UN CONCILE A L’HEURE DE L’AFRIQUE - France Catholique
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Marie, secours des chrétiens
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UN CONCILE A L’HEURE DE L’AFRIQUE

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Le Concile Vatican II, qui a coïncidé avec la décolonisation 1 , a été la chance de l’Afrique. Il a inauguré un « printemps de l’Eglise » en Afrique 2 . Cinquante ans après, la maturité est venue.

La radicalisation de l’Islam noir, disais-je dans ma dernière chronique, contrastait avec l’africanisation du Christianisme qui s’est produite durant cette période. Je reprends ce qui n’était qu’une incidente de ce texte et qui demande à être expliquée et développée : « une « inculturation » bien pensée mais parfois mal cadrée, qui est apparue à certains Musulmans – et à d’autres – comme une forme de « retour aux fétiches », mettant en avant des « valeurs africaines » certes authentiques, méconnues dans le passé colonial, mais qui devaient être vécues comme un préalable à une entrée dans la mondialisation plutôt que comme une sorte de substitut à celle-ci. »
Fort intelligemment, l’Eglise africaine a globalement su éviter ces travers et faire de cette « inculturation » une réelle appropriation du mystère du Christ et de l’Eglise. Les théories sur la négritude ou le panafricanisme ont marqué une génération mais elles ont passé. La « théologie africaine » est restée. La « Conscience noire », le tiers-mondisme ou « la révolution africaine » (Fanon) n’y ont pas suscité de « théologie de la libération ». L’Afrique a échappé aux déchirements de l’Amérique latine. Ce qui n’a pas empêché l’Eglise d’être la première ONG de développement sur le continent. La raison de ce succès, par l’action de l’Esprit-Saint, est que l’Eglise d’Afrique n’est pas constituée d’abord d’adhérents individuels coupés de leurs racines, réfléchissant par eux-mêmes en dehors de toute contingence, mais, immédiatement, de la vie même des communautés de base, la famille élargie, confrontée dans son quotidien à un environnement précaire sinon hostile : géographie, pauvreté, santé, mais surtout, de façon générale, toutes les contraintes lourdes de partage qui sont le revers de la solidarité du vivre-ensemble qu’on lui envie souvent. Ceci est vrai des campagnes comme des villes, car il persiste – et est parfois exacerbé – dans la modernité.

Le premier synode des évêques sur l’Afrique en 1994 avait développé en priorité « l’inculturation », la compréhension du message du Christ selon une culture propre désormais reconnue comme telle. On ne dira jamais assez l’amour que les Catholiques africains portent jusqu’à ce jour au pape Jean-Paul II qui leur consacra 40 de ses 110 voyages à l’étranger et porta haut ce message qui était encore en pointillé dans les documents conciliaires et le premier voyage africain d’un pape, Paul VI en Ouganda en 1969. Pour avoir été un témoin privilégié du voyage de Jean-Paul II au Burkina Faso en 1990, je sais ce que cela veut dire. Nul n’avait mieux compris l’Afrique « qui chante et qui danse », sans oublier pour autant celle qui pleure et qui a faim. Le second synode en 2009 a mis en avant les problèmes de société, signe déjà de la maturité. Les problèmes d’identité ne sont certes pas tous résolus, mais on en a pris la mesure. Ils ne font plus problème, notamment dans le rapport à l’Europe, à la colonisation et à la mission. Ils ne sont plus centraux dans la relation avec l’autre ou dans l’affirmation de soi. L’Eglise d’Afrique n’a plus à se situer par rapport au monde extérieur, ce qui correspondait à la situation post-conciliaire. Elle a dépassé ce stade, mais aussi elle se retrouve aujourd’hui seule face à elle-même. Elle n’a plus de référent. C’est à elle d’annoncer la Bonne Nouvelle à ses semblables. Il lui revient d’inventer ses propres voies de rapport au politique et à l’économique. Après la vogue des conférences nationales des années 1990 , où des prélats ou des clercs avaient été engagés, mais pas l’Eglise en tant que telle, c’est aujourd’hui à une démarche globale de l’Eglise-famille que l’on appelle. Nous en sommes encore loin : le premier synode avait coïncidé avec le génocide au très catholique Rwanda, qui l’a pris par surprise et dont on en est toujours à tirer les leçons. Notamment dans ce grand voisin, chrétien s’il en est, porteur de grandes espérances, théologiques, liturgiques et pastorales, de l’Eglise d’Afrique, le Congo démocratique, qui n’a pas encore guéri de son histoire. Le Kenya, qui cherche à exorciser le souvenir des émeutes post-électorales fortement ethnicisées du début 2008, est un autre test difficile alors que la campagne bat déjà son plein en vue des prochaines élections prévues en mars 2013, sous le regard vigilant de la Cour Pénale Internationale (CPI). Le président sortant et les candidats les plus en vue, dont le fils du père de la Nation, Uhuru Kenyatta, poursuivi devant le tribunal de La Haye, sont catholiques !

C’est à partir du dedans de l’Eglise, du mystère renouvelé de l’Eglise en Afrique, que l’Afrique trouvera sa place et son rôle dans l’Eglise universelle (titre de l’exhortation apostolique post-synodale de Benoit XVI : « Africae Munus »). Qualifiée par le Saint-Père de « poumon spirituel de l’Humanité», l’Afrique porte une lourde responsabilité. L’Eglise d’Afrique a pour mission d’apporter le Christ aux Africains mais pas seulement, à tous les hommes. Une Eglise ne peut convertir les siens que si elle est authentiquement porteuse d’un message universel. C’est ce qu’elle a su bien voir : elle ne prêche pas un Christ noir ou un Christ esclave, mais le Christ mort sur la Croix et ressuscité. C’est ainsi qu’elle parle aux siens autant qu’à tous les hommes, noirs ou blancs, esclaves ou hommes libres.

Sa spiritualité parfois nous déconcerte. L’Africain croyant n’est pas naturellement enclin à quitter les siens ou sa terre pour embrasser la foi ni même le sacerdoce ou la vie religieuse. Les vocations contemplatives ou monastiques sont exceptionnelles. Mais il est d’autres formes de spiritualité, d’autres charismes. En l’occurrence celui de la Charité, du partage, de l’unité, du pardon. Là aussi tout reste à décrire.

Cette Eglise ne passe pas son temps à redouter l’activisme des pentecôtistes ou à se défendre contre le djihadisme Musulman. Elle se contente de faire son métier, de tracer son sillon. Elle sait que si elle est fidèle les gens n’iront pas voir ailleurs ou reviendront à leur mère.

  1. Je reprends le titre du texte d’ouverture daté d’août 1962 d’un petit ouvrage publié par « Présence Africaine » à l’intention de l’Episcopat africain à Rome sous le titre « Personnalité africaine et catholicisme ».
  2. Quelques chiffres : En 1962, 20 millions d’Africains catholiques ; en 1978, 55 millions ; aujourd’hui 160 millions.

    En 1962, 4% des Catholiques dans le monde sont Africains, aujourd’hui presque 16%.

    En 1962, un seul cardinal africain (Mgr Rugambwa au Tanganyika) ; aujourd’hui 15.

    En 1962, 60 évêques africains (sur 260 diocèses d’Afrique) sur 2500 pères conciliaires; aujourd’hui 632 sur 5104.