QUI ÉTAIT VISÉ : LE PROFESSEUR OU LE CARDINAL ?
D’autant qu’à quelques années de là, il remit ça, l’irrépressible Castelnau ! Cette quatrième incartade ne fut pas, probablement, la plus bouleversante dans ses effets, elle fut, quand même, la plus tumultueuse et quasiment la plus embarrassante pour les évêques.
Elle surgit à cause du livre-choc publié au début de mars 1936 – à la veille des élections législatives des 24 avril et 3 mai – par Pierre-Henri Simon (futur académicien), professeur de lettres aux Facultés catholiques de Lille et chroniqueur régulier de l’hebdomadaire « Sept » : LES CATHOLIQUES, LA POLITIQUE ET L’ARGENT (Collection Esprit).
Cet essai (de 220 pages environ), très révélateurs de la mentalité de la nouvelle vague des « catholiques de mouvement », prêchait en faveur d’une idée qui fera son chemin – mais ne sera pleinement consacré qu’en 1972 : la légitimité d’un pluralisme politique des catholiques, liberté de choix électoral comprise. Mais on était, en 1936, dans un climat de « fièvre hexagonale ». En outre, P.-H. Simon, qui avait rasssemblé dans ces pages ses articles parus dans Sept, entre le 10 octobre 1935 et le 24 janvier 1936, sous le titre « Les Catholiques dans la cité », s’était laissé aller à les refondre en forme de pamphlet, à leur donner des accents d’attaque tantôt à fleuret non moucheté, tantôt au bazzooka contre les adhérents de la FNC, contre le général de Castelnau – en certaines pages, croqué sous le traits de « Philomaque ou la vertu militaire », en d’autres pris nommément à partie -, contre l’Echo de Paris, ce « journal de parti… partial, découpant l’informtion, insinuant la calmonie par la caricature, attaquant ses adversaires sans souci de justice et défendant ses partisans sans souci de moralité, pas plus que ses procédés, ses positions habituelles ne s’imporant d’un esprit chrétien… » (p. 119).
Redoutant même de n’avoir pas pris position assez explicitement, il avait fini par donner un petit air de manifeste électoral à son essai en y introduisant des scenarii de choix entre candidats qui à deux contre un conseillaient de voter pour le « laïque » plutôt que pour le catholique. Même si certains de ces cas étaient imaginaires, le discours était sans ambiguïté.
Pour en rajouter dans l’agressivité, le 18 avril dans La Vie catholique, l’ouvrage était mis en vedette : « Un livre d’actualité qui sera discuté » et c’était, très spécialement, les orientations électorales qui étaient soulignées.
Tout ayant été mise en ouvre – involontaire ? volontairement ? – pour que LES CATHOLIQUES, LA POLITIQUE ET L’ARGENT fasse « boum ». Le livre fit effectivement « boum ! Boum ! ». Dès le 20 avril 1936 (c. Paul Christophe, 1936. Les Catholiques et le Front Populaire, éd. Ouvrières, 1986). L’Action Française accrochait le grelot et sans ménagement ! Insistant sur la qualité de professeur à l’Université catholique de Lille de l’auteur. Ironisant sur le fait que Philippe Henriot fut considéré pour un « nationaliste » dangereux auquel il fallait préférer un socialiste (Gaston Bergery), alors que quatre ans plus tôt ledit Henriot était le candidat du cardinal Andrieu, archevêque de Bordeaux, etc. Le 23 avril, au contraire, La république – quotidien du radicalisme « rajeuni » – recommandait la lecture du dernier P.-H. Simon.
Comme d’habitude, face à l’émoi dans l’opinion catholique, la Hiérarchie essaya d’amortir et d’étouffer l’incident. Au moins en public. Significatif est le fait que « Sept » confia à Georges Renard – et non à P.-H. Simon – le soin de préciser « à la lumière de notre morale », le « devoir élctoral des catholiques » (Sept 24/4/36). Il est incontestable que ce texte prend beaucoup plus en compte la question de la « liberté religieuse » que ne le faisait P.-H. Simon. On était à la veille du premier tour ! Il est non moins notable que, pendant quelques semaines, la signature de P.-H. Simon disparaît de Sept – qui se montre plus « politique » qu’il ne le prétend ! Il est enfin remarquable que le compte-rendu du livre ne paraît que le 8 mai, dans le numéro d’après le second tour et que cette recension prend ses distances avec l’auteur, collaborateur du journal.
