La guerre est devant nos yeux, avec ses images terribles. Nous ne pouvons que faire des vœux fervents pour qu’elle soit la plus brève possible. Il semble que l’armée irakienne oppose une résistance sérieuse à la puissance américaine et que cette dernière répugne, pour le moment, à un choc trop frontal avec la défense des grandes villes du pays. Le président George W. Bush lui-même annonce que le conflit armé pourrait être plus long que prévu. Quoi qu’il en soit, les Etats-Unis remporteront cette bataille. Déjà Bagdad est en vue, symbole de la fin d’un régime. Au demeurant, que peut faire un pays de 23 millions d’habitants devant la première puissance mondiale ?
Pourtant, si la défaite de Saddam Hussein peut être certaine, la victoire américaine demeure problématique. Que l’on se souvienne de l’énigmatique parole évangélique (Mt 12, 43, 45) : quiconque estime s’être libéré d’un esprit mauvais risque d’être envahi par sept autres esprits plus méchants que lui, « et l’état final de cet homme devient pire que le premier. » Certes nous n’interpréterons pas ce texte en termes fondamentalistes, car il demeure rebelle à toute explication trop étroite et définitive. Par ailleurs, l’action armée est, dans des circonstances précises, parfaitement justifiée. Il fallait délivrer l’Europe de la domination nazie. Et nous ne pouvons que rendre grâce pour le débarquement des Alliés sur les côtes normandes.
Il arrive que la guerre apporte une solution illusoire, alors qu’on la croyait indispensable. Que l’on se souvienne de l’invasion du Liban par les troupes israéliennes. C’était en 1982. Déjà les dirigeants israéliens pensaient modifier de fond en comble l’équilibre politique de toute la région. L’affaire commença dans les meilleures conditions, Tsahal acclamée par les chrétiens de Beyrouth, libérés d’Arafat et des Syriens. Au total, ce fut le fiasco. Quand Israël quitta la dernière partie occupée du territoire libanais, aucun de ses buts de guerre n’avait été atteint, le départ de l’Organisation de Libération de la Palestine de Beyrouth pour Tunis ne signifiant nullement la défaite d’Arafat.(1)
Il est vraisemblable que les Américains connaissent une mésaventure équivalente en Irak. Certes, ce pays aura été débarrassé de Saddam Hussein. Ses difficultés n’auront pas disparu pour autant. L’administration américaine n’aura aucune indulgence de la part de la population et il lui faudra arbitrer des conflits qui la dépasseront (avec les Kurdes, avec les chiites). Certes, il faudra coaliser toutes les forces possibles en faveur de l’instauration d’une paix durable. Les traumatismes de la guerre devront être surmontés. Mais la construction d’un avenir durable exigera bien autre chose que la logique simpliste et meurtrière des bombardements et de l’agression d’une population pauvre et impuissante.
Gérard LECLERC