SUR LA « CURE PSYCHANALYTIQUE » - France Catholique
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SUR LA « CURE PSYCHANALYTIQUE »

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Aborder dans la presse des sujets touchant à des maladies graves fait ouvrir à l’écrivain l’étendue de sa responsabilité. Depuis toujours, les médecins du corps et de l’âme savent que le plus puissant des remèdes, c’est l’espoir. Ils savent aussi que l’espoir déçu est le plus néfaste des poisons.

A la suite de mes articles sur les maladies mentales1, j’ai reçu plusieurs lettres angoissées – et angoissantes – que l’on pourrait résumer ainsi : « S’il est vrai, comme vous l’avez émit, que les psychoses et la plupart des névroses ont une origine génétique ou organique, que l’âme malade traduit une défaillance physique, et si (par voie de conséquence) la prétention de la psychanalyse à guérir l’âme par voie de bavardage est totalement illusoire, alors, monsieur, moi qui suis en train de subir une psychanalyse dans l’espoir de guérir, je suis donc engagé dans une voie sans issue ? Je ne guérirai donc jamais ? L’enfer où je me débats est donc irrémédiable ? » Et l’un de ces lecteurs a même ajouté ceci, qui m’a fait frémir, et à quoi depuis je ne cesse de penser « S’il en est ainsi, monsieur, je préfère mourir, comme Montherlant. »2

Non pas une science mais une doctrine

On me permettra de donner en hâte (et de façon par conséquent sommaire, quitte à y revenir plus en détail dans d’autres articles) quelques réponses essentielles à ces questions.

1. Que les psychoses et la plupart des névroses (sinon toutes) aient une origine organique ou physiologique, cela est tout le contraire d’un motif de désespérer. Car l’arsenal de la psychopharmacologie s’enrichit chaque jour. Notre connaissance des mécanismes cérébraux progresse à pas de géant, et la France est au tout premier rang des recherches dans ce domaine. Le neurologue n’est plus désarmé devant les maladies de l’âme, précisément dans la mesure où l’on sait de mieux en mieux atteindre l’âme à travers son instrument physique, à travers son support matériel : le système nerveux.3.

2. L’état psychologique de chacun dépend en premier lieu de ce que Claude Bernard a appelé le « milieu intérieur ». Le milieu intérieur est, dans les circonstances normales, un équilibre harmonieux entre les systèmes nerveux central et autonome et le système endocrinien (les glandes). Il a été particulièrement étudié par Gastaut (qui est présentement président de l’Université de Provence)4. On commence à savoir bien agir sur l’équilibre de ce milieu intérieur en intervenant électivement, ici ou là, à l’aide d’une pharmacopée de plus en plus efficace et spécialisée.

Il est vrai que beaucoup de déséquilibres de ce milieu intérieur semblent d’origine héréditaire. Mais encore une fois, dès qu’une cause est physique, les moyens physiques, c’est-à-dire les médicaments, peuvent agir sur elle. Le nombre est grand des déficiences héréditaires, jadis irrémédiables, que l’on sait maintenant compenser jusqu’à en effacer complètement les effets par une médication d’entretien appropriée.

3. Venons-en au point le plus délicat. Les lecteurs qui me demandent s’ils doivent poursuivre leur cure psychanalytique ne peuvent attendre de moi que des références scientifiques, non des conseils, que je ne suis pas habilité à leur donner. Ces références scientifiques, ce sont les faits démontrés par la recherche et admis par les chercheurs.

Un premier fait (admis par les psychanalystes et par Freud lui-même), c’est que la psychanalyse dans sa démarche ne procède pas par prévision hypothétique et contrôle expérimental aboutissant à l’acceptation ou au rejet de la prévision. Comme ce type de démarche est la définition même de la science, que hors de là il n’y a pas de science, il s’ensuit que la psychanalyse n’est pas une science, mais une doctrine.

Avoir une doctrine, y adhérer, l’approfondir sont assurément des activités légitimes. Mais à condition que la doctrine se reconnaisse pour telle. Si elle revendique le statut d’une science, alors, c’est une fausse science.

Il existe une science des activités psychologiques de l’homme : c’est la psychologie. La psychanalyse n’en fait pas partie. Elle n’y occupe qu’une place historique, comme l’alchimie dans l’histoire de la chimie. Aucun des mythes freudiens n’a jamais pu être formulé en termes d’hypothèse testable par l’expérience. Tout cela a été bien montré par les spécialistes de la méthodologie scientifique (a)5. Les seules idées d’origine psychanalytique dont on ait réussi à tirer un parti expérimental sont les idées d’introversion et d’extraversion, qui sont d’ailleurs jungiennes (b).

Cependant, on a vu parfois des névroses guéries par la psychanalyse ? C’est exact. Mais on en a vu beaucoup plus encore guérir soit spontanément soit par le phénomène de conversion étudié par le psychiatre anglais William Sargant (c). L’adhésion bouleversante à une doctrine, aussi bizarre soit-elle, peut guérir les névroses, comme je l’ai montré dans mon étude sur les Sectes (d). La cure psychanalytique vise à une conversion aux mythes freudiens. C’est ce qui explique la métamorphose contemporaine du freudisme en une pseudo-religion et l’impossibilité de toute discussion rationnelle avec ses adeptes, qui opposent à l’examen scientifique une attitude passionnelle.

Le fait que les névroses guérissent souvent, soit spontanément soit par conversion, est du reste lui aussi très encourageant pour le névrosé : il montre que le terrain héréditaire névrotique est nécessaire à l’apparition de la névrose, mais non suffisant, que l’on peut hériter de ce terrain sans devenir névrosé et, après avoir été névrosé, cesser de l’être.

4. A la question : faut-il commencer, ou continuer, ou abandonner une cure psychanalytique, il semble donc que les faits répondent d’eux-mêmes. Quoique la doctrine psychanalytique soit dénuée de tout fondement scientifique, il est certain que les psychanalystes, toute doctrine mise à part, acquièrent à la fréquentation de leurs malades une grande expérience humaine ; quand ils ont des qualités de cœur, de sympathie, de compréhension, ils peuvent aider le malade à s’accepter tel qu’il est, en attendant une vraie médication ; Freud et Jung (j’ai un peu connu ce dernier) étaient des hommes bons.

« Ça s’arrangera tout seul ! »

Mais Freud lui-même n’avait guère d’illusion sur l’effet réel de sa doctrine. Il déclara un jour au psychanalyste américain Smiley Blanton : « Vous êtes trop anxieux à l’égard de vos patients. Il faut les laisser dériver, les laisser travailler à leur propre salut… Ne nous tracassons pas ! Ça s’arrangera tout seul ! (e) »

Dans la mesure cependant où, par effet de conversion, la psychanalyse viendrait parfois à guérir quelqu’un (ce qui, de toute façon, semble plus rare que l’effet contraire d’aggravation), il semble qu’à tant que de se convertir, on peut choisir mieux qu’Œdipe, le phallus, le stade anal, et tous ces mythes bizarres nés d’un cerveau plus fécond que sensé.

Aimé MICHEL

(a) Notamment par le plus respecté des philosophes des sciences, Karl R. Popper, dans Conjectures and Refutations (Londres, 1969, p. 33, 37, 39, 357, etc.).

(b) Eysenck : Dimensions of personality (Londres, 1947) ; Neymaun et Yacorzynski : Studies of introversion-extraversion… in psychoses (Journal of General Psychology, n° 27, p. 41), etc.

(d) Aimé Michel : les Sectes, in les Religions (CEPL, 114. Champs-Elysées, Paris-8e, 1972).

(e) S. Branton : Journal de mon analyse avec Freud (PUF, Paris. 1973).

(*) Chronique n° 135 parue initialement dans France Catholique-Ecclésia – N° 1370 – 16 mars 1973.

Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 9 juillet 2012

  1. Il s’agit notamment des chroniques n° 125, Une recette pour ne pas penser, parue ici le 21.05.2012, n° 132, L’accord sur le pire, (20.09.2010), et n° 134, Bâton de chaise, névrose et hérédité, publiée ici la semaine dernière.
  2. Henry de Montherlant s’est donné la mort quelques mois auparavant, le 21 septembre 1972, à l’âge de 77 ans. Assis dans un fauteuil de son appartement du quai Voltaire à Paris, il se tira une balle de revolver dans la tête après avoir avalé une capsule de cyanure. « Sur son bureau, trois lettres, la première à son héritier Claude Barat, les deux autres au Commissaire de Police et au Procureur de la République pour les informer de son suicide et éviter à ses proches les tracasseries d’une enquête. Dans la lettre à Claude Barat, son héritier, datée du même jour, il avait écrit : “Mon cher Claude, je deviens aveugle. Je me tue. Je te remercie de tout ce que tu as fait pour moi. Ta mère et toi sont mes héritiers uniques. Bien affectueusement.” » (C. Meeus, www.montherland.be/biographie_06_mort.html).

    Deux semaines avant que Montherlant n’entre à l’Académie française (et ce, fait rarissime, sans en avoir fait la demande), François Mauriac écrivait dans son Bloc-notes, le 7 mars 1960 : « Montherlant, c’est pour moi un écrivain, le type même de l’écrivain français d’une certaine famille (Chateaubriand, Barrès), à laquelle je me flatte d’appartenir aussi, avec d’anciennes et solides alliances du côté de Port-Royal : j’y suis moi-même demeuré fidèle, alors que Montherlant, qui a toujours joué les libertins, y a cherché des sujets de pièce, mais non des principes de vie. Il n’empêche qu’on est des frères. » Montherlant se disait athée mais ses biographes en doutent un peu. Dans une lettre, le général de Gaulle le décrivait « longeant indéfiniment le bord de l’océan religieux, que son génie ne quitte pas des yeux, ni de l’âme sans y pénétrer jamais ». Auteur de romans (dont les Jeunes filles qui lui valut une renommée internationale), de pièces de théatre (Port-Royal, La ville dont le Prince est un enfant) et d’essais (Le Solstice de juin sur la guerre de 1940), ce « moraliste austère et désabusé », « hypersensible et mal-aimé » fut l’objet de vives critiques, surtout de la part d’intellectuels de gauche, et victime à 75 ans d’un pamphlétaire haineux ridiculisant son physique, son œuvre et ses mœurs (voir l’article de Wikipédia sur Montherlant).

    Les raisons qui ont conduit Montherlant au suicide sont donc multiples. Dans Le Treizième César (1970), il écrit « Il n’y a rien de plus mystérieux qu’un suicide. Quand j’entends expliquer les raisons de tel suicide, j’ai toujours l’impression d’être sacrilège. Car il n’y a que le suicidé qui les a connues, et qui ait été en mesure de les comprendre. je ne dis pas : de les faire comprendre ; elles sont le plus souvent multiples et inextricables, et hors de portée d’un tiers ». Quelques années auparavant il écrivait : « pourquoi un homme n’aurait-il pas le droit de renoncer sans explications à une vie qu’il n’a pas demandée ? Tout ce qu’on peut dire contre le suicide sort de cette case défaillante du cerveau de l’homme, d’où il tire des interdits terribles au bonheur. » (Carnets, 1963). Et en février 1969, il confiait aux Nouvelles littéraires : « J’ai souvent songé à écrire un petit ouvrage uniquement de pratique, bon marché pour être largement répandu, dont le titre eût été, par exemple : Vite et Bien ou L’Art de ne pas se rater, en cinq leçons. Vraiment un ouvrage pour être utile aux gens, un ouvrage que tout ami du suicide eût dû avoir toujours sous la main. J’ai été arrêté par la conviction que cet ouvrage serait saisi. » (Ce en quoi il ne se trompait pas : le livre Suicide, mode d’emploi, de Claude Guillon et Yves le Bonniec, paru en 1982, dont le chapitre X et son addendum sont un guide pratique pour « ne pas se rater », se vendit à plus de 100 000 exemplaires et fut traduit en six langues avant d’être interdit à la vente en France. Une loi votée en 1987 prohibe la provocation au suicide et la publicité pour tout produit, objet ou méthode destinée à se donner la mort). Sur ce sujet, voir les chroniques n° 126, Avis désintéressé à MM. les assassins (Les hypothèses les plus certaines ne sont pas de nature scientifique), paru ici le 28.04.2012, et n° 196, L’euthanasie et les nouveaux Lazare (Ce mystère de la mort, qui l’a sondé ?), le 05.09.2011.

