I – Les scènes évangéliques
Comme tous les enseignants (rabbis ou maîtres) et les prophètes, Jésus a des disciples. Mais nous devons regarder de près la différence opérée par lui, pour y trouver l’amorce du ministère apostolique.
Au niveau du vocabulaire, les Synoptiques distinguent trois niveaux d’auditeurs : la foule, les disciples, et ceux qui vont être l’objet d’un appel et d’une formation spéciale : les Douze. Ils prennent bien soin de nous en donner les noms, listes d’ailleurs divergentes, car c’est le nombre 12, symbolique de la constitution du Nouvel Israël, qui compte. L’évangile de Jean n’emploie pas le mot apôtre mais celui de disciples, pourtant, il parle des Douze lors du discours du Pain de Vie à Capharnaüm et lors de l’apparition après la Résurrection.
En quoi différent-ils de disciples au sens courant du terme ? D’abord, par l’appel un peu abrupt dont ils sont l’objet : « Toi, suis-moi ! », d’où la phrase johannique : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis » (Jean 15,16, et aussi 6,70). Ou encore : « Il appela à lui ceux qu’ils voulaient » (Marc 3,13). D’où la radicalité de leur réponse : « Laissant tout, ils le suivirent » (Luc 5,11). La réciproque est importante : certains qui se proposent de le suivre sont éconduits : « Va chez toi, auprès des tiens, et rapporte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde » (Marc 5,19). Le style de vie qu’il leur propose, s’il n’est pas strictement original, est surtout caractérisé par l’attachement à sa personne : « et il en institua Douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher » (Marc 3,14), en remarquant que le mot compagnons est la traduction d’une expression plus ramassée du grec ou du latin : « pour être avec lui ». La deuxième partie de la phrase est tout aussi importante : le but de ce choix est la mission. Jésus leur en fera d’ailleurs faire une expérience (Matthieu 10 et //). Le mot apôtres choisi par Jésus n’est pas sans signification : « envoyés », leur rôle est la mission. Mais cela comporte aussi l’assimilation à la propre expérience de Jésus. En effet, celui-ci se qualifie lui même d’envoyé du Père (Jean 12,44-49, et les quatre emplois dans le chapitre 17), sans oublier l’allusion à l’occasion de la piscine de Siloé, où Jean précise que le mot signifie envoyé. L’Apôtre est donc uni à Jésus par cette ressemblance à son être profond : envoyé du Père. D’où les paroles après la résurrection : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jean 20,21) (Voir plus loin).
Les trois textes que nous allons étudier maintenant ont ceci de commun qu’ils ne concernent que les Douze. En Jean, cela est signifié par le détail suivant : dans les chapitres 11 et 12 , les seuls intervenants auprès du Christ sont des Apôtres (Thomas en 11,16, André et Philippe en 12,21-22) et il en sera de même dans la longue section des chapitres 13 à 17, celle du Lavement des pieds et de la Cène.
