Les gens de la rue sont en deuil. Leur frère Patrick s’en est allé. Sa haute silhouette et son bon sourire n’apparaîtront plus à l’heure des pires détresses. Combien de jeunes brisés par la vie n’aura-t-il pas accompagnés, porteur infatigable de l’espérance ? Patrick Giros était là pour consoler lorsqu’il n’y avait plus d’espoir, plus de famille, plus d’amis. Il tendait la main à ceux qui allaient mourir seuls sur un coin de trottoir à Paris. Oui, à Paris ! Il existe, expliquait-il, entre Beaubourg, le Châtelet et la porte Saint-Denis, un triangle terrible dans la capitale, qui ne se caractérise pas seulement par la prostitution. On vient de toute la région parisienne, et même d’ailleurs, dans ce triangle, lorsqu’on n’a plus rien : ni ressources, ni attaches humaines, ni secours social. On vient, disait-il, pour mourir.
Lui le savait parce qu’il connaissait tout le monde, toutes les détresses cachées et surtout celles qu’on ne veut pas voir. J’ai connu le père Patrick Giros en 1983, lorsqu’il fut nommé par le cardinal Lustiger à l’Eglise Saint-Leu/Saint-Gilles, au cœur du Triangle précisément. J’avais été frappé par le caractère atypique de cette paroisse qu’il dirigeait, entouré de plusieurs prêtres, d’une communauté de religieuses dominicaines et d’une foule d’hommes et de femmes plus attachants les uns que les autres, très souvent impliqués dans des œuvres d’entraide pour les détresses qui entouraient cette très belle église. Dans cette église, on priait avec ferveur et avec splendeur. J’ai souvent assisté aux veillées pascales, qui commençaient par la bénédiction d’un feu nouveau dans la rue Saint-Denis. C’était magnifique d’entendre annoncer la Résurrection dans ce cadre, au milieu du commerce du sexe, des touristes ébahis. Tandis que la veillée se poursuivait dans le sanctuaire, il était courant qu’un clochard quelque peu perturbé et hagard vienne troubler l’assemblée, rappelant que décidément, ici, on ne pouvait rester indifférents aux drames qui se déroulaient aux alentours. On priait avec d’autant plus de ferveur, et on écoutait les homélies du père Giros, qui se signalaient par une belle profondeur spirituelle et théologique. Car Patrick n’était pas n’importe quel “travailleur social”. C’était d’abord un prêtre, qui ne concevait sa présence auprès des plus démunis que comme un témoignage de la tendresse de Dieu.
Il avait fondé une association dont le nom biblique était tout un programme : “Aux captifs la libération”. Depuis toujours il savait que l’humanité est en attente de libération et que les handicaps les plus lourds, physiques, psychologiques, moraux, constituaient autant d’entraves que seule la grâce du Seigneur pouvait faire céder. Dans la personne la plus blessée, chez le drogué mortellement atteint, il voulait susciter la certitude du salut et réveiller la soif de la Vie. Cher Patrick, tu laisses une grande œuvre derrière toi ! Tu continueras à l’accompagner du ciel et il est impossible que ton appel ne retentisse pas toujours plus fort pour annoncer la libération de l’Amour.
Gérard LECLERC