DEMAIN DISAIT QUOI ?
Que, politiquement, Demain fut maréchalisant en diable, ça éclate presque à chaque page ! En tout cas dans chaque numéro ! Dans le premier numéro, l’abbé Bergey, fort célèbre dans les années 20 et 30, s’écriait ; « Un chef a surgi du malheur, faisons bloc derrière lui ! » (1er février 1942, p. 5.). Dans le numéro du 15 novembre 1942, au lendemain du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, Fabrègues, après avoir déploré qu’« un nouveau membre nous était arraché », déclarait : « Et, tant qu’il y aura un souffle de vie pour la France dans la parole et dans la main du Maréchal, nous savons que c’est là et par là… » (15 novembre 1942) tandis qu’André Nicolas affirmait que « Les Français… se doivent de rester unis autour de leur chef et de le suivre aveuglément dans les situations délicates où les circonstances peuvent le placer » (15 novembre 1942, p. 3).
Avec une fidélité sans faille, dans le numéro 112 (11 au 11 juin 1944), Fabrègues était bouleversé en entendant « cette houle de foule… C’était Paris, et puis Nancy faisant leur accueil au maréchal Pétain » (in L’Assomption de la douleur française, 11 au 11 juin 1944, p. 1). Pas de nazisme, pas de collaborationnisme, pas d’antisémitisme dans demain, mais du maréchalisme à gogo !
Quelle que fut, dans ces temps d’alors, l’importance de cette maréchalolâtrie, vue d’aujourd’hui, elle ne fut cependant pas l’essentiel de Demain. L’idéologie sous-jacente, source de cette adhésion à la Révolution nationale est bien plus intéressante à observer. D’autant qu’il se pourrait, bien que ce soit l’intérêt idéologique d’une étude de La France Catholique du deuxième type, voire des types ultérieurs que de suivre le devenir de cette idéologie au fil de la seconde moitié du XXe siècle.
Or donc, cette idéologie, pour l’appeler par son nom ou pour lui donner un nom, c’est le « communautarisme ». Ou, pour dire autrement, le « corporatisme intégral ».
Contrairement à ce que suggérait Pierre Limagne, dans les remarques à chaud que l’on a cité, Demain ne cultive pas un « Politique d’abord ». Au surplus, les démocrates populaires et autres n’ont-ils pas caricaturé le sens que Charles Maurras donnait à ce « politique d’abord » ? En tout cas, le texte du premier éditorial de Le Cour Grandmaison est clair à qui le lit avec sérénité. Simplement, il souligne que les états d’âme ne font pas seuls une bonne société. Il y faut, aussi, des institutions adéquates. Cette insistance sur l’importance des « institutions » qui était, déjà, dans la FNC, restera longtemps une singularité de La France Catholique :
« On nous dit parfois : si les catholiques avaient été plus chrétiens, les choses n’en seraient point venues à ce qu’elles sont.
Bien sûr. Et nous sommes d’accord que chacun doit travailler à devenir plus chrétien… Gardons-nous, toutefois, de toute illusion. Ne rêvons pas d’une cité des Saints, où l’observation parfaite de la justice et de la charité réduirait à presque rien le rôle des institutions…
« On nous invite à améliorer les mœurs ? Mille fois d’accord. Mais comment, en pratique, y travailler ?
« Par notre réforme personnelle… Par l’influence… sur notre milieu… Par un effort pour améliorer les institutions, de façon à rendre plus facile l’observation de la loi morale… » (Demain, 1er février 1942).
Pas de « Politique d’abord » par conséquent. Même si « primauté du spirituel » est relativisé. Simplement, si les mœurs font les institutions, la réciproque est vraie. D’où l’impératif : « Pas de mœurs nouvelles sans nouvelles institutions » (Demain, 1er février 1942). Le cour di discours de demain étant l’option pour une civilisation communautaire. Il suffit de parcourir le numéro 1 pour le constater. Ainsi qu’il arrive fréquemment, c’est le premier numéro d’un journal qui livre le plus purement son rêve.
Dans les deux colonnes de gauche de la « une », JLCG érige le corporatisme en vérité catholique et française :
LE CORPORATISME COMME REVE
« Point n’est besoin d’insister, auprès des catholiques, sur l’excellence des institutions corporatives, où l’enseignement officiel de l’Église nous montre la seule solution des grands problèmes économiques et sociaux qui conditionnent la paix, intérieure et extérieure des nations.
