L’ouverture du Jubilé de la Miséricorde coïncidait pour nous avec une intense période de mobilisation politique. Il était difficile de mettre en accord des séquences qui relevaient de deux ordres pascaliens très différents, si différents qu’il arrive fréquemment qu’on les oppose. Le machiavélisme oppose fondamentalement la virtu, propre au Prince, aux vertus évangéliques, celles dont le général de Gaulle lui-même déclarait qu’elles ne prédisposaient pas à l’Empire. Pourtant, il faut croire tout de même qu’il y a interférences entre les ordres, dès lors que celui de la charité vient nécessairement éclairer de l’intérieur toutes les actions humaines. Il y a aussi des impératifs évangéliques qui apparaissent catégoriques, au sens où leur déni détériore et détruit les relations humaines. D’ailleurs, le débat de ces derniers jours, du moins dans les milieux chrétiens, s’est référé directement à l’incompatibilité du programme du Front national avec l’esprit de l’Évangile.
Notre confrère Jean-Pierre Denis, dans un éditorial de La Vie, écrivait : « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli. Il n’y a pas à tortiller : le message du chapitre 25 de l’Évangile de Matthieu n’est contredit par aucun autre texte. En outre, il est associé à la perspective du Jugement dernier. » Impossible, en effet, de contredire pour un chrétien ce qui correspond à l’ordre formel du Christ et définit l’éthos même du christianisme en tant qu’amour du prochain et service du pauvre. Cependant, la traduction politique de l’Évangile n’est pas forcément évidente, elle est liée à un discernement des situations et à une approche prudentielle des solutions. Impensable de ne pas prendre la mesure des médiations nécessaires, sans lesquelles les préceptes les plus incontestables deviennent chimériques. Le plus saint des politiques ne peut ignorer un ordre de nécessités qui s’impose à lui. L’angélisme dénoncé par Pascal conduit au désastre par méconnaissance des réalités élémentaires et des déterminismes inflexibles. On le voit bien en ce moment, avec la chancelière allemande, Angela Merkel, contrainte de revoir de façon drastique l’accueil inconditionnel qu’elle préconisait pour les masses de migrants venus du Proche-Orient. Tout n’est pas possible, même s’il faut conjuguer tous les moyens pour rendre l’impossible vraisemblable.
Il existe une différence chrétienne qui doit affecter l’action des responsables. Différence qui modifie profondément, sans l’abolir, l’essence de l’autorité et le champ de son exercice. Mais ce pourrait être une des grâces du Jubilé de la Miséricorde que d’inspirer à tous ceux qui sont chargés du bien public, ou s’en soucient, la perspective d’une modification du pouvoir, dans le sens d’une prise en charge du pauvre conjuguée avec un approfondissement du discernement.