Que l’affirmation, la « promotion », la défense de la religion catholique romaine soit la raison d’exister de « La France Catholique », c’est l’évidence la plus évidente.
Donc très naturel que les premiers titres de la première « une » du premier numéro (daté du dimanche 25 mars 1945 ; quelle date !) de « La France Catholique » (de la série 2) fussent ceux-ci :
Voir document joint ci-dessous.
« Catholique et Français, toujours ! »
Il se chantait ces mots, déjà, à la FNC des années 20. Aussi bien, il n’étaient que la reprise d’un cantique que l’on chantait dans les paroisses, sinon dans les « mouvement ».
Et l’éditorial inaugural de préciser :
« … nous vous convions, catholiques de France, à unir vos efforts pour travailler avec nous au service de ces deux causes que nous n’avons jamais séparées et que nous ne séparerons jamais : le CHRIST et la PATRIE. »
Il va de soi que « La France Catholique » ne rassembla pas tout le catholicisme français, ni tous ses fidèles, ni encore moins toutes et tous ses militants, ni même toute sa « hiérarchie » épiscopale.
Pourquoi donc ?
Tout simplement parce que le génie du catholicisme est d’être à la fois un et multiple. Multiple sous tous les biais : théologiquement, liturgiquement, politiquement, etc.
Il s’ensuit, irrésistiblement, sinon une communion fragile, du moins une coexistence conflictuelle. Parfois même, chaudement conflictuelle.
Dès lors, deux questions s’imposent : quel fut la religion de « La France Catholique » ? En quoi, sur quoi dut-elle débattre, voire combattre avec les autres catholicismes français ?
Le catholicisme dans (ET de) « La france Catholique »
On va s’efforcer de le caractériser en trois temps :
– Pour une première et brève détermination, on peut avec pertinence, ce semble, lui appliquer cette réponse, extraite d’une enquête savante sur le pluraisme catholique (in J.-M. Donegani, La liberté de choisir, éd. Presse Science Po, 1993).
– Si l’on veut aller plus loin, il est intéressant de le repérer dans « l’espace des problématiques religieuses » imaginé et proposé par J.-M. Donegani.
Etant précisé que dans le langage de ce sociologue très versé dans l’observation des comportement et des attitudes religieux :
– l’intransigeantisme désigne le refus d’adapter la religion aux données culturelles et autres du temps ; le transigeantisme, au contraire, qualifie l’acceptation de transigner avec l’esprit du temps ;
– l’intégralisme désigne l’attitude considérant que la religion doit commander l’ensemble des comportements – « Tout l’Evangile dans toute la vie », comme il se disait ;
– le marginalisme qualifie la tendance à tenir la religion comme un système de valeurs qui régit certains actes de la vie seulement.
Dans cet « espace », le champ « baptisée », selon un mot inventé par Emile Poulat : Christianitude est occupé par les catholisime, à la fois intransigeantistes et intégraliste :
Voir schéma n°2 en pièce jointe.
Le catholicisme confessé et professé à et par « La France Catholique » s’inscrit, ce semble dans la mouvance de la christianitude.
– Enfin, si l’on ose fausser compagnie aux savants sociologues et typologues, on peut tenter de caractériser ce certain catholicisme de « La F.C. » par quelques unes de ses positions théologico-philosophiques.
De ce point de vue, on propose de le « définir » par 5 options-clés :
Or donc, c’est un catholicisme :
– qui croit au Ciel
– qui croit à l’enfer
– qui croit aux « incarnations »
– qui ne regrette rien
– qui croit le Pape
On en convient, on l’avoue, dans l’énoncé de ces traits majeurs, on n’ pas fait dans la nuance. Mais, est-ce inutile de provoquer en jouant de formules éventuellement déconcertantes ?
– Un catholicisme qui croit au Ciel ?
Question-boutade ? lancée pour rire ? Point du tout ! Le cri de Nieztche a hanté beaucoup de chrétiens, au cours des « sixties » et avant et après.
Sous son influence, on a vu s’afficher des théologies de la « mort de Dieu ». Dans les années 1961-65, la quête d’un christianisme sans religion pronée dans les écrits de Dietrich Bonhöffer, ce pasteur allemand, martyr du nazisme, impressionna beaucoup de militants. En 1964, l’ouvrage de l’évêque anglican John Robinson, traduit sous le titre Dieu sans Dieu, renforça cette tendance.
Ainsi, il y eut presque les cathos qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas. A « La F.C. », on ne succomba pas à ces inclinations. Ce n’était pas le genre des théologiens « maison », le Père Daniélou en première ligne. Plutôt, on aurait fait sien, le cri de Maurice Clavel (qui retentit dans les années 70) « Dieu est Dieu, Nom de Dieu ».
– Un catholicisme qui croit à l’Enfer
Encore que la crise de l’Enfer soit certaine dans plusieurs catholicismes, on veut, simplement, noter ici, que la religion de « La FC » croyait que le péché existe.
Elle était originale cette « foi au péché ». Tellement archaïque au regard des catholicisme dominants que d’aucuns durent s’esclaffer à lire ce titre : « La notion de péché est-elle dépassée ? » (FC 19/3/1965). Ahurissant qu’au milieu du XXe siècle, il puisse exister des femmes et des hommes qui en soient à se poser cette question !
Reste qu’en « catholicité » il y avait ceux qui croyaient l’homme pécheur, et ceux qui le croyaient né et resté bon. « L’Eglise, c’est un monde ! », écrit Emile Poulat. Un « monde » aux continents opposés !
– Un catholicisme qui croit aux « incarnations »
Autrement dit, ces cathos tienne pour un impératif absolu, « existence d’institution chrétienne » (FC Des institutions chrétiennes pour aujourd’hui et demain, 8/1/65)
Leur croyance au péché les y pousse. Il y a une tendance Blaise Pascal à la source.
