Au seuil d’une nouvelle saison de travail, si nous essayons de jeter un regard sur l’objet de nos réflexions et de nos engagements dans ce journal, c’est naturellement à la lettre apostolique écrite par Jean-Paul II au terme du grand Jubilé de l’an 2000 que nous nous référons. Tout y est formulé avec une grâce singulière qui rejoint nos soucis quotidiens et les réfère à notre marche commune vers le salut ! Le merveilleux dynamisme de cette lettre ne s’explique que par la claire conscience de la mission de l’Eglise en ce monde et de son secret qui réside dans la fidélité à son Seigneur. Avant toute prospective, toute programmation après inventaire des tâches de l’évangélisation et du service du prochain, l’Eglise se recentre sur le Christ et contemple son visage : « Au terme du Jubilé, tandis que nous reprenons le chemin de la vie ordinaire, conservant en nous la richesse des expériences vécues en cette période toute spéciale, notre regard reste plus que jamais fixé sur le Seigneur. »
C’est le préalable de tout. Lors du dernier consistoire des cardinaux réunis à Rome, le cardinal Martini, archevêque de Milan, a beaucoup surpris les observateurs, en centrant son intervention sur la lectio divina, c’est-à-dire sur la méditation de l’Ecriture telle qu’elle est pratiquée dans un esprit de contemplation. Les précédentes interventions de l’archevêque de Milan en d’autres circonstances laissaient présager un vaste plan de refonte institutionnelle de l’Eglise, conformément aux grandes tendances du monde contemporain. Et voilà qu’il semble délaisser tout cela au profit de cette contemplation incessante qui définit le cœur même de l’Eglise ! Il y a là de quoi réfléchir. En son temps, le père Congar avait parlé des vraies et fausses réformes dans l’Eglise. Car si celle-ci a toujours à se réformer, elle ne peut le faire que dans la fidélité intégrale à l’Esprit de son Seigneur, en répudiant les tentations récurrentes d’alignement sur le monde et ses prestiges.
Certes, il ne s’agit pas pour elle de répudier ce monde – même s’il recèle, selon les avertissements de l’évangile de saint Jean, une tendance à se prendre idolâtriquement pour sa propre fin. Il s’agit de l’aimer suffisamment pour qu’il soit traversé des énergies du salut. Le premier mouvement des chrétiens est de se référer à l’amour de Dieu pour le monde, afin de mieux servir celui-ci, en percevant mieux ses attentes, ses blessures et jusqu’au travail de l’Esprit Saint en lui. Ainsi, il n’est pas possible de se tromper d’espérance. Hier, certaines philosophies de l’histoire voulaient nous imposer l’idée de la nécessité de nous soumettre à la loi immanente du Devenir et du Progrès. D’où le caractère souvent ambigu des divers projets d’ouverture au monde, même s’ils avaient le mérite de rendre plus attentifs à certaines réalités et certaines évolutions.
Aujourd’hui, le Pape nous le dit clairement : « Il ne s’agit pas d’inventer un « nouveau programme ». Le programme existe déjà : c’est celui de toujours, tiré de l’Evangile et de la Tradition vivante. Il est centré, en dernière analyse, sur le Christ lui-même, qu’il faut connaître, aimer, imiter, pour vivre en lui la vie trinitaire et pour transformer avec lui l’histoire jusqu’à son achèvement dans la Jérusalem céleste. C’est un programme qui ne change pas avec la variation des temps et des cultures, même s’il tient compte du temps et de la culture pour un dialogue vrai et une communication efficace. Le programme de toujours est notre programme pour le troisième millénaire. »
Un tel programme retrouve le souci qui imposa au concile Vatican II de considérer en premier lieu la lumière du Christ à travers le mystère même de l’Eglise, puis dans un second temps de réfléchir à l’action transformatrice des chrétiens dans les réalités historiques concrètes. Après avoir longuement exposé ce que signifie aujourd’hui pour l’Eglise le mot d’ordre repartir du Christ, le Pape s’applique dans la dernière partie de sa lettre à définir comment les chrétiens doivent être aujourd’hui témoins de l’Amour dans les tâches qui les sollicitent de la façon la plus urgente. Il écrit notamment : « A partir de la communion intra-ecclésiale, la charité s’ouvre par nature au service universel, nous lançant dans l’engagement d’un élan actif d’amour envers tout être humain. » On reconnaît là toute l’intensité du commandement évangélique d’aimer tout homme, et d’abord le plus pauvre. Le Saint Père fait sien ensuite tout ce qui, depuis l’écologie et la recherche de la paix jusqu’à la défense des droits élémentaires de la personne, concerne l’humanité dans ce qu’elle a de plus blessé.
Il insiste sur l’engagement particulier qui concerne « certains aspects de la radicalité évangélique » qui sont souvent les moins compris, au point de rendre impopulaire l’intervention de l’Eglise. » Ainsi reprend-il son combat infatigable contre ce qu’il a appelé la culture de mort, et qui a pris d’année en année plus d’importance, au fur et à mesure que l’accroissement des moyens de domination de l’homme sur lui-même renforçait les dangers d’une profonde déshumanisation. On sait que c’est sur ce terrain que le Pape lui-même et l’Eglise sont souvent en situation isolée et que même ceux qui admettent une partie des avertissements à l’égard de la tentation prométhéenne ne sont pas décidés à se mettre résolument en opposition avec la transgression des principes les plus structurants. Nous le savons dans ce journal, où nous ne cessons de poursuivre le combat au fil d’une actualité qui ne cesse de nous provoquer.
Saint Augustin dans son grand livre sur La cité de Dieu nous a familiarisés avec cette idée que la cité séculière peut se refermer sur elle-même au mépris de Dieu. La leçon se prolonge dans notre civilisation actuelle avec une étrange insistance. A l’heure où certains voudraient nous faire participer, sans distance critique, à un mouvement de mondialisation qui se confondrait avec le dynamisme de la modernité, il est bon de nous rappeler l’ambivalence de l’histoire, dont les progrès s’accompagnent toujours de leur part peccamineuse. Les plus avertis des sociologues américains rejoignent sur ce point l’inquiétude des chrétiens. Nous n’avons pas à acquiescer à l’évolution moderne, comme hier on idolâtrait le sens de l’histoire séculière. La modernité est lestée d’un poids pathologique, qui se révèle à l’analyse de la meilleure observation. Le monde moderne est un monde à sauver. Notre journal n’a pas d’autre message à décliner que celui de l’Eglise ne cessant de refléter la lumière du Christ.
Pour aller plus loin :
- Jean-Paul Hyvernat
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- L'Église est apostolique et romaine
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies