« M. Pierre-Henri Simon, professeur aux Facultgés catholiques de Lille, a récemment publié dans la collection Esprit un ouvrage qui est un monument d’équivoque et une œuvre de division des catholiques sur le terrain social et national…
« Mieux vaut, écrit-il, désunir les catholiques que les laisser unis sur une équivoque monstrueuse…
Nul ne sera surpris si le général de Castelnau et L’Echo de Paris sont violemment précipités, par M. Pierre-Henri Simon, dans la géhenne des réprouvés, au nom de la doctrine sociale et pacifique de l’Eglise ».
Suit une défense et illustration de Castelnau par lui-même : « Sera-t-il permis au général de faire appel de ce jugement, qui n’est pas le dernier, heureusement ? Au cours d’une longue existence, il a quotidiennement… Mais rien de tout cela n’est en suffisante concordance avec la doctrine sociale de l’Eglise interprétée par M. Pierre-Henri Simopn. Alors quoi
« Pour réaliser le plein « comportement social », faut-il, par exemple, s’agréger à un des multiples groupements ou instituts dit sociaux – où sévissent surtout de fastidieuses et enfantines palanres – traiter et résoudre sur le plan national et sur le plan international la très facile question sociale, sans avoir jamais supporté ni les rudes labeurs de l’ouvrier de l’usine et des champs, ni la lourde responsabilité morale et matérielle du patron industriel ou terrien… en un mot, étiqueter très ostensiblement et très bryamment sa culotte, son chapeau, chacun de ses gestes, les étiqueter, dis-je, de ce grand vocable, mis aujourd’hui à toutes les sauces : Social ?
« Je n’en suis pas. C’est pourquoi L’Echo de Paris et moi-même, l’un portant l’autre, sommes traînés aux gémonie par M. Pierre-Henri Simon au nom de la doctrine sociale de l’Eglise. Je n’en dors plus !`éQue dire de mon cas au regard de la doctrine pacifique ? …
Au fond l’hostilité persistante dont je me sens honoré de la part de certains écrivains et de certaines feuilles dits catholiques est provoqué par deux ordres de faits :
« D’abord l’indépendance que j’ai toujours et publiquement affichée vis-à-vis des faux et tyranniques prophètes de tous plumages qui, sans mandat, se disent mensongèrement les interpêtes et les commentateurs autorisés des directives pontificales.
En second lieu, l’opposition que je n’ai jamais cessé de manifester à une politique extérieure qui portait en germe la situation si inquiétante de l’heure présente. Les lecteurs de L’Echo de Paris n’ont sans doute pas oublié ni l’article sur la « griserie de Locarno » (1926) ni les résistances constantes contre toutes les mesures de désarmement unilatéral, jugées fatales aux intérêts de la Défense nationale et à l’indispensable maintien de la paix dans la dignité et la sécuirté du pay.
« Les coryphées de la paix à tout pris, eux, ne peuvent pardonner aux événements d’avoir détruit leurs lâches illusions. Faute de pouvoir incriminer les réalités qui les condamnent, ils s’en prennent avec âpreté, toujours au nom des doctrines de l’Eglise aux esprit qui ont vigoureusement combattu leurs déplorables et dangereuses chimères…
Puis, à soixante-dix lignes de la fin de l’article de la polémique avec P.-H. Simon, auteur, le général passe à l’attaque contre l’institution dont P.-H. Simon est membre :
« Je n’aurai pas pris la peine de relever brièvement certains passages du pamphlet publié par P.-H. Simon, si ce publiciste de la coll. Esprit n’appartenait au personnel enseignant des Facultés catholiques de Lille.
Les catholiques ont soutenu et soutiennent de leur ardente et de leur constante générosité les magnifiques monuments d’enseignement supérieur que sont les Instituts catholiques de notre pays. Ils manqueraient à leur devoir s’ils cessaient de les entretenir…
« Sollicité l’an dernier, de signaler et de recommander à la libéralité des fid§les les légitimes besoins des facultés catholiques de Lille, je m’y suis appliqué de mon mieux en dépit d’une pénible polémique antérieure où j’avais, déjà, rencontré M. P.H. Simon.
« Aussi me sera-t-il permis d’appeler respectueusement l’attention « de qui de droit » sur l’apologue du vieil Esope Le Villageois et le Serpent. Il est dangereux de réchauffer au foyer de nos Instituts catholiques l’enseignement démagogique d’esprits détraqués qui, sous le couvert de l’Eglise, jettent le trouble dans les sentiments patriotiques des âmes, créent l’anarchie dans les esprits et contribuent à déchaîner la lutte des classes. La Jeunesse catholique ne doit-ele pas être soigneusement préservée de tout contact pernicieux avec des doctrines plus ou moins camouflées ?
« En l’espèce, le laisser-dire, le laisser-parler seraient une abdication des plus élémentaires sentiments de probité, de dignité, d’autorité.
« En émettant cve vœu, je suis sûr d’être l’interpr^éte des morts que j’ai connus, des vivant qui me font confiance, en un mot de tous ceux qui ont contribué qutodiennement à la vie de nos indispensables et magnifiques Instituts catholiques.
« Il sera exaucé ! »
Cinglant ! La Hiérarchie mise en cause ! Au nom d’une philosophie sociale sommaire ? A partir d’une attitude sentant « la guerre psychologique » ? Assurément ! Il y a de la déformation professionnelle chez le Général. A sa décharge, l’argumentation de ses adversaires, à la lire aujourd’hui, a des accents d’enfants de chour et leur stratégie feutrée, « jésuitique » (au sens du mot dans la langage de la rue) met non moins mal à l’aise que les outrances frontales du Général. Misères et mystères de l’incarnation catholique !
Cependant, ce n’est pas le moment d’évaluer et ce n’est même pas possible. Sachons raison garder. Revenons aux faits. En nous écartant le moins possible. Encore qu’à l’impossible, nul ne soit tenu !
Quoi qu’il en aille donc, une fois encore le général souleva un tollé et mit les évêques aux cents coups !
Dans les meilleurs délais, Mgr Lesne (nous suivons toujours les informations données par Paul Christophe, op. cit.) tentat de colmater l’émotion du conseil d’administration de l’Institut catholique, des familles et des donateurs en précisant, dans un communiqué, que lui seul, recteur de l’Université catholique, était compétent pour faire des observations aux professeurs.
Malgré les pressions, les évêques parvinrent à sauver la tête de Simon et sa chaire. Pour celui-ci, tout se termina par une lettre ) Mgr Chollet, publiée dans le Bulletin des Facultés catholiques de juin 1936. Il y faisait amende honorable pour « les imprudences qui m’ont été signalées et des erreurs commises en ce qui concerne les choix électoraux ». Non sans ajouter : « Cette mise au point ne touche pas aux thèses fondamentales du livre ». Au bout du compte, heureux et content P.-H. Simon ! Un beau cop de pub – il l’avouera lui-même ! Une belle étape dans la voie de la reconnaissance comme dénonciateur patenté des « bient-pensants ».
UN JOUR QUAND MÊME, IL NE SERA PLUS LA !
Restait le Général ! Que faire face à lui ? de lui ? Le cardinal Liénart n’avait pas apprécié ! « Il n’a pas, comme publiciste, écrivait-il à Mgr Chollet le 10 mai, à compromettre l’Eglise dans des polémiques partisanes. Moins encore admettrai-je qu’il s’arroge le droit de nous envoyer des sommations publiques et de nous dicter impérieusement notre devoir. »
Ah ça ! pour qui prend-t-il les évêques ce général-là !
Aussitôt, il proposa à Mgr Chollet d’écrire à Castenau une lettre privée, collective, de tous les évêques de la province pour protester contre ce type d’agissement. Oui mais… l’archevêque de Cambra, président du Conseil supérieur de l’Institut catholique, fit montre de réticences. Du coup, le Cardinal prit sa plume, rédigea la lettre et l’envoya à Mgr Chollet pour qu’il n’ait plus qu’à la signer et à la faire suivre.
Or l’archevêque résista. Il fit valoir que la situation n’était pas simple. Que Castelnau avait été attaqué : « Il se défend, c’est son droit ». Il souligna aussi que l’on ne pouvait reprocher au général d’insister sur le fait que P.-H. Simon était professeur, alors que celui-ci critiquait le Général de confondre les rôles.
Surtout, ô divine diplomatie, Mgr Chollet proposa au Cardinal de recevoir le Général. Plutôt qu’une lettre froide et qui resterait, mieux valait que le Cardinal sermonna le Général. D’autant que Son Eminence saurait lui faire « part, en ce langage de bonté dont elle a le secret, des regrets que lui a inspiré son article ».
Piégé le cardinal ! Il ne put que trouver l’idée excellente. Toutefois, il esseya d’écarter cette coupe de ses lèvres ! Il répondit ainsi à l’archevêque qu’étant président du Conseil supérieur de l’Université catholique, il lui appartenait de recevoir le Général. Encore une fois, Mgr Chollet ne se laissa pas faire ! ô tennis épiscopal ! digne des grandes chancelleries des Etats ! Dans une lettre du 24 mai 1936, il souleva que le « Président du Comité Supérieur » était compétent pour les relations avec Rome, seulement. Pour le reste, cela relevait du Chancelier. Et le chancelier, c’était Liénart !
En fin de compte, le général de Castelnau ne fut reçu par personne. A croire que le « face-à-face » n’est pas une propension cardinalice. Mais il n’est la propension qu’aucun responsable en France. Michel Crozier a montré cela ! De plus, le cardinal Liénart devait soupçonner – comme aussi Mgr Chollet – que, à travers P.-H. Simon, c’était Sa Grandeur qui était visée.
Le mot ultime de cet incident appartint au cardinal de Rouen, Mgr Petit de Juleville, qui soupira à peu près : « Quand il ne sera plus là, il faudra revoir tout ça ! » CQFD.
On « revit » et corrigea « tout ça » en effet. On prit les mesure « ad hoc ». On les a déjà signalée en partie.
Fini la Fédération Nationale Catholique, lancée la Fédération Nationale d’Action Catholique (fnac), « La France Catholique » allait entrer dans un nouveau cours. Chaneant tout en continuant ? Continuant tout en changeant ou non sans changer ?
Il nous reste à le discerner.
AU REVOIR « LA FRANCE CATHOLIQUE » (premier type) !
Non sans avoir conscience que sur cette France catholique du premier type, il reste beaucoup à préciser. Etienne Fouilloux a bien raison : « On attend toujours le travail d’ensemble qu’appellerait la FNC et sa postérité ». On l’attend d’autant plus que ce « christianisme intransigeant et intégraliste », ce christianisme combattant n’est pas aussi idiot qu’on l’a pu croire. En tout cas, à le creuser, on y met à jour des questions de fond qui éclairent dramatiquement catholique internet et externe.
En plus, l’épisode ne manque pas d’intérêt sous le biais de l’exploration du fonctionnement des sociétés. En définitive, ce vieux général de Currières de Castelnau, cet ultra non conformiste face au « non-conformistes » d’appellation contrôlée, n’enseigne-t-il pas que les individualité peuvent compter dans l’histoire quand elles se donnent pour devise : « Mouillons notre chemise, Tonnerre de Brest » (comme il dit, un jour, à tous vents).
Passons à la deuxième période.