Le Lavement des pieds, en Jean 13 est une scène très riche. Essayons de la comprendre sous l’angle du rôle confié aux Apôtres En effet, en plus de la purification des péchés et l’humilité du Seigneur, il y a la réaction de Pierre devant ce qui lui paraît insoutenable, son maître à genoux devant lui dans le rôle habituellement dévolu aux esclaves. Mais la réponse de Jésus : « Tu n’auras pas de part avec moi » est lourde de sous-entendus. Il y a la référence au psaume 15 : le Seigneur est ma part d’héritage, formule reprise plusieurs fois à propos des lévites dont la seule part, l’héritage, était le service du Dieu de l’Alliance (Deutéronome 10,9 et trois autres emplois dans le même sens dans ce livre, et aussi Nombres 18,20). Quelle est cette part dont parle Jésus ? Il ne s’agit sans doute pas de la vie éternelle promise à tout croyant, ceci à cause de l’absence du mot héritage dans la phrase de Jésus, ce mot signifiant habituellement dans l’évangile la vie éternelle. Il s’agit plutôt d’une association singulière à ce qui est signifié par cette scène : Jésus « mime » les humiliations de sa passion, mais aussi il donne une leçon sur l’autorité dans l’Église, « Si moi, le Seigneur et le Maître… » Jésus en faisant cette humble besogne, au grand scandale de Pierre, apprend aux Apôtres que le rôle qu’il leur confie ne fera pas l’économie de la participation humiliante à son sacrifice. Investis de son autorité, ils devront la vivre dans la plus grande humilité. Certains commentateurs ajoutent que ce lavement des pieds peut être mis en rapport avec le bain rituel de purification des lévites (Exode 29,4) et pourrait aller jusqu’à équivaloir à une « ordination sacerdotale » des Apôtres (Max Thurian). Sans aller jusque là, le P. Feuillet conclut :
Nous pouvons exprimer ainsi la portée de la menace proférée par Jésus à l’encontre de Pierre : si tu n’acceptes pas d’être lavé par moi et si tu rebelles contre les humiliations rédemptrices qui doivent te procurer les dispositions requises pour avoir part à mon sacerdoce et en particulier de te guérir de ton orgueil et de ton esprit de domination, bref, si tu récuses le mystère de la Croix qui doit te purifier, cette participation te sera refusée. (Le sacerdoce du Christ et de ses ministres, p. 132)
Par ce geste, Jésus « consacre » donc les Apôtres à cette mission de communication de son sacrifice. Sans anticiper sur le paragraphe suivant, on doit remarquer que le précepte de réitération du geste eucharistique, que Jean omet dans son évangile, a son homologue dans la phrase du verset 15 : « C’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi comme moi j’ai fait pour vous ».
Le Lavement des pieds est une introduction à toute la série des discours après la Cène. Nous lui avons trouvé un caractère fortement sacerdotal. À la fin de ces discours, le chapitre 17, nommé justement prière sacerdotale va nous instruire encore plus dans ce domaine.
On connaît la division habituelle de ce chapitre en trois parties, prière du Christ pour lui-même (Glorifie ton Fils..), puis pour les Apôtres (Ceux que tu m’as donnés…) et enfin tous les croyants futurs (Ceux qui par leur parole croiront en moi…). Après quelques mots sur la première partie, nous nous intéresserons à la deuxième qui contient la clé du sacerdoce nouveau.
Au début, Jésus prie son Père comme étant « consacré et envoyé » comme Jean lui fait dire en 10,39. Ce verbe consacrer a trois sens : en référence au sacré de l’AT, il signifie la mise à part, mais cette mise à part est en vue d’une relation privilégiée à Dieu, d’où l’autre traduction sanctifier, et le but est d’accomplir une mission, de s’y donner totalement (sens affaibli du verbe se consacrer à telle chose, dans notre français d’aujourd’hui) ; le sens plein, c’est le deuxième verbe employé par Jésus qui l’exprime : envoyer.
On peut approfondir cette visée en disant que Jésus est consacré comme prêtre, celui qui rapproche de Dieu, mais également comme victime, puisqu’il va s’offrir lui-même. On ne peut s’empêcher d’y voir une allusion au chapitre 53 d’Isaïe, le serviteur qui souffre et s’offre pour les pécheurs. Dans la première partie de cette prière sacerdotale, Jean prend le verbe glorifier pour exprimer cette attitude de Jésus : à la fois réaliser et manifester cet envoi pour révéler le Père et unir les hommes à lui par la foi : L’œuvre que tu m’as donnée à faire.
Quand Jésus va prier pour les Apôtres, il va leur appliquer le verbe qu’il s’applique lui-même :
Consacre-les (ou sanctifie-les) dans la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux, je me consacre moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi consacrés par la vérité (17,19)
Cette assimilation à lui-même va donc comporter ce ministère de la Parole auquel il a formé ses Apôtres. Mais cet aspect ne doit pas masquer cette consécration sacrificielle qui est la sienne et qu’ils doivent communiquer en y participant personnellement.
