C’est plus fort que moi. Lorsque l’été, je passe sur la petite place du village creusois où je séjourne, je suis attiré par le monument aux morts, surtout pour la liste des quarante noms qui y sont gravés. C’est fascinant. Comment quarante jeunes gens ont-ils pu disparaître dans un village qui comptait, durant la Première Guerre mondiale, 840 habitants ? Il en compte aujourd’hui moins de 300, c’est le résultat de l’exode rural, qui avait d’ailleurs commencé à la fin du XIXe siècle. Mais à ce moment, l’activité agricole restait intense, elle sera de plus en plus réduite après la Seconde Guerre mondiale. C’est donc cette société rurale qui sera sollicitée, de 1914 à 1918, pour un immense sacrifice. Le village sera privé de toute sa jeunesse active. On ne peut qu’en être saisi.
Par rapport à mes enfants et a fortiori mes petits-enfants, j’ai eu le privilège de connaître un certain nombre de vétérans de la Grande Guerre. Je me souviens de telle cérémonie du 11 Novembre où certains d’entre eux racontaient leurs faits de guerre. Il y en avait au moins deux dans cet autre village, du Nord cette fois, qui étaient des survivants de la fameuse tranchée des Baïonnettes à Verdun. Ils se désolaient que l’assistance ne soit pas plus importante pour perpétuer la mémoire de ce qu’ils avaient vécu si intensément. Autre point de repère : j’ai passé mon enfance et mon adolescence dans le département de l’Aisne, et il m’arrivait souvent d’apercevoir la grande croix du Chemin des Dames, qui indiquait que nous étions au cœur des grands champs de bataille. L’évêque de Soissons de l’époque, Mgr Pierre Douillard, était lui-même un ancien combattant, qui retrouvait régulièrement ses camarades au milieu des cimetières militaires et des lieux de mémoire.
Je n’ai pas envie, aujourd’hui, de gloser, de faire la morale ou de tirer les grandes leçons de ce cataclysme. Je me contente de ces visages aujourd’hui disparus, de cette évocation intime de toute une génération sacrifiée, à laquelle me relient la solidarité des générations, peut-être aussi la gratitude, mais encore l’admiration pour tant de courage et d’abnégation.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 11 novembre 2014.
Pour aller plus loin :
- LE MINISTERE DE MGR GHIKA EN ROUMANIE (1940 – 1954)
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Sur le général de Castelnau et le Nord Aveyron.