.
Qu’on nous pardonne, mais des événements actuels nous ne retiendrons que l’élément dramatique, celui qui fait pleurer les mamans irakiennes ou les mères de G.I., de tous les morts de cette guerre. Et la vision terrible des hôpitaux, avec leurs cortèges ininterrompus de blessés, le courage des médecins harassés dans leur dénuement, le scandale incroyable d’une anarchie qui va jusqu’au pillage des sanctuaires de la souffrance et de l’humanité brisée, c’est d’abord cela qui étreint nos cœurs et crie vers le ciel. On aura beau nous expliquer que tout cela est le lot inévitable d’une histoire tragique de part en part et que c’est le prix à payer pour une libération future, un monde plus juste, et au terme une Histoire sans histoires (la fin de l’Histoire selon Hegel, Kojève et Fukuyama). Cela ne marche pas. Rien ne justifiera jamais le massacre des enfants, les familles décimées et la torture des corps déchirés.
Ce que nous supplions le ciel de nous expliquer, c’est cette dramaturgie insupportable. Tout cela a-t-il vraiment un sens ? Notre foi pascale nous commande, sans rien retrancher du scandale qui nous révolte, de suivre le Christ sur la voie douloureuse jusqu’au Golgotha. Car Lui ne nous fait pas tout un discours sur la souffrance, et il ne la justifie même pas. « Tu ne voulais ni holocaustes, ni sacrifices, alors j’ai dit : Me voici. » Et cette via crucis concerne tous les hommes, de toutes les époques. Vatican II nous l’a rappelé en termes extrêmement forts : « L’Eglise croit qu’il n’est pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes par lequel ils doivent être sauvés. Elle croit aussi que la clé, le centre et la fin de toute histoire humaine se trouve en son Seigneur et Maître. » Et encore : « Par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni Lui-même à tout homme. » Ceci nous explique qu’à la suite du Christ chaque homme est appelé à la Pâque, au grand passage à la Vie.
Gérard LECLERC