La dernière partie, prière pour les croyants futurs, en insistant sur l’unité, laisse entendre le rôle de gouvernance au service de l’unité qui devra être le leur.
Pour rester dans le données johanniques, analysons les versets 19 à 23 du chapitre 20. Nous sommes au soir de Pâques.
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! …..De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant dit cela, il répandit sur eux son souffle et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, il lui seront remis, Tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés ; ils lui seront maintenus. »
Les commentateurs sont partagés pour savoir si cette scène n’est que le doublet de la Pentecôte de Luc. On sait que Jean propose une vision très ramassée du mystère pascal, ce qu’il nomme la glorification. Elle tient ensemble la mort, la Résurrection, l’Ascension et l’envoi de l’Esprit. Néanmoins beaucoup de choses portent à distinguer les deux événements, principalement ce qui fait l’objet propre de cet envoi de l’Esprit, la rémission des péchés. Celle-ci est présente tout au long de l’évangile, comme grande nouveauté apportée par le Messie. Au grand scandale des contemporains qui pensent à juste titre que Dieu seul peut remettre les péchés (Marc 2,7), Jésus guérit le paralysé en signe de cette rémission des péchés. Il est intéressant de noter que le parallèle de Matthieu conclut : « La foule rendait gloire à Dieu qui a donné un tel pouvoir aux hommes. » Ne sommes-nous pas en présence d’une trace de la pratique de la rémission des péchés par les Apôtres, spécialement envoyés pour cela en Jean 20, 23 ? Nous voyons donc dans ce texte l’intention formelle du Christ de communiquer à ceux qu’il a choisis ce pouvoir divin de rémission des péchés. Le souffle de Jésus, même mot en hébreu que celui de l’Esprit, concrétise le don de ce pouvoir et met l’accent sur le rôle de l’Esprit dans cette rémission.
Le moment décisif de cette mission confiée au Apôtres seuls est l’institution de l’Eucharistie. Même si les femmes qui suivaient Jésus étaient sans doute à proximité, ne serait-ce que pour préparer le repas, il est précisé que ce sont les Apôtres qui partagent ce repas (Matthieu = les douze disciples en 26,20 ; Marc = les Douze, en 14,17 ; Luc = les apôtres en 22,14). Ceci est d’autant plus caractéristique que ce repas était habituellement célébré en famille. La présence des seuls Apôtres n’est donc pas sans signification.
Jésus substitue au rite de la Pâque antique, celui des herbes amères et du pain sans levain, ce rite nouveau de la coupe et du pain en précisant que ce sont son corps et son sang. Il veut par là signifier sa mort : le sang qui quitte le corps, selon la biologie de l’époque. Geste qui explique et inaugure l’acte décisif de son sacrifice. Il est à remarquer que l’agneau pascal est absent de ces textes, mais Jean se plait à souligner que Jésus, véritable agneau, meurt sur la croix à l’heure où dans le Temple on commençait à immoler les agneaux pour la Pâque.
La phrase clé : « Faites ceci… » est donnée par Luc (22,19) et par Paul (1 Corinthiens 12,24). Jésus signifie son offrande par un geste que les Apôtres et leurs successeurs pourront reproduire.
II – Textes apostoliques
Avec les écrits apostoliques, Actes des Apôtres et Lettres, nous abordons le problème du passage à la génération qui suit celle des Apôtres. S’il est avéré que Jésus a donné un rôle précis à ceux-ci, peut-on trouver la trace dans ces écrits d’une transmission à d’autres dans les communautés chrétiennes ?
Les Apôtres ont certes eu des collaborateurs dans leur œuvre d’évangélisation : la liste est éloquente : Barnabé, Jean-Marc, Sylvain, Timothée, Tite… Il faut mettre à part Mathias, dont l’élection, en Actes 1, n’a d’autre but que de compléter le nombre symbolique de 12 ; il n’y est pas question de transmission. Le cas de Barnabé n’est guère plus éclairant. Il est présent dès la première communauté chrétienne (4,6), il joue un rôle important pour faire reconnaître Saul par la autres Apôtres. Mais surtout on lit, au début du chapitre 13 : » Il y avait dans l’Église établie à Antioche des prophètes et des docteurs : Barnabé, Syméon appelé Niger, Lucius de Cyrène, Manaèn, ami d’enfance d’Hérode le tétrarque, et Saul. Or un jour, tandis qu’ils célébraient le culte du Seigneur et jeûnaient, l’Esprit Saint dit : » Mettez-moi donc à part Barnabé et Saul en vue de l’œuvre à laquelle je les ai appelés. » Alors, après avoir jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les laissèrent à leur mission.Il y a donc un geste explicite d’envoi en mission. Y a-t-il transmission de pouvoir ? On peut remarquer que Saul est dans le même envoi, alors qu’il se proclamera apôtre par la volonté directe du Christ (1 Corinthiens 1,1). Mais il se dit aussi « mis à part » ( Romains 1 ,1), comme dans le texte ci-dessus, en se souvenant que ces mots sont une des significations du verbe « consacrer » employé en Jean 17. Enfin, la liturgie qualifie Barnabé d’apôtre. Le cas de figure ne semble donc pas être le bon. Nous devons conserver de ce texte le fait que l’imposition des mains est faite par plusieurs.
On peut faire référence à l’institution des Sept, en Actes 6. Il y a choix, prière, imposition des mains par les Apôtres, là aussi au pluriel. La curiosité réside dans les pouvoirs transmis : désignés pour résoudre le problème du service aux tables, afin que les Apôtres « restent assidus à la prière et au service de la Parole », ils se mettent incontinent à prêcher !
Les choses deviennent un peu plus claires dans les lettres de Paul, celles que l’on qualifie de Pastorales, parce qu’elle s’adressent à ceux auxquels il a confié un rôle dans les communautés qu’il a fondées. Y sont traités les problèmes de gestion des communautés. À Timothée, il rappelle « les prophéties prononcées sur toi » (1 Timothée 1,18), et plus loin, il précise : « Ne néglige pas le don spirituel qui est en toi, qui t’a été conféré par une intervention prophétique accompagnée de l’imposition des mains du collège des presbytres » (4,14). On remarquera que le pluriel ne concerne plus les Apôtres mais une nouvelle catégorie : les Anciens ou presbytres. Ceci est nuancé par le texte du début de la 2° lettre où Paul parle de l’imposition de mes mains.
Avec le mot de presbytre, nous entrons dans la difficile question du vocabulaire concernant ceux auxquels il a confié le ministère. Il est parlé, parfois indistinctement d’épiscope (= celui qui regarde par dessus, littéralement surveillant, d’où viendra le mot évêque), de presbytres, ceux que Tite ne doit pas oublier d’établir partout où il passe (Tite 1,5) et qui selon 1 Timothée 5,17, exercent la présidence (contre rémunération !).
Le sommet de confusion est atteint dans le début de la lettre aux Philippiens : « Paul et Timothée, serviteurs du Christ Jésus ; à tous les saints dans le Christ Jésus qui sont à Philippes, avec leurs épiscopes et leurs diacres » et où sont passés les presbytres ?(1,1).
Nous ne pouvons tirer de cette brève étude que deux conclusions : il y a eu transmission par le geste de l’imposition des mains, mais les précisions manquent sur les différentes qualités de récipiendaires. On peut risquer alors une hypothèse sur le passage du pluriel au singulier : plus on s’approche de la disparition des Apôtres, témoins uniques de la foi et dépositaires des intentions du Christ, plus on éprouve le besoin de remplacer l’aspect collégial des presbytres ou des épiscopes par un témoin plus personnel, qui soit plus à l’image d’un Apôtre.
