21 - Les hommes de La France Catholique dans les années 60 - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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21 – Les hommes de La France Catholique dans les années 60

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XIII

JEUX À HUIS CLOS, DANS LE 7e

Passons derrière le décor. Faisons – ou tentons de faire – irruption dans les coulisses, après avoir évoqué le chatoiement des grandes plumes et des autres sur les Unes.
Aucune publication, inclina-t-elle vers la mystique et fut-elle ardemment apostolique, n’échappe aux contraintes de l’économie et aux impulsions diaboliques du désir de puissance.
À cette circonstance près que la spiritualité tend – au nom de la charité comme il va de soi – à épaissir l’opacité des conflits en les ouatant dans des chuchotements plutôt qu’en les manifestants par de bruyants cris.
Les choses étant ce qu’elles sont et n’ayant pas pu être autre chose que ce qu’elles étaient, entre qui et sur quoi et pourquoi ou pour quoi y eut-il grincements de dents, conflits ou antagonismes intra muros de l’immeuble, à l’atmosphère envoûtante, de la rue Edmond Valentin ?

Est-il nécessaire d’indiquer que les jeux dans les coulisses sont moins simples à découvrir et à décoder que les grandes joutes d’idées ? Qu’en le voulant tenter on pénètre sur un terrain miné ?
Non ! Pas besoin de signaler cela ! Tant c’est l’évidence !

Aussi bien, pas de surprise, pour commencer. Dans l’entreprise « La France catholique » comme dans toutes les autres, il y eut deux séries de conflits – ou de frictions – si écrire ‘conflit’ est ressenti comme une impertinence : les conflits verticaux opposant Propriétaires et Rédaction d’une part, les conflits intra-rédaction d’autre part.

des « proprios » embarrassés et embarrassants.

La FC 2 n’appartint ni aux Assomptionnistes, ni à Georges Hourdin. En furent propriétaires successivement la Fédération Nationale d’Action Catholique (FNAC) qui avait succédé, en 1945, à la Fédération Nationale Catholique (FNC, fondée en 1924). Puis devins, en 1955, l’Action Catholique Générale des Hommes (ACGH) et, en 1976, V.E.A. (Vivre Ensemble l’Évangile Aujourd’hui).

Le président était nommé par la hiérarchie épiscopale. Le premier président fut, évidemment, Jean Le Cour Grandmaison – qui avait été, longtemps, le vice-président de la défunte FNC. Le premier secrétaire général fut un ancien collaborateur du maréchal Foch : J. de Mierry.
En 1954, Henri Rollet prit la suite de LCG. Ce nouveau président (industriel en machine-outil, vice-président du CBPF jusqu’en 1956) était, assurément de sensibilité et de conviction « catholique social ». Auteur, notamment, d’une remarquable thèse sur L’Action sociale des catholiques (1871-1914). Il y discernait avec perspicacité la mue du type « catho sociale ». Plus précisément, le passage de « l’homme d’œuvre » au « militant », davantage motivé par la « justice » que par la « charité ».

En 1975, ce fut le tour de René Tardy. Ce biologiste, très apparatchik d’Église, au dire de certains, était, semble-t-il, de sensibilité CCFD (Comité Catholique Français Contre la Faim et pour le Développement).

Ce mouvement « patrons » aux appellations en cascade – FNAC, ACGH, avait-il du « répondant » comme on dit ?
On l’imagine. Il faudrait des journées et des journées pour y voir clair dans des archives dispersées.

Il semble qu’au début La France Catholique ait connu des difficultés de financement. De nombreuses démarches auprès de patrons « catholiques et sociaux » le suggèrent. En 1947, le Vatican lui-même, y alla de sa subvention. Vraisemblablement, sur la proposition du Nonce, Mgr Roncalli, futur pape. Peut-être pour faire sur forcing sur l’Épiscopat de France.
Celui-ci en vint à recommander la diffusion de la FC dans les paroisses. Non sans démarches.

Pourtant la FNAC devait avoir bénéficié du patrimoine de la FC. Et celui-ci n’était probablement pas rien. Aussi bien, plus tard, la situation s’améliora-t-elle. D’aucuns prétendent même que, malgré le peu de combativité de Fabrègues à s’occuper des traitements, ceux-ci étaient devenus très confortables.

Évidemment, d’un point de vue sociologie politique et culturelle du catholicisme, l’intéressant serait de discerner quelles étaient les entreprises ou les associations patronales qui soutinrent la FC-2 et, donc ses idées.
On aperçoit quelques filières. Mais c’est trop flou pour en faire mention.

La FC-2 n’était pas la seule publication émanant de la FNAC et de ses variantes suivantes. Pour appuyer son action apostolique – visant, notons-le, en priorité, « l’homme des paroisses » et non « l’homme des mouvements », était publié simultanément, France-Monde catholique (dif. 163 000 en 1967, mais de l’ordre de 50 000 en 1973).

