Comment, en sa vingtième année d’existence, « La France catholique » fut refondée, comment elle fut relancée et reprit son essor, voilà ce que nous venons de nous efforcer d’évoquer, au long des pages qui précèdent.
Que le cheminement fut difficultueux et le récit laborieux, on le reconnaît volontiers. En guise de circonstance atténuante, on se permet de plaiser qu’il est mal aisé de procéder plus vivement quand on débroussaille un terrain inexploré ou seulement, visité, déjà, de ci de là.
Cela ayant été, le moment est venu de délaisser l’institution, ses acteurs et ses modalités d’existence pour nous intéresser à son œuvre. Pour tenter d’y voir clair sur le contenu des pages éditées et diffusées.
Bref, au fil des « Trente Glorieuses » QUE DIT, donc, « La France Catholique » ?
En vérité, pour saisir La France catholique dans son épaisseur existentielle – si l’on ose ainsi écrire – il faudrait oser se demander non pas ce que dit mais ce que l’on fit dire (ses amis et son lectorat d’une part, ses rivaux et ennemis d’autre part.
Mais pareille ambition est démesurée en partie, totalement irréalisable pour une autre. Aussi, résignons-nous à avoir la visée modeste.
D’autant que repérer le message d’une publication de presse est, par soi-même, une entreprise très aléatoire. Car, un journal n’est pas un livre à l’écriture continue et linéaire. C’est une mosaïque d’aricles qui s’ajustent plus ou moins, tantôt se renforçant l’un l’autre, tantôt se neutralisant ou se contredisant. En plus cette mosaïque est mise en page – c’est-à- dire en scène – par des « composeurs » pas toujours innocents !
Malgré ces obstacles, on n’a pas le choix. Puisque l’on s’est lancé dans cette histoire, il faut oser et foncer !
On « radioscopera » successivement l’univers politique et l’univers catholique de / dans « La France Catholique » des trente Glorieuse.
Et, sitôt annoncé, si tôt fait, sus à la politique de / dans / par la FC !
La politique comme doctrine
« Il n’y a pas de position concrète, de position politique technique de la France Catholique… » (FC 10/1/58) Hum ! Hum ! Air connu. On l’a toutes et tous chanté ces années-là dans les « mouvements » et la mouvance catho !
« …Mais certes nous avons une doctrine politique. Nous essayons de faire qu’elle soit avant tout catholique… » (FC 10/1.58) Chapeau ! C’était moins courant d’admettre cela. Et, puisque « doctrine », il y avait, quelle était-elle. Le mieux est de la saisir « en direct », dans le n° du 26 janvier 1966 ::
Jean de Fabrègues : « Le numéro 1000 et la « politique » de La France Catholique »
Ce numéro est le millière de la nouvelle série de « La France catholique » telle qu’elle a repris vie après 1945 à l’initiative et sous la direction de Jean Le Cour Grandmaison. Nous ne marquerons actuellement cette étape par aucune manifestation extérieure et pas même par un numéro-programme. Pourquoi ? Parce que l’Eglise au service de laquelle nous nous voulons vient à peine de sortir du Concile. Les textes sont là, mais à en pénétrer tout le sens, à les éclairer, à les rendre aisément lisibles, il faut temps et réflexion.
Ce travail, la France Catholique veut maintenant lui consacrer l’essentiel de ses forces et y conduire celles de ses lecteurs. Les Cahiers doctrinaux qui sont publiés chaque mois en supplément de nos colonnes avec les appuis et les collaborations de haute qualité qu’on a vus, forment la pointe de cet effort. Aujourd’hui nous réunissons seulement quelques textes des plus notoires de nos collaborateurs habituels : ils marquent, dans la « foulé du Concile » le sens de notre labeur.
Ce sont uniquement des textes d’ordre religieux. Ainsi est manifesté que là s’oriente le principe et le centre de ce que nous faisons. En résulte-t-il une sorte d’indifférence en matière politique et sociale ? Nullement. Notre journal reste ce que dit sa manchette, ce qu’il a voulu être, un organe d’information et de culture chrétiennes. L’information et la formation politique et social y ont leur part, importante.
Celui qui a aujourd’hui la responsabilité de la France catholique se retournant sur les vingt années qui viennent de s’écouler, constate qu’en ces matières politiques et sociales, nous pouvons nous rendre le témoignage d’avoir été présents à temps, et souvent bien en avance, partout où cette information et cette culture crhétiennes demandaient à être portées.
Bien avant les modes et les slogans, nous avons attiré l’attention , tout premiers, sur le problème de la faim dans le monde, répercutant les avis et les travaux du grand précurseur catholique anglais de ce drame, Colin Clarck, nous n’avons pas à regretter aujourd’hui d’avoir très tôt marqué qu’il ne suiffsait pas de nourrir, mais qu’il fallait aider les esprits et les cœurs à se former, les institutions à naître.
Bien avant que « l’aménagement régionale » soit sous toutes les plumes, nous avons, ici encore, par les textes d’un précurseur, Jean-François gravier, cherché dans quelles directions résoudre l’emmassement des hommes dans les villes tentaculaires appelé à ce que naissent de vraies unités d’habitation et d’existence. C’est un combat que nous allons avoir à poursuivre et à redoubler.
Sur le terrain proprement économico-social, nous avons aussi à nous rendre cette justice que, très tôt, nous avons marqué combien étaient vaines et dépassées les vieilles querelles de la fin du XIXe siècle ; que le problème du pouvoir, et dans l’entreprise même, et dans l’organisation économique, en général, avait désormais pris le pas sur celui de la propriété : que, certes, il fallait poursuivre la défense de celle-ci comme expression de la liberté personnelle mais que ce serait sur l’organisation du pouvoir économique général que se livrerait la bataille du XXe siècle, et que même le dilemme dirigisme-libéralisme faisait place dans les fait à la question : qui commande, qui organise, dans quel cadre et pour quelles fins ?
Rappelant la nécessité des « corps intermédiaires » sur lesquels la doctrine de l’Eglise, attachée au « principe de subsidiarité » ne cessait d’attirer les regards, nous avons montré qu’il fallait travailler à dégager et à faire naître les nouveaux corps intermédiaires du XXe siècle qui permettraient aux familles de se faire entendre, aux libertés sociales de trouver leur incarnation.
Politiques nouvelles et politique éternelles
A la jonction de l’économique et du politique, nous avons appelé l’attention (et nous ne cesserons de le faire) sur l’importance des phénomènes bureaucratiques et technocratiques. Nous ne donnons pas, a priori, à ces mots une acception péjorative, nous marquons seulement, comme le font maintenant tous les sociologues sérieux, que l’importance de ce type de pouvoir dans les sociétés modernes exige un regard lucide si l’on veut conserver la liberté des hommes. Et il faudrait évoquer l’écho fait ici, en particulier, aux observations sur ce qui a été justement appelé outre-Atlantique « la persuasion clandestine », sur les différentes formes, publicitaires ou politiques, du « viol des foules ». le « bureau », le « technicien », « l’agent de publicité » ne sont plus désormais des « exécutants » mais conseillent, orientent et souvent décident les choix qui conditionnent la vie sociale. Ces nouveaux pouvoirs aussi doivent être lucidement considérés pour entrer au vrai service des hommes.
A la jonction de même de l’économique et du politique se situent les perspectives où il faut distinguer – et parfois opposer – ce qui relève de la nécessaire ou juste socialisation de la vie et ce qui s’abandonne à des formes d’existence collective non contrôlée, ou contrôlée seulement par des instances partisanes. De ceci comme de ce qui précède, les politiques chrétiens doivent avoir particulièrement le souci puisque c’est par là que s’infiltrent ou s’enracinent les formes totalitaires de pouvoir sur les esprits et sur les âmes qui peuvent contenir un laïcisme actif, même sans le dire ou le savoir.
Lorsque nous avons eu, lorsque nous aurons de nouveau à pénétrer de plus près sur le terrain de l’information ou du choix politique, c’est encore par ces principes que nous sommes mus, nous refusant à donner des « conseignes » quand les principes même d’une vision politique chrétienne ne sont pas en jeu, mais sans reculer à éclairer ce qui nous paraît pouvoir comporter de telles conséquences.
Ouverture et fidélité
Tout cela, nous avons essayé de le faire en nous sovenant de ce que (comme le rappelait peu avant de mourir, en présidant notre dîner France Catholique à la Semaine sociale de Bordeaux, le grand président de la CFTC de naguère, Gaston Tessier) notre journal était un journal catholique français, c’est-à-dire qu’il ne renonçait à aucun des devoirs de fidélité, de service et de cohésion nationale qu’implique pour un citoyen catholique l’appartenance à une société de transmission de vie et de valeurs qui s’appelle la Patrie. Nous l’avons ressenti et marqué en particulier dans les épisodes tragiques de ce qu’on a nommé « la décolonisation ». Assurés qu’eune profonde évolution deait advenir dans le destin de ce qui avait été les territoires « coloniaux » nous ne l’étions pas moins que la France avait beaucoup apporté à ceux-ci et que les transformations justes ne pouvaient pas faire abstraction des nécessités de la réalité et des besoins du gtemps si elles voulaient être vraiment fécondes. La suite des choses n’a donné tort ni au contenu ni à la forme de nos avertissements sur ce point.
Enfin, il est à peine besoin de rappeler qu’on a eu ici un grand et constant souci de la naissance d’une Europe cohérente, de son maintien et de sa force.
Si elles demandent à être poursuivies, prolongées, précisées, actualisées, aucune de ces lignes de direction de notre effort d’hier ne peut être abandonnée por celui que nous poursuivrons demain. Chacun trouve, dans le dernier texte du Concile sur l’Eglise et le Monde, accord, confirmation, mais aussi nouvelle lumière.
Cette lumière, elle voit d’abord – et ceici nous ne nous lassderons pas de le redire – que, si l’histoire du monde aide l’Eglise et les hommes à mieux comprendre ce que Dieu attend d’aujourd’hui, ce n’est cependant pas le monde qui trouve son sens par lui-même. C’est l’Eglise qui, parce qu’elle connaît la signification de la vie des hommes, comprend et éclaire le sens de chacun de leurs pas, de chacun des moments d eleur histoire. Ainsi, même quand il s’agit de comprendre les événements politiques et sociaux d’une époque, mais plus encore quand il s’agit de leur donner leur valeur et d’orienter leur marché, c’est encore vers l’Eglise qu’il faut nous tourner, non pour ignorer ce monde, mais au contraire pour mieux le comprendre et mieux l’aider, non pour « compromettre l’Eglise » comme on dit parfois, mais pour prendre à notre charge toute la lumière qu’elle peut apporter au secteur de l’existence humaine qui nous est confié. C’est dans cette ligne que la France Catholique continue, au service du Concile, parce qu’il est voix de l’Eglise.
H. de Fabrègues
Ce texte mérite d’autant plus d’attention qu’il était comme le « discors d’investiture » de Jean de Fabrègues comme directeur. Dans ce même numéro, en effet, par une lettre qui flanquait cet éditorial Jean Le Cour grandmaison annonçait son retrait et passait le flambeau directorial.
La problématique de fond en est claire.
La Politique ? Oui mais… Primauté au spirituel, est-on tenté de commenter en reprenant la titre fameux par lequel Jacques maritain, dans les années 1920, larguait Charles Maurras ! Primauté du spirituel, tellement écrasante que l’on sent une certaine difficulté à promouvoir l’importance de la Politique, de l’économique et du social.
pas surprenante cette problématique. Elle était, déjà, érigée en profession de foi neuf ans plus tôt, dans la série d’articles, exposant « Ce qu’est « La France catholique », publiée entre le 6 décembre 1957 et le 10 janvier 1958.
Il y était affirmé, haut et clair :
CE QU’EST LA FRANCE CATHOLIQUE
I UNE VOLONTÉ RELIGIEUSE D’ACTION
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Le plan de relance français peut-il être efficace ? (étude de Pierre Pascallon)
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