C’est peut-être ce qui apparaît avec le texte de l’Apocalypse de Jean, le plus tardif du Nouveau Testament : l’auteur s’adresse, dans les lettres aux sept églises (chapitres 2 et 3), à leur Ange. Tout d’abord, il faut constater que ces lettres sont en rapport avec la vision grandiose du chapitre 1 où le Christ apparaît indubitablement dans son rôle sacerdotal (logue robe, comme celle du Grand Prêtre, parente de la tunique sans couture de Jean 19,23), doublé du rôle de roi (ceinture royale), il faut ajouter les étoiles qu’il tient dans sa main qui sont les Anges (1,20). C’est lui qui s’adresse aux Églises dont il garde le gouvernement à travers ces Anges qu’il tient en sa main. Ceux-ci sont peut-être leurs protecteurs célestes (concession faite aux conceptions juives de l’ordre du monde), mais sans doute aussi leurs responsables terrestres, leurs chefs hiérarchiques, responsables devant le Christ de la sanctification et de la bonne marche de leurs Églises. On aurait ainsi une perception de ce passage de l’autorité des Apôtres à des responsables plus récents, mais surtout, ceux-ci seraient liés au Christ par leur participation à son rôle sacerdotal et royal.
III – Réflexion théologique
* La première chose qui surprend est l’absence du vocabulaire sacerdotal pour parler du ministère de la Nouvelle Alliance. Le Christ lui-même n’est appelé prêtre (en grec hiereus) que dans la lettre aux Hébreux, et encore en précisant qu’il est Grand-Prêtre. Certes, nous avons vu à travers les textes de Jean, combien se profile une attitude sacerdotale pour le Christ : offrande de lui-même pour les autres, et combien cette perspective peut être mise en relation avec l’attitude attribuée au Serviteur en Isaïe 53. Quant à ceux que le Christ associe à lui dans le ministère de la Nouvelle Alliance, le titre de hiereus ne leur est jamais appliqué, mais on voit surgir les nouveaux mots de presbytres, épiscopes et diacres.
L’explication est à chercher dans deux directions. La radicale nouveauté de ce ministère par rapport au sacerdoce de l’AT : il n’y a plus de sacrifices d’animaux comme dans le Temple, il y a d’abord l’annonce de la Bonne Nouvelle, en particulier celle de la rémission des péchés, il y a un culte nouveau, celui des sacrements, quant à la gouvernance d’une partie du peuple, elle échappait totalement au sacerdoce ancien. Comme celui-ci était très présent dans l’esprit des premiers chrétiens, encore imprégnés du culte du Temple, il fallait pour une réalité nouvelle un vocabulaire nouveau. Le même argument sert à manifester la distance par rapport aux sacerdoces païens. Ce n’est que lorsque la confusion ne fut plus possible que l’on a pu utiliser le vocabulaire sacerdotal pour le ministère de la Nouvelle Alliance en soulignant toujours qu’il est une participation au sacerdoce du Christ.
Cette nouveauté de joindre en un seul personnage les trois fonctions voulues par le Christ dans le ministère de la Nouvelle Alliance : transmission de la foi, sanctification par le culte et autorité sur le troupeau, est profondément originale. On ne trouve pas ailleurs cette jonction, ni dans le Judaïsme, ni dans les groupes et sectes de cette époque, encore moins dans les cultes païens.
* Le problème le plus important et qui a fait beaucoup débat dans les dernières décennies, est de rejoindre les intentions du Christ. Pour parler autrement, le sacerdoce chrétien est-il voulu par le Christ, institué par lui, ou est-il simplement la nécessaire organisation que l’Église s’est donnée, même assistée de l’Esprit Saint ?
La première réponse jaillit des nombreux indices de la volonté du Christ que nous avons relevés : partager, non seulement son propre être, par la communication de sa vie divine (faire de nous des enfants adoptifs du Père qui l’a envoyé est la vocation de tout baptisé), mais donner à certains hommes un rôle spécifique, celui de communiquer ce qui est sa propre mission, une offrande au Père en faveur des autres, au prix de sa souffrance. C’est en ce rôle que la Lettre aux Hébreux va découvrir le Sacerdoce du Christ. Mais les textes que nous avons analysés permettent de dire que Jésus y a associé de manière spécifique ceux qu’il a appelés. C’est en Jean que les allusions au rôle sacerdotal du Christ, sans en jamais prononcer le mot, sont les plus fréquentes. Mais nous avons vu que les autres évangiles témoignent aussi de l’intention du Christ de s’associer ceux auxquels il va donner un rôle et une formation spécifique.
Il y a ensuite la certitude que dès le début de l’Église, s’est affirmé le rôle privilégié de certains chrétiens unis plus spécifiquement au Christ et qui recevaient cette consécration des Apôtres.
* Ce qui complique la recherche est que cette qualité, vite affirmée dans les collaborateurs que les Apôtres se sont donnés, est brouillée par l’imprécision de vocabulaire dont nous avons parlé. Nous voudrions trouver dans les Actes des Apôtres ou dans les Lettres, la nette affirmation des trois degrés du sacerdoce. Nous devons y renoncer et, dans l’état actuel des études bibliques, nous contenter d’affirmer l’existence de cette transmission, sans que les précisions nous en soient fournies. En prenant un peu de hauteur, ne peut-on affirmer que si le Christ a initié une possibilité de transmission de son être sacerdotal, ne l’a-t-il pas muni de la possibilité même de gérer au mieux cette transmission ? Il y a là une sorte de redoublement de la capacité de transmettre.
* Revenons sur la participation à l’offrande rédemptrice du Christ. Elle est demandée à tous les baptisés. Ils ont tous à dire la Bonne Nouvelle de la Révélation de Dieu en Jésus-Christ et du salut par son sacrifice pascal, ils ont tous à vivre cette transformation de leur être par la participation au sacrifice du Christ, non seulement liturgiquement dans l’eucharistie, mais quotidiennement par leur effort de sanctification, ils ont part à la responsabilité de la communauté chrétienne en étant des membres actifs de l’Église, on peut y ajouter ce sur quoi le Concile Vatican ll a insisté : leur responsabilité dans la construction d’un monde un peu plus conforme à la volonté de Dieu. Ces trois aspects constituent le sacerdoce commun des baptisés, tel qu’en témoigne la 1° lettre de Pierre (1,5 qui cite Exode 19,6). Cette certitude d’être un peuple sacerdotal est un bien commun avec le Judaïsme. Cela sonne-t-il le glas d’une réalité du sacerdoce ministériel différent en nature et non pas en degré du sacerdoce commun ?
Là aussi, nous constatons un effet qui vient du Christ, cette sorte de redoublement du don. Le ministère de la Nouvelle Alliance n’est pas un statut de « super-baptisés », il ne découle pas de ce qu’on nomme les conseils évangéliques donnés par Jésus pour aller au plus profond de l’expérience sanctifiante du baptême. Il est le fruit d’une initiative spécifique du Christ pour munir son Église d’une relance de cette expérience pascale et baptismale. Ce « munus triplex », transmission de la foi, aptitude à célébrer le culte nouveau, rôle spécifique dans la communauté, prend dans l’institution sacerdotale un aspect et une dimension qui en change profondément la nature : la transmission de la foi devient la voix autorisée de l’Église, et non plus le simple témoignage du croyant, le culte est confié en tant que rassembleur et président au nom du Christ, une délégation de l’autorité du Christ, bien entendu considérée comme un service, est constructrice, parfois fondatrice, de la communauté chrétienne. Nous aurons à approfondir cet aspect dans l’étude prochaine sur le sacrement de l’Ordre.