Reste que La France catholique posait au mouvement dont elle dépendait des problèmes délicats : jusqu’où le contenu de cet hebdo l’exprimait-il ? Et, au-delà de lui, la Hiérarchie puisque FNAC, ACGH, etc. étaient des mouvements « mandatés » d’Action Catholique.

Les deux premiers présidents gérèrent habilement cet embarras. Jean Le Cour Grandmaison, spécialement. En vieux briscards des sacristies et des antichambres épiscopales, voire cardinalices, il slaloma magnifiquement.

Le 20 janvier 1947, il écrivait à une lectrice de Tours : « La mission de La France Catholique qui est d’essayer d’avoir une réflexion sur les milieux intellectuels, d’avoir une influence sur les milieux intellectuels, nous oblige à étudier des ouvrages qui, évidemment, ne sont pas appelés à figurer dans la bibliothèque du catholique moyen. »

Le 31 janvier suivant, dans une lettre à Henriette Ch. : « Notre hebdomadaire qui n’est pas un journal ordinaire mais l’organe d’un Mouvement d’Action Catholique, nous impose certaines servitudes…»
Le 20 février suivant : « (La FC) est, en effet, destinée moins à être le reflet de l’activité de la FNAC que de faire rayonner la pensée chrétienne en l’appliquant aux faits d’actualité. L’expérience et aussi le vœu de la Hiérarchie nous ont amenés à adopter cette conception… »

Salut l’artiste !

Autre temps, autre climat, autre président, entre l’ACGH et La France Catholique, l’écart se creusa. Deux désaccords surgirent.

D’une part, les positions de l’hebdo, en général, et de Fabrègues, en particulier, sur la décolonisation apparurent trop opposées aux positions de la Hiérarchie française et même de l’Église romaine.

D’autre part, la baisse de la diffusion amena un doute sur la nature du contenu. Plutôt qu’un hebdo de réflexion – tel que l’avait imaginé JLCG et son équipe initiale, l’ACGH semble avoir souhaité un hebdo, sinon de masse, du moins grand public.

Étant donné ces circonstances, Jean de Fabrègues fut poussé à la retraite – on était fin 1973, début 1974 – et la direction de la FC fut confiée à L.-H. Parias.

Celui-ci avait-il été choisi au vu de sa fidélité au journal – il y avait publié son premier article le 9 septembre 1945, sous le titre A la conquête du Prolétariat… de son savoir-faire, ou avait-il aidé à l’éviction de Fabrègues ?
Qu’importe ! Aussi bien, les trois raisons peuvent avoir milité ensemble. Un homme au CV chargé ce directeur qui était autour de la soixantaine. Il avait été secrétaire de rédaction de la revue Dieu vivant, directeur littéraire de La Nouvelle Librairie Française, éditrice de la revue mensuelle Miroir de l’Histoire qu’il avait fondé en 1960, directeur des collections historiques de la Librairie Arthème Fayard, directeur de la revue Atlas, membre du comité de direction de l’encyclopédie Alpha et de l’encyclopédie de géographie et des civilisations Le Million, notamment, etc. Plus des essais et romans, etc.
Voilà un homme tentant pour des patrons de presse inquiets !
Donc, L.H. Parias accéda à la direction de cette France Catholique, le 17 avril 1970 (sauf erreur). Il y resta peu. Dès juin 74, exit L.-H. Parias, sans explication aux lectrices et lecteurs. Pourquoi cette éviction ? probablement parce que Parias coûtait trop cher !
Tandis que la société française et les autres entraient dans les Trente Piteuses, La France Catholique entrait dans une période d’incertitude.


EFFRACTION (IMAGINAIRE) AU COMITÉ DE RÉDACTION

Montons le bel escalier de bois ciré de l’immeube cossu de la rue Edmond Valentin. Montons-le à trois périodes. Comme il est normal, nous y apercevrons quelques hommes inchangés et, aussi, des nouveaux.

1945, 1947 et suivantes

Rassemblés autour de Jean Le Cour Grandmaison :

Jean de Fabrègues, sans surprise. Encore que son nom n’apparaîtra, dans l’hebdo, qu’au goutte à goutte. La première fois le 9 août 1946, à l’occasion d’un clmpte-rendu de la session annuelle des Semaines Sociales de France.
Avant et après, il signera sous force pseudonyme : Cahors, Pierre Gignac, Jean Le Jamte, notamment.

Michel Habib-Deloncle, introduit par le Père Daniélou, secrétaire de rédaction quelques mois… 25 ans, petit-fils de Francis Deloncle qui fut député des Basses-Alpes, de la Cochinchine, ministre plénipotentgiaire, avocat, admirateur de Bainville.
En 1948, Michel Habib-Deloncle commencera une carrière politique. Il sera député UNR de Paris en 1958, en 1962, 67, 68. Il deviendra secrétaire d’État aux Affaires étrangères (6 décembre 1962 au 8 janvier 1966), puis à l’Éducation Nationale (8 janvier 1966 au 1er avril 1967).

Louis-Henri Parias, secrétaire de rédaction. 32 ans, il a publié des articles dans Combat (le Combat de Camus), dans Arts. Il vient de publier un premier roman : « Le passage du temps », éd. Portulan), est secrétaire de rédaction de la revue de recherche religieuse Dieu vivant, impulsée notamment par le Père Daniélou. Il est en voie de lancer le Miroir de l’Histoire.

Jacques Boudet, secrétaire de rédaction pendant une douzaine d’années. Entrée à la FC en 1947, après être passé par Forces Nouvelles, publication du MRP. Puis entra dans l’édition, chez Bordas.
Il écrit dans l’hebdo sous des pseudonymes multiples : André Bessèges (pour ce qui concerne le cinéma), Maurice Debout (chroniques radio-tv), Lagarde Guérin (Affaires étrangères), Louis Cévennes (Économie).

D’autres noms pourraient être cités dont la présence fut plus ou moins fréquente. Cependant, il semble que ceux-là formaient le corps opératoire principal, en ces années-là.

Assurément, on aimerait pouvoir discerner l’atmosphère de ces réunions et comment s’ajustaient les sensibilités, les idées aux nuances diverses de ces hommes. Surtout, on voudrait en savoir davantage sur les liens entre JLCG et Fabrègues : rapports uniquement d’action, communion de pensée, amitié, cordialité ? Mystère !

Le 26 janvier 1966, France Catholique publiait cette Lettre ouverte à Jean de Fabrègues :


« Mon cher ami,

Il y a un an, à pareille époque, une épreuve de santé interrompait brusquement ma collaboration à notre journal. Je pensais alors la reprendre au bout de quelques semaines : les événements – instruments de la Providence – en ont décidé autrement. Mon existence, longtemps mêlée aux remous de l’activité, s’achève à l’ombre d’un cloître, sans la prière et le silence.

Dans le silence, mais non dans l’oubli ni dans l’indifférence. Un chrétien n’a jamais le droit d’être indifférent à la marche du monde : combien moins à notre époque, où ce qui est en jeu, c’est le destin de l’homme et le sort éternel de milliards d’âmes. Crise universelle et profonde – où les vertigineux progrès des techniques n’ont d’égale que la confusion des esprits. Pourquoi avons-nous vu cette chose, hier inimaginable : les dirigeants de l’O.N.U. faire appel au chef de l’Église, l’Assemblée écouter dans un silence religieux cette voix dont les échos ont retenti jusqu’aux extrémités de la terre ?

Pourquoi ? Sinon parce que ceux qui ont la charge de sauver la paix et d’assurer l’avenir de l’humanité se sentent désemparés et réclament une lumière, un guide ?
Quelle autre explications à cet extraordinaire signe du temps : le Pape à la tribune de l’O.N.U. ?

Ce trouble, cette confusion, cette incertitude, nous les constatons partout autour de nous, que dis-je ? en nous-mêmes. Assaillis par les propagandes, par les systèmes, par les sophismes, nous éprouvons – que nous en ayons conscience ou non – la soif de cette certitude et de cette espérance qui constituent le message de l’Église.
Être pour notre modeste part l’écho fidèle de ce message, c’est l’indice qui nous guidait lorsqu’il y a vingt et un ans, ensemble, nous décidions de reprendre la publication de « la France Catholique ». Entreprise téméraire, car presque tout nous manquait. Et voici que le millième numéro marque le chemin parcouru.

Le Concile vient de rappeler aux laïcs leur rôle, et son importance. Il est des tâches apostoliques qu’eux seuls peuvent faire : et si elles ne sont pas faites, un néopaganisme, de quelque nom prestigieux qu’on le décore, ramènera inéluctablement cette oppression de l’homme par l’homme qui est le trait caractéristique de toutes les civilisations sans Dieu.
C’est l’heure de l’action, répétait Pie XII – et ses successeurs le redisent. Pour agir, il faut savoir, mais d’abord « être ». Aider les laïcs à « être » ce qu’ils doivent être et à savoir ce qu’il importe de savoir. C’est la raison d’être de tout journal catholique et, en particulier, du nôtre. C’est ce qu’ensemble, vingt ans durant, nous nous sommes efforcés de faire ici, sans que jamais l’ombre même d’un désaccord soit venue gêner ou ralentir notre effort. C’est ce que vous continuez à faire : c’est ce que, Dieu aidant, vous continuerez à faire, jusqu’aux jours – lointain j’espère – où vous aussi, mon cher ami, vous remettrez le flambeau entre des mains fidèles, pour que, comme le demande le Seigneur, il brille, il éclaire ceux qui sont dans la maison.

Jean Le Cour Grandmaison »