  3. Cette formule « atteindre l’âme à travers son instrument physique, à travers son support matériel : le système nerveux » a l’intérêt de tenir ensemble les deux termes que beaucoup tiennent pour inconciliables : le cerveau et l’âme. Notons au passage la position équilibrée d’Aimé Michel qui bataille sur deux côtés, à la fois pour affirmer la réalité de l’esprit (contre les matérialistes) et son enracinement organique (matériel) (contre les psychanalystes par exemple dans la mesure où ils ne reconnaissent pas le caractère organique des maladies mentales).
  4. Sur Henri Gastaut, voir la chronique n° 153, Un substitut de la contemplation (Electroencéphalographie et mysticisme) publiée ici le 06.06.2011. L’influence du milieu intérieur sur l’humeur est bien décrite dans la chronique n° 127, Le café, le lactate et l’âme (Qu’est-ce qu’un état d’âme, sujet à des manipulations chimiques ?) paru ici le 11 juin 2012.
  5. Aimé Michel cite Karl Popper fort à propos. Je n’ai pas sous la main son livre classique Conjectures et réfutations, mais il est facile de trouver d’autres citations de Popper sur la psychanalyse. En marge de la chronique n° 70, Psychanalyse et expérience (La psychanalyse est-elle une science ? parue ici le 21.03.2011), je proposais la suivante : « La psychanalyse (…) est une métaphysique psychologique intéressante (et sans aucun doute il y a du vrai en elle, comme il y en a si souvent dans les idées métaphysiques), mais elle n’a jamais été une science. (…) Quoi que fasse quelqu’un, ses actes sont, en principe, explicables en termes freudiens ou adlériens. (…) Ce point est très clair. (…) Qu’un homme sacrifie sa vie pour sauver un enfant qui se noie (un exemple de sublimation) ou qu’il tue l’enfant en le noyant (un exemple de répression) ne peut être ni prédit ni exclut par la théorie de Freud ; la théorie est compatible quoi qu’il advienne, même en l’absence de tout traitement particulier pour l’immuniser. » (The Philosophy of Karl Popper, éd. par P. A. Schilpp, The Library of Living Philosophers, La Salle, 1974, p. 985).

    Dans cette même chronique n° 70, Aimé Michel écrivait : « Désormais, quand deux psychologues ne sont pas d’accord, leurs collègues savent, ou bien qu’une expérience ou une mesure les départagera, ou bien que leur discussion porte sur des interprétations philosophiques. En psychanalyse, aucune expérience ne peut jamais être exposée ni proposée pour résoudre un problème. Sans aller aussi loin que H. J. Eysenck (un psychologue) pour qui la psychanalyse, échappant à la preuve et à la vérification, doit être jugée “en termes de croyance et de foi”, on peut dire qu’elle est un système, comme le cartésianisme ou le surréalisme. En ce sens, elle est également irréfutable et improuvable. » Sur Hans Eysenck, voir la note 1 de la chronique n° 113, Des durs, des mous et des psychologues (Les partis politiques de France et d’Angleterre vus par la psychologie statistique), parue ici le 16.04.2012.