Après avoir indiqué que les thèmes développés sont, sous « une forme plus incivsive » ceux qui furent en substance de la série Le Chrétien dans la Cité, après avoir souligné qu’un tel livre, « examen de conscience en même temps que profession de foi, ne peut nous laisser indifférents », on observe – sincèrement ou précautionneusement ? «: « Disons pourtant que les parties inédites de l’ouvrage ne sont pas d’une inspiration également heureuse. P.-H. Simon a des nerfs de polémistes, certaines trahisons, certaines hypocrisies l’indignent, ce qui est tout à son honneur. Mais alors, il lui arrive de passer la mesure, et c’est toujours une faute. Une faute dont il ne manque pas de faire grief aux bien-pensants quand ils s’en rendent coupable à l’égard de leurs adversaire de gauche : et il a raison de le leur reprocher. Mais alors, pourquoi ne l’évite pas lui-même à l’égard de ses frères catholiques ? Sa critique n’aurait que plus d’autorité. Il y a, ça et là, dans son livre, quelques malices inutiles ou même déplacés qui n’en augmentent pas la force… »
Suit une lettre dans laquelle P.-H. Simon, tout en maintenant sa position, s’explique.
Pendant ce temps, en privé, on s’agite. Le cardinal Liénard, chancelier de l’Université catholique de Lille, qui a lu les journaux, sinon le livre, demande, dès le 2 mai, à Mgr Chollet, archevêque de Cambrai et président du Conseil supérieur de la Catho de Lille de tancer P.-H. Simon. De son côté, le général de Castelnau s’informe et le Ier mai, dans une lettre à l’abé Melchior (cité par Paul Christophe), il se dit d’autant plus décidé d’administrer à P.-H. Simon « une volée de bois vert » qu’il estime que « P.-H. Simon n’était que le porte-parole des néo-catholiques de la « collection Esprit », soutenus par La Vie Catholique, la Jeune République, L’Eveil des peuples, la Terre Nouvelle et autres publications qui ont créé et entretiennent la division dans le milieu catholique ». Il ajoute : « Si je n’obtiens pas satisfaction, je suis très décidé à faire le voyage de Rome… »
Stop ! Ici, après cette dernière phrase, une précision nécessaire ! Le recours à Rome ? Il fut loin d’être le monopole des « cathos d’ordre ». Francisque Gay et les démocrates-chrétiens et les « cathos de mouvement » dans leur ensemble furent loin de le dédaigner. F. Charles-Roux l’a noté (Huit ans au Vatican, 1932-1940, éd. Flammarion) :
« Les catholiques français de partis politiques différents ont malheureusement la manie de se dénoncer les uns les autres au Saint-Siège. J’ai toujours cherché à leur épargner les conséquences de leurs plaintes réciproques. Quand ceux de gauche donnaient à entendre que leurs correligionnaires de la Fédération Nationale Catholique étaient d’encroûtés réactionnaires et le général de Castelnau un vieux radoteur, je me dépensais au profit du glorieux défenseur de Nancy. D’autre part, quand l’Osservatore Romano allongeait une volée de bois vert au journal L’Aube, organe des démocrates populaires, à propos d’un article trop indulgent aux rouges d’espagne, je protestait auprès du Vatican contre la semonce et m’efforçais d’en conjurer une seconde… » (p. 91-92).
Et le 8 mai, c’est la bombe ! L’incident, que les évêques croyaient étouffé, rebondit de plus belle ! A la « une » de l’Echo de Paris, la longue colonne et demi en première page + deux colonnes à la page 2 – riposte du Général, titrée : « une œuvre de division ».