Dans le bouddhisme, atteindre l’état de l’illumination dépend essentiellement du fait d’être sevré de tout désir. Le désir sexuel est considéré comme le plus permanent et la plus puissante sollicitation par la plupart des êtres humains. Le célibat, comme il est pratiqué par des moines bouddhistes, est considéré comme la forme idéale de purification, la plus apte à conduire à l’illumination spirituelle.
Dans l’hindouisme, le fait de réorienter « l’énergie sexuelle », en particulier grâce au célibat, est prescrit par les gourous comme un moyen de développer des prouesses intellectuelles et même physiques. Le yogi hindou optant pour le célibat, ainsi libéré du « Kama » sexuel, est censé être dans un état optimum pour s’adresser à Dieu par la prière. Le fameux yogi Paranahansa Yogananda, dans son enseignement, recommandait la modération aux couples mariés et affirmait que l’abstinence totale est presque une condition sine qua non pour atteindre la connaissance idéale de l’amour divin dans une relation de pure amitié.
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Mais l’hindouisme est une religion d’étranges contrastes. Cela apparaît, par exemple, dans le Kama Sutra, qui ressemble à un manuel de pratique sexuelle pornographique aux yeux de beaucoup d’Occidentaux, comme s’il s’agissait d’une incarnation antérieure de Hugh Hefner.
Le Mahatma Gandhi, qui fit publiquement voeu de célibat quand il avait la trentaine, était un exemple des extrêmes qui jaillissent ça et là dans l’hindouisme. Vers la fin de sa vie, il entreprit un rituel appelé « dernier yajna » pour atteindre la pureté sexuelle, « expérimentation » qui, reconnaissait-il, pouvait s’avérer « dangereuse ». Il s’agissait de dormir nu avec plusieurs jeunes femmes, sans en être sexuellement excité… Gandhi prétendait que réussir cette épreuve permettrait de révéler de grands pouvoirs spirituels. Mais des sommités spirituelles ainsi que d’autres coreligionnaires le critiquèrent pour un tel « extrémisme spirituel ».
Dans l’islam, les limites imposées en matière sexuelle paraîtraient sans doute acceptables à beaucoup d’hommes, avec un maximum de quatre épouses, mais avec la possibilité d’y ajouter des esclaves et, dans certaines juridictions, des « mariages temporaires ». Dans le soufisme, branche de l’islam qui met l’accent sur la transcendance et la quête de mysticisme, le célibat est parfois recommandé. Mais les soufis sont considérés comme des hérétiques par de nombreux musulmans « classiques ». Et Mahomet lui-même, quand on l’interrogeait sur le célibat, répondait : « il n’y a pas de « moinerie » dans l’islam.
Dans le catholicisme, saint Paul enseigne à ses compagnons que le célibat, partiellement pour des raisons pratiques, est recommandé à ceux qui proclament l’Evangile. « J’aimerais que vous soyez épargnés par cette distraction. Celui qui n’est pas marié a souci des affaires du Seigneur. Il cherche comment plaire au Seigneur. Mais celui qui est marié a souci des affaires du monde : il cherche comment plaire à sa femme, et il est partagé »
(1 COR 7.32.33)
Il se compare à Pierre et aux autres apôtres, ainsi qu’aux « frères » de Jésus – Jacques, Joseph, Simon et Judas- qui étaient accompagnés de femmes; peut-être étaient-ils mariés chrétiennement. (1 COR 9-5). Mais il affirme que lui-même et ses disciples évitent d’être gênés dans la proclamation de l’Evangile, en renonçant à s’accorder le même privilège qu’ eux.
Dans les premiers siècles de l’Eglise, on pouvait clairement percevoir quels genres de problèmes pourraient émerger de dynasties familiales créées par des prêtres, évêques et même papes. Par exemple, James Hitchcock raconte dans son Histoire de l’Eglise Catholique: « Le pape Silvenius était le fils du pape St Hormisdas (514-523) – engendré avant que Hormisdas fût ordonné – et Grégoire le Grand était le petit-fils du pape Félix III ». Et ceci n’était que le « sommet de l’iceberg ». Au IIème siècle, le célibat fut imposé d’une façon universelle dans l’Eglise catholique. Cependant, des exceptions furent concédées pour des Eglises de rites orientaux unies à Rome.
Mais l’accent mis sur le célibat n’avait pas qu’un fondement pratique. Plus important encore était – et cela peut être comparé au bouddhisme comme à l’hindouisme – le but inspiré par la foi était de faciliter le progrès spirituel. Ainsi St Paul écrit (1 Cor.7;34) que la personne non mariée est capable de se concentrer sur « les choses du Seigneur » et d’être » sainte à la fois dans son corps et dans son esprit », contrairement à la personne mariée, qui se doit à son conjoint et doit nécessairement se trouver préoccupée par des questions pratiques ou des problèmes familiaux. Mais il recommande à ceux qui sont mariés (1 Cor. 7;5) de s ‘astreindre à des périodes d’abstinence sexuelle pour s’adonner à la prière.
Parmi de nombreux saints, le célibat est souvent considéré dans le contexte d’épousailles spirituelles, selon le modèle dicté par la poursuite permanente de l’Amant divin, tel que décrit dans le « Cantique des Cantiques« . Sainte Thérèse d’Avila en donne un exemple frappant, ayant reçu la grâce de voir son âme « épousée » par le Christ dans un « mariage mystique ». Et Sainte Catherine de Sienne, dans ses dialogues, dit l’assurance reçue de Dieu le Père selon laquelle il est possible à certaines âmes d’atteindre une telle communion avec le divin qu’elles ne perdent jamais le sens de la présence de Dieu.
Aujourd’hui, la perception du terme « sexualité » dans le catholicisme est, naturellement, considérablement alourdie par le facteur « contraception », pratique condamnée par la plupart des chrétiens jusqu’à la sinistre conférence de Lambeth, en 1930, quand les anglicans ouvrirent la voie à l’abolition de tout obstacle à la contraception, parmi presque toutes les Eglises protestantes. La réponse catholique, naturellement, est marquée au fer rouge dans l’encyclique « Humanae Vitae » du pape Paul VI.
Dans mon livre Ethics in Context, j’inclus un chapitre faisant la différence entre éthique et religion dans la façon de formuler ce qui est « bon ». Je passe en revue des « ressemblances familiales » parmi les grandes religions et explique que, en général, la religion va bien plus loin que l’approche éthique, quand il s’agit de juger ce qui est bien ou mal. La religion est orientée d’une façon subjective vers l’intégration personnelle et l’harmonie avec le Bien suprême; et d’une façon objective en ce qui concerne l’intégration et l’harmonie dans la relation à la collectivité ou la société.
Dans le christianisme, l’orientation « subjective » a pour objet la relation intime avec Dieu; l’orientation « objective », pour l’Eglise, s’attache à construire sur cette terre les fondations du Royaume de Dieu. Il serait vain de le nier, pour chaque religion, le manque de contrôle de pulsions sexuelles est un obstacle majeur au développement de l’harmonie personnelle et réduit sensiblement la sensibilité spirituelle de l’individu. Et bien que le monde semble l’avoir oublié, selon ce que les informations nous apprennent tous les jours, les excès sexuels sont un obstacle aux relations harmonieuses dans les familles, les collectivités et la société, y compris au sein d’organisations religieuses.
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HOWARD KAINZ est professeur émérite de philosophie à la Marquette University.
Parmi ses publications les plus récentes:
– The Existence of God and the Faith Instinct (2010)
– The Philosophy of Human Nature (2008)
– Five Metaphysical Paradoxes (2006)
– Natual Law: an Introduction and Reexamination (2004)
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