2860-En souvenir d'une utopie - France Catholique
Edit Template
Le martyre des carmélites
Edit Template

2860-En souvenir d’une utopie

Copier le lien

Ivan Illich a au moins réussi à imposer un nouveau mot à la langue française ; celui de convivialité. Ce n’est pas une médiocre performance. « Je considère que la convivialité c’est la liberté individuelle réalisée dans une interdépendance mutuelle et personnelle et ayant, comme telle, une valeur éthique intrinsèque. Je crois que sans convivialité la vie perd son sens et les hommes dépérissent. » L’homme qui écrivait cela, il y a trente ans, n’oubliait sans doute pas qu’il demeurait marqué par la grâce du sacerdoce, même s’il n’exerçait plus son ministère, sans vouloir rien renier de ses vœux et de sa foi. Nous ne pouvons oublier qu’il avait conçu son grand projet social alors qu’on lui avait donné la charge d’une paroisse portoricaine à New York. C’est d’abord la charité la plus concrète qui l’avait mis en recherche de nouveaux rapports interpersonnels pour protéger les pauvres de la violence d’un univers qu’il qualifiait de productiviste.

La violence, il l’avait expérimentée très jeune, lui natif de Vienne en Autriche, d’un père dalmate de confession catholique et d’une mère allemande d’origine juive. C’est pour échapper au nazisme qu’il avait émigré aux Etats-Unis. Il avait d’ailleurs regagné l’Autriche, où il est mort la semaine dernière, consacrant ses dernières années à l’enseignement, fidèle aux convictions qu’il s’était forgé en considérant le sort des populations d’Amérique latine. Il a fallu une page du Monde pour ranimer sa mémoire, tant son nom, qui avait suscité un débat intense autrefois, était devenu quasiment inconnu aux jeunes générations.

Nous ne pouvons oublier que c’est notre ami Jean-Marie Domenach, alors qu’il était directeur d’Esprit, qui avait employé toutes ses énergies à faire connaître les analyses et les propositions d’Ivan Illich. C’était à un moment où la société et l’esprit public, ébranlés par la crise des années soixante, s’interrogeaient sur leur avenir. Illich avait le mérite de refuser la dictature des idées reçues, pour réfléchir à frais nouveaux aux questions les plus aiguës, qu’elles concernent les rapports économiques, la santé, l’école. Son radicalisme l’amenait à vouloir inverser les institutions, non pas pour les remettre à on ne sait quelle bureaucratie ou classe révolutionnaire, mais pour leur redonner un sens qui soit celui des grandes finalités humaines.

On a fait des objections justifiées aux propositions, d’évidence utopiques, d’Ivan Illich. Le fait qu’elles aient été « oubliées » ces dernières décennies semble prouver de leur part une certaine impuissance à infléchir le cours de l’histoire. Pourtant, l’actualité ne cesse d’apporter de nouveaux avertissements : menaces contre l’équilibre écologique, appauvrissement des populations défavorisées, désenchantement face aux promesses illusoires d’une nouvelle économie. Dans ce contexte, Yvan Illich devrait continuer à nous stimuler, pour sortir de nos impasses.

Gérard LECLERC