Aux portes de la grande gare parisienne par laquelle je transite chaque jour, c’est l’accumulation : d’innombrables porteurs de journaux dans leurs uniformes nous inondent de papier gratuit. L’unique vendeur à la criée des titres payants s’égosille en vain. Certains mois, je résiste à l’automatisme des lectures proposées. Il y a les quotidiens : 20 Minutes, qui mérite à peine son titre, Metro, à l’aspect publicitaire, Direct Matin dont les images et les textes sont distrayants, Direct Soir aux titres décalés par rapport à l’actualité. Les occasionnels se multiplient : régionaux, culturels, promotionnels… Au début de la semaine, c’est un gros catalogue de jouets que j’ai rapporté chez moi, au risque de provoquer des frustrations chez les enfants. Il y a aussi les hebdomadaires dont un, dit « sportif », me propose, chaque vendredi, une fille quasi-nue en guise d’apéritif. Pour aguicher, les autres gratuits ne sont pas en reste. Sans respect pour les collégiens qui le lisent dans les rames, 20 Minutes a pu montrer en pleine page un homme nu de face, au nom de la prévention du sida, cause qui permet toutes les outrances. Le défunt Économie Matin nous a un jour gratifiés d’une édition qui vantait, l’air de rien mais photographies trash à l’appui, les produits de l’industrie pornographique. Sous couvert d’économie elle a pu faire chuter des milliers d’hommes dans l’adultère virtuel…
Mais revenons à la pléthore des gratuits. Ils ont le mérite de nous faire passer le temps en nous informant : mais comment se fait-il que tout ce papier à peine parcouru, parfois gâché par la pluie avant même d’être distribué, et qui emplit inexorablement nos poubelles, ne fasse pas l’objet d’un questionnement écologique ? On nous répète de ne pas imprimer nos mails, sauf nécessité absolue, au nom du dogme du développement durable, comme nous avions appris, enfants, à ne pas gaspiller la nourriture… Et nous finissons par être gavés par toute cette information que la publicité finance jusqu’à barrer de plus en plus les titres de Une. La surchauffe cérébrale menace nos vies intérieures, déjà perturbées par les oreillettes mal insonