Qu’y ferons-nous ? Ce n’est probablement pas une bonne question, mais c’est la première qui vient à l’esprit — à moins d’imaginer le paradis comme lézarder sur une plage ou se trouver dans l’exceptionnelle compagnie de purs contemplatifs.
Pour la plupart nous avons des activités, et beaucoup les trouvent agréables. J’aime jouer du piano, ma femme adore jardiner, ma fille, sage-femme, aime aider à mettre des enfants au monde. Mais il n’y aura au paradis ni piano, ni plate-bandes à désherber, ni femmes accouchant dans une maternité, ni etc… Il n’y aura pas de harpes non plus — ceci malgré le cliché habituel.
Alors, ne serait-ce pas utile d’avoir une information fiable sur ce que nous pourrions y faire si (et quand) nous y parviendrons ?
À notre époque de sciences expérimentales, une éventuelle information sur la vie après la vie peut être trouvée dans les nombreux ouvrages publiés sur l’expérience de mort imminente.
Mais si vous ouvrez un tel livre, abandonnez tout espoir d’information ; ils ont souvent plus de deux cents pages, dont quatre ou cinq sur le « voyage » — rencontre au Ciel avec connaissances ou amis, anges, Jésus, grande lumière et intense sentiment de savoir trop ineffable pour être révélé. Parfois, il est interdit au sujet/auteur de révéler ce qu’il a appris.
On dispose d’autres sources avec les récits de saints visionnaires ayant eu la faveur de révélations particulières. L’Église catholique compte un certain nombre de tels visionnaires. Mais, bizarrement, il semble que les plus prolixes de ces révélations ne traitent ni du paradis ni de l’enfer, mais du purgatoire. Ste Françoise Romaine, Ste Catherine de Gênes, Ste Marie-Madeleine de Pazzi, Ste Brigitte, et autres se sont vouées à des intercession pour les pauvres âmes du purgatoire, et ont publié des récits de leurs souffrances.
Il est possible que l’absence relative de récits de visions du paradis résulte simplement de l’incapacité sur terre à saisir l’incommensurabilité d’une expérience céleste. St. Jean (1 Jn, 3:2) nous dit que le changement dans l’autre monde sera si profond qu’on ne peut le décrire. « Nous sommes dès maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Mais nous savons que lorsque s’en fera la manifestation nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il est. » Et St. Paul (1 Co, 2:9) semble nous prévenir de ne même pas tenter d’imaginer comment sera le paradis : « Ce que l’œil n’avait pas vu, ce que l’oreille n’avait pas entendu, ce que le cœur de l’homme n’avait pu concevoir, c’est là ce qu Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. »
D’autre part, quelques éléments semblent nets : avant la résurrection des morts, les âmes au paradis n’auront ni corps, ni mains, ni pieds. Et Jésus nous dit que les élus seront comme les anges de Dieu au Ciel. (Mt, 22:30)
Heureusement, St Thomas d’Aquin avait posé le même genre de questions qui nous interpellent : il voulait avoir une information sur le comportement des âmes sans [« sans » en français dans le texte] le corps dans l’au-delà.
Dans la Summa theologica il fouille les Écritures, Aristote, St. Augustin et autres Pères de l’Église et propose des conclusions semblant s’emboîter précisément dans la littérature sur l’expérience de mort imminente. Par exemple, il déclare que l’âme libérée du corps se trouvera en quelque sorte incomplète puisque par nature elle est attachée au corps, mais en même temps éprouvera une plus grande liberté de l’intelligence, car le poids et le souci du corps forment un voile sur la clarté de l’intelligence dans la vie présente.
Ainsi donc Thomas d’Aquin rejoint les témoignages unanimes des théoriciens de l’expérience de mort imminente sur la fantastique libération et l’illumination intellectuelle caractérisant la séparation [de l’âme et du corps]. L’âme étant séparée ne pourra avoir la moindre influence sur les objets. Ce qui reflète l’expérience des personnes décrivant l’expérience de mort imminente, se déplaçant à travers les murs ou autres obstacles.
Traitant de la séparation de l’âme, Thomas d’Aquin fait souvent référence à la parabole dite par Jésus (Lc, 16:19-31) de l’homme riche (Dives) en enfer suppliant le père Abraham d’envoyer le mendiant qu’il avait ignoré (Lazare) avec une goutte d’eau pour lui rafraîchir la langue, ou, tout au moins de permettre à Lazare d’avertir ses cinq frères afin qu’ils échappent à ces tourments.
Tout comme Dives avait la faculté de voir Abraham au paradis, les âmes — purs esprits — pourront apercevoir d’autres âmes et communiquer à grande distance avec elles et même avec les anges. Comme Dives, elles garderont le souvenir des évènements de leur vie sur terre, de ce qu’elles auront accompli ou connu. Et tout comme Dives avait souci d’alerter ses cinq frères à propos de l’enfer, les âmes séparées du corps peuvent s’inquiéter de personnes sur terre, même sans avoir pleine connaissance de leur état.
Les âmes conserveront leurs habitudes intellectuelles et les concepts acquis au cours de l’existence, mais sans liens à des images sensées ou à des souvenirs. Mais leur faculté de connaissance dépendra directement de Dieu. L’âme de l’homme recevra directement de Lui la lumière intellectuelle, comme dit dans le Psaume 4:7 « La lumière de ton visage est gravée sur nous, Seigneur. »
En définitive, il n’y aura pas de foi, puisque la foi concerne l’invisible, ni espérance, puisque l’espérance concerne ce qu’on n’a pas encore, mais uniquement amour, l’amour qui demeure dans la vie à venir et sera alors à la mesure du bonheur des individus. « plus grand aura été l’amour accompagnant nos actions sur terre, plus grand sera notre bonheur venu de Dieu. »
Il se peut que l’expérience de mort imminente nous donne une indication sur ce que pourrait être l’entrée dans la vie au-delà. Mais puisque rien d’impur ne peut se présenter face à Dieu, la plupart d’entre nous ferait bien d’apprendre tout doucement à perdre un bon paquet de mauvaises et si agréables habitudes.
Peut-être est-ce pourquoi tant de saints nous parlent plus du purgatoire que du paradis.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/what-will-we-do-in-heaven.html
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Retable de Gand – Hubert et Jan van Eyck, vers 1431.
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