« Ces institutions excellentes – et qui ont duré sept siècle – ont cependant fini par se corrompre et par disparaître. Pourquoi ? Tous les auteurs qui ont approfondi la question sont d’accord pour attribuer la décadence des corporations au recul de la foi chrétienne et à l’affaiblissement de la morale qui en fut la conséquence. La Renaissance, la Réforme, le rationalisme du XVIIIe siècle sont les grandes étapes de ce déclin ; les mœurs ont corrompu les institutions, et celles-ci avec le libéralisme, ont fini par se mettre en harmonie avec les mœurs. »
Lignes très éclairantes et significatives, assurément. On nage dans ce que Claude Mauriac (dans sa thèse sur le corporatisme) a qualifié d’« utopie corporative ».
Mais JLCG n’est pas le seul à baigner dans cette exaltation « communautariste ». Dans la sixième colonne d’en face, sur cette même « une », sous le titre « Union et servitude », Gustave Thibon souligne « la nécessité de promouvoir… un ordre authentiquement, vitalement communautaire » car si on ne vit pas « ensemble comme les organes d’un même corps », on dépérit.
À la page 3, Louis Salleron en rajoute, si j’ose ainsi écrire. Exposant « ce que sera l’État corporatif », il précise ceci : « Quand nous parlons de l’État corporatif, nous ne sommes pas dans le domaine de l’économie politique et social, nous sommes dans le domaine de la philosophie et du droit : nous évoquons une conception politique d’ensemble…
« Pour nous résumer, nous dirons que ce qui distingue essentiellement l’État corporatif, c’est qu’il ne considère pas l’individu comme l’unique principe et l’unique fin de la société mais qu’il reconnaît aussi l’existence de communautés naturelles, de « corps » ayant des droits premiers, antérieurs à toute volonté contractuelle, comme à toute volonté législatrice…
« Un État corporatif est donc un État qui, pour sauvegarder la personne humaine, s’attachera à fortifier la famille et tous les groupes naturels, notamment dans l’ordre de la profession et de la région… »
Seul à échapper à cette sacralisation inconditionnelle du « communautaire » et de la « communauté » sur la même page que l’article de Louis Salleron et, par le hasard de la mise en page, le prenant comme de flanc : François Perroux. « Accepter une servitude et courir un risque » titre-t-il sa contribution qui, tout en disant « oui » au « communautaire » en souligne les risques :
« La société a finalement moins de pouvoir pour déshumaniser les groupements que la communauté quand elle se noue et se fige. Les communautés qui ne seraient que des rassemblements d’êtres semblables et solidaires tendraient à faire des groupements d’hommes quelque chose qui ressemble à une grande machine ou à un grand animal…
« Entre l’harmonie du Nous, accompli dans l’amour et les sociétés qui par contrainte imposent des trêves à la guerre des invividus, se forment les communautés terrestres.
« Elles sont les chefs-d’œuvre, toujours menacés, jamais achevés de l’amour efficace. »
Ce texte (qui devait être publié dans les « Cahiers communautaires » avec R. Delavignette et J. Madaule) oblige à affiner l’analyse. Incontestablement, le « communautarisme » est l’idée de fond de demain. Ce qui n’est pas extraordinaire étant donné la place tenue par la « communauté » dans tous les projets de reconstruction des années trente et des « années souterraines : 1937-1947 » (cf. Daniel Lindenberg, Les années souterraines, éd. La Découverte, 1990) et, en particulier dans tous les groupements cathos. Oui mais, ce communautarisme n’était pas un bloc. Il véhiculait des visions différentes.
« L’armée des corporatistes est si disparate qu’on est fondé à penser que le mot même de corporation est pareil à une étiquette apposée sur un lot de bouteilles distribuées entre les producteurs et dans lesquelles chacun verse une boisson de son choix. Le consommateur doit y regarder de près », indiquait L. Baudin (in Le corporatisme, LGDG, 1941, cité par Claude Mauriac. La corporation dans l’État, thèse, Bordeaux, 1941).
Tous cherchaient à organiser plus harmonieusement et moins conflictuellement les relations Capital/Travail, Consommation/production, État/Individu. Mais chacun insistait plutôt sur une des questions ou sur l’autre. Chacun faisait à l’autonomie des personnes ou des groupes une place plus ou moins grande. Quelques « corporatismes » jouxtaient le fédéralisme proudhonien, quelques autres penchaient vers un autoritarisme étatique inquiétant. Par ailleurs, certains imaginaient le « corporatisme » comme une amélioration sociale, voire sociétale. D’autres y croyaient comme la solution intégrale. Ils croyaient à la « corporation » comme les militants de gauche croyaient à la « révolution ». Le « corporatisme » potion magique, en somme.
Même le célèbre « personnalisme communautaire » – dont l’invention reste attribuée à Mounier mais qui fut, presqu’au même moment, défendu et prôné par J. de Fabrègues et qui était dans La Tour du Pin – fut un composé instable. Plus communautaire chez les uns, plus personnaliste, voire individualiste chez d’autres.
