Dans mon livre « L’existence de Dieu et l’instinct de foi », je traite de l’histoire de Liu Zhenying qui vivait sous la « Révolution culturelle » de Mao Tsé Tung lorsqu’il était adolescent. La possession d’une Bible était alors passible de prison, de torture et même de mort. Dans des circonstances miraculeuses, Liu Zhenying s’est vu confier une Bible, a mémorisé le Nouveau Testament et a finalement commencé à fonder des « églises domestiques » à travers toute la Chine. Il a finalement été exilé après un long emprisonnement, et a reçu asile en Allemagne. Après avoir assisté à plusieurs services protestants, il a exprimé sa surprise de ce qu’on ne mentionnait quasiment jamais l’Enfer.
Beaucoup de catholiques ne trouveraient pas cela étonnant. J’ai vécu, travaillé et étudié dans différents états, mais je ne peux pas me rappeler une homélie ou un sermon sur l’Enfer – à part peut-être lors de « missions » venues dans les paroisses au cours des années 50. Évidemment, j’ai vécu les quatre dernières décennies dans le Milwaukee, un bastion du libéralisme politique et religieux – alors mon expérience peut ne pas être représentative.
Au cours d’une recherche informatique sur les Évangiles, j’ai découvert que Jésus parle explicitement de « l’Enfer » ou de « l’Hadès » environ vingt-cinq fois, si on excepte les paraboles mentionnant les « ténèbres extérieures » (Mt. 22:13), la « fournaise » (Mt 13:42) etc. Jésus pointe quelques péchés spécifiques qui peuvent conduire au « feu de l’Enfer » – par exemple haïr intensément quelqu’un (Mt. 5:22), être sans pitié pour les pauvres et les nécessiteux (Luc 16:23) et le « péché contre l’Esprit » (Mt. 12:32), que certains Pères de l’Église interprètent comme l’impénitence finale de quelqu’un qui a reçu de grandes grâces.
L’avertissement de Jésus comme quoi l’on devrait être prêt à s’arracher un œil ou se couper un bras ou une jambe pour éviter l’Enfer est interprété de façons diverses par les Pères de l’Église – parfois de façon métaphorique comme avec Bède le Vénérable (« Un ami est appelé un pied en référence aux services qu’il nous rend en allant ici et là puisqu’il agit comme s’il était à notre service. Un ami utile, anxieux et d’esprit pénétrant est appelé un oeil ») mais parfois en référence aux péchés à proprement parler, comme avec Jérôme (« Comme Il a placé la lubricité dans l’action de regarder une femme [pour la désirer], il en résulte qu’Il appelle l’oeil la pensée et le sens qui nous poussent à avoir une aventure ici ou là. »)
Évidemment, les références explicites ou implicites à l’Enfer que fait Jésus arrivent souvent dans les lectures aux messes du dimanche. Il serait donc étrange qu’un prédicateur n’évoque pas, au moins occasionnellement, cet élément de base de la doctrine catholique.
Pour ne voir que le bon côté de cette apparente lacune, je suppose que l’intention des dits prédicateurs peut avoir été d’insister sur l’amour plutôt que sur la crainte. Ils espèrent que l’insistance sur l’amour de Dieu déclenchera chez les pécheurs un état de « contrition parfaite », l’élan de charité, qui amène le pardon des péchés, même mortels, avant même la confession. Même une personne qui, en raison d’une ignorance crasse ou d’obstacles insurmontables, n’a pas accès au sacrement de réconciliation peut être capable de contrition parfaite. Mais qui parmi nous peut être sûr que sa contrition est parfaite dans ce sens ? Dans la doctrine catholique, la crainte de l’Enfer et l’intention d’éviter des péchés ultérieurs sont suffisantes pour une bonne confession.
Mais nous entendons souvent : un Dieu bon et miséricordieux ne devrait-il pas être capable de sauver même les pécheurs les plus endurcis sans exigence de repentance et de confession ? La question devrait être formulée autrement : dans la perspective du libre arbitre, serait-il possible pour quelqu’un qui a résisté à Dieu et fait souffrir les autres durant sa vie d’entrer dans un royaume d’amour universel (ce que le Ciel est supposé être pour les chrétiens) ? Est-ce qu’un état d’esprit ancré, exprimé dans des actions concrètes, peut être miraculeusement vaincu à l’heure de la mort ?
Comme je le mentionnais dans un article précédent, le fait que même des anges ont choisi volontairement l’Enfer plutôt que le Ciel semble déconcertant. Les anges, pures créatures spirituelles sans passions ni handicaps mentaux selon Saint Thomas d’Aquin, avaient une connaissance parfaite de ce qu’ils faisaient en rejetant Dieu, aussi bien que des châtiments qui en résulteraient. Leur châtiment est-il moins sévère parce qu’ils n’ont pas de corps ? Ou au contraire plus grand ?
Même pour les humains, brûler du feu de la haine peut être plus douloureux qu’aucune souffrance physique. Saint Thomas mentionne une glose sur Jean 3:5 évoquant la souffrance des anges déchus : « ils portent avec eux le feu de l’Enfer partout où ils vont. » Pourquoi ont-ils fait ce choix irréversible ? Simplement pour lancer leur propre royaume ? Ou pour éviter de servir le Créateur ?
Notre-Dame de Fatima, montrant une vision de l’Enfer à trois enfants le 13 juillet 1917, attirait l’attention sur un feu intérieur plutôt qu’extérieur – les âmes en Enfer étaient « soulevées dans l’air par les flammes qui sortaient d’elles, en même temps que de gros nuages de fumée. » Notre-Dame a déclaré peu avant sa mort à Jacinta, l’un des enfants, que beaucoup des âmes en Enfer y étaient en raison de « péchés de la chair. »
L’intention de Notre-Dame en révélant l’Enfer n’était pas d’épouvanter les enfants mais de les inciter à prier afin de sauver tous les pécheurs d’un tel destin. C’est aussi une importante incitation pour nous et pour les prédicateurs à aborder le sujet à l’occasion.
Dans notre vie profane, il y a tant de distractions, tant de préoccupations. Qui a le temps ou la motivation pour penser à la vie dans l’au-delà ? Platon, Aristote et d’autres philosophes y pensaient pas mal (Platon avait même émis la supposition d’une récompense finale ou d’un châtiment final) et affirmaient avoir des preuves convaincantes de son existence.
Mais ils ne connaissaient rien à l’évolution, et l’évolutionnisme a développé un « substitut d’au-delà » – nous sommes censés être ici pour contribuer à la sélection naturelle, protéger l’environnement, réduire notre « empreinte-carbone » et ainsi contribuer au progrès sur la terre.
Ce qui, bien évidemment, offre un vif contraste avec ce qui a été révélé aux chrétiens : la vie individuelle après la mort, en dépit de tous les « progrès » n’est pas un mythe. Et réfléchir aux « fins dernières » est indispensable, même si l’on n’est pas philosophe.
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Howard Kainz est professeur émérite de philosophie à l’université de Marquette.
Illustration : « l’Enfer », par Frans Memling, vers 1485 (Musée des Beaux Arts de Strasbourg)
source : http://www.thecatholicthing.org/2015/08/06/hell-you-say/