En plus, une certaine idée du christianisme qui les fait adopter ce que, génialement, le Père Montuclard, fondateur de Jeunesse de l’Eglise nommait la « logique de l’incarnation » qu’il opposait à la « logique de l’assomption » :
« Selon la logique de l’incarnation, le christianisme est comme un tou achevé et on l’applique, point par point, détail par détail, au réel dont il n’est même pas besoin de savoir s’il contient ou non des valeurs propres…
Selon la logique de l’assomption, on prend le réel, lui-même, on le laisse pénétrer en soi, assimiler par l’énergie vitale de la charité qui le veut présenter à Dieu et, grâce à la charité, une décantation s’opère qui met à part, dans le réel ses authentiques valeurs… «
Même si cette formulation a des acents manichéens, la distinction est clairvoyante et éclairante.
Le « catholicisme d’ordre » de la FC releva, originellement et longtemps de la logique de l’incarnation. La fidélité au Concile amena des distorsions contre nature dans cette logique ;
Parmi les institutions chrétiennes pour lesquelles La FC combattit : l’enseignement catholique – avec acharnement – le syndicalisme chrétien – d’où les fulminations contre la nouvelle CFDT – « La nouvelle CFDT-CFTC et la tyrannie collectiviste » (FC 8/11/65) – le pouvoir professionnel, les institutions charitbles pour leur illustration Mgr Rhodain, fondateur du Secours Catholique, prenait sa plume, généralement tonitruante – « La charité n’est pas anachronique » (FC 19/11/65) ; alors que les « mouvements » pendaient « justice », alors que Coluche était inconnu, il fallait oser prétendre cela !
A cette occasion, une remarque pertinente. Ce débat entre cathos sur la légitimité d’institutions chrétiennes n’est pas dépourvu de bizarrerie. Nul groupe de presse catho ne s’est jamais proposé, à ce que l’on sait, de se faire hara-kiri ! Pas folles les « guêpes » !
– Un catholicisme qui ne regrette rien…
… même pas Constantin (l’empereur) ! Ce fut, peut-être, le comportement le plus extraordinaire des cathos FC que cette absence de regret qui, en plus, les dispensait de souffrir ou de s’offirir le luxe de complexes d’archaïsmes ou de culpabilité.
D’autant plus extraordinaire que, dans le même temps, les « cathos de mouvement » dominants et sûrs d’eux-mêmes n’en finissaient plus de se battre la couple de l’inintelligence et de l’égoïsme de leurs ancêtre du temps de « l’ère constantinienne », de la « Chrétiente », du XIXe siècle – oh ! l’affreux et simpliste Henri Guillemin !, etc.
« L’ingratitude ne paie pas… L’ingratitude, c’est la mort… » La France Catholique ouvre, donc, le regard sur l’avenir, mais dans le souci d’une vivante fidélité.
« Fidélité au plus lointain passé chrétien : à ceux que l’on a justement nommés « les Pères de l’Eglise »…
« Fidélité ensuite ; à ces grandes réussites de la civilisation chrétienne dont le visage glorieux et si hautement humain ne commence guère à nous apparaître que depuis peu… ;
… Ce que nous savons de jour en jour mieux, c’est la chrétienté médiévale a fait ce qu’on pouvait de mieux, en son temps …
Fidélité envers un passé plus récent ; toute cette action, par exemple des chrétiens sociaux au XIXe siècle…
Il y a – on l’a dit, Gabriel Marcel, je crois – un pharisaïsme de l’antipharisaïsme. Dénoncer très fort les erreurs d’hier, c’est manière de dire que la vérité aujourd’hui vient de nous et non de ce qui a nourri nos pères. Battre sa couple sur la poitrine des autres, c’est nous supposer sans péché et sans erreur… » (FC 13/12/1957).
Quel texte ! On vous l’avait bien dit : un catholicisme qui ne regrette rien. Et, de ce fait, laisse possible d’éprouver de la fierté.
Ce sentiment d’un temps continu et d’un héritage sans exclusive, J. de Fabrègues l’avait, précédemment, exprimé dans une « Lettre ouverte à François Mauriac », écrite et publiée (FC 16/6/1950) à l’occasion de la mort de Marc Sangnier.
« Dans ces lignes ardentes », Mauriac, emporté par son émotion dythirambique – et exorcisant… peut-être – une pointe de mauvaise conscience puisqu’il avait, naguère, « manqué » à Marc – avait tracé un portrait manichéen de l’Eglise des années 1900, avant d’écrire, ni plus ni moins : « Alors, Marc Sangniez vint ! »
« Ces lignes me peinent et elles me gênent… Ce que fut le Sillon, je le sais… pas seulement de tête, je le sais dans le plus profond de mes fidélités intérieures…
« Eh bien, ce Sillon qui a tenu dans la vie et dans l’âme de nos aînés une si large place, je ne crois pas du tout qu’il puissé être séparé de ce qui l’avait précédé : d’Albert de Mun, de La Tour du Pin, de la première ACJF – je ne crois pas non plus qu’il soit juste de penser qu’en face d’une lignée sillon-moderniste qui eut apporté toute la vie et toutes les puissances de renouvellement et d’enrichissement, il y ait eu seulement un esprit d’Église fermé et sans retentissement sur les âmes du temps… Tout ce qui se ditue derrière les noms de Bly, de Maritain, de Psichari, tout cela ne peut être séparé d’une extrême intransigeance sur la fidélité à l’Eglise et comme discipline et comme Vérité… «
Point de vue original, excitant, prônant un œcuménisme ad intra en quelque sorte et mettant en cause toute une historiographie du catholicisme français. Selon cette approche-ci, pas de complexe !