Pour en rester à Demain, le « corporatisme » et le « communautarisme » de JLCG n’était pas l’identique de celui de Fabrègues, qui n’était pas le même que celui de Jean Guitton, ni de celui de Thibon. A fortiori de celui, inclassable, original de François Perroux. Ici et maintenant on n’entrera pas, toutefois, dans l’inventaire de ces communautarismes et des autres, catho ou non.
COMME « DEMAIN », « LA FRANCE CATHOLIQUE »
SANS « MOUVEMENT »
Aussi bien, restons-en là sur Demain. En l’évoquant, on voulait seulement signaler que, sous plusieurs biais, La France Catholique du deuxième type est plutôt fille de Demain que de la lignée de La France Catholique correspondance hebdomadaire de la FNC.
Ce furent les mêmes hommes qui l’animèrent, longtemps : Jean Le Cour Grandmaison et Jean de Fabrègues.
La deuxième France Catholique fut, en outre plus proche de Demain qui se voulait « hebdomadaire de la cité française » que de l’hebdomadaire de combat et d’action, plutôt de style « agit-prop » qu’était la première version de France Catho FRANCE CATHO.
Cela d’autant plus que Jean Le Cour Grandmaison eut comme ligne directrice de distancier jusqu’à les séparer, le mouvement – la fnac – et l’hebdo.
Il n’y réussit pas en un jour. Le poids des habitudes ? Et aussi le souci des ressources firent que cette innovation prit du temps.
En 1947, dans une lettre aux évêques leur annonçant qu’il serait fait au curé un service de La France Catholique, Jean de Fabrègues rappelait : « La France Catholique est l’organe d’un mouvement auquel la Hiérarchie a officiellement confié la mission de restaurer la vie paroissiale…
« Nous vous demandons tout particulièrement de vouloir soutenir notre action (15 septembre 1947. archives).
En 1948, Mgr Courbe « quasi-patron » de l’Action catholique, au lendemain d’une réunion des Cardinaux et Archevêques de France, exprimait son satisfecit :
« L’Assemblée, heureuse d’exprimer sa sympathie à La France Catholique, dont elle suit les efforts avec intérpet, demande à NN SS les Évêques de bien vouloir l’encourager dans leurs diocèses respectifs. (Lettre du 10 avril 1948. archives).
À quelque temps de là, il intervenait auprès de Jean Le Cor Grandmaison pour protester contre un article favorable au film « Manon » qui avait été publié dans La France Catholique alors que le CCR avait mis en garde contre lui (article in FC du 8 avril 1949) : Jean Le Cour Grandmaison devait s’expliquer : « cet incident révèle un fâcheux manque de coordination… (en plus) il y a un problème assez délicat sans doute, mais nullement insoluble de liaison entre deux activités qui me paraissent également nécessaires : celle du CCR, en tant qu’organisme officiel de cotation morale, et celle d’une critique catholique assez ouverte au mouvement des idées pour exercer sur les milieux du cinéma une influence, dont beaucoup de catholiques engagés dans cette profession nous signalent à la fois la possibilité et la très grande utilité » (lettre IV mai 1949. Archives).
Autrement dit, La France Catholique n’est pas aux ordres ! C’est une publication de presse !
Cette position était dans l’esprit de la réponse qu’il faisait déjà, le 20 février 1947 à un abonné, adhérent de la FNAC qui protestait contre certains commentaires :
« (Je dois) vous indiquer que La France Catholique répond à des besoins un peu différents de ceux que vous envisagez.
« Elle est, en effet, destinée moins à être le reflet de l’activité de la FNAC qu’à faire rayonner la pensée chrétienne en l’appliquant aux faits d’actualité.
« L’expérience et aussi le vœu de la Hiérarchie nous ont amenés à adopter cette conception ».
Ce ne fut, en définitive, qu’en 1954, que les annuaires professionnels et les annonces publicitaires cessèrent de présenter La France Catholique comme l’hebdomadaire de la FNAC. L’organise de la FNAC était alors, FRANCE-MONDE CATHOLIQUE.
Cette même année, au demeurant, Henri Rollet remplaça Jean Le Cour Grandmaison à la présidence de la Fédération Nationale d’Action Catholique. Celle-ci n’en avait pas pour longtemps à survivre sous cette dénomination. En janvier 1955, elle devint l’Action Catholique Générale des Homme, avec comme président J. Tardy.
Évidemment, les liens entre l’ACH demeurèrent, néanmoins étroits. ne serait-ce que parce que le mouvement d’Action catholique resta, pendant toute cette période, propriétaire du titre. Ce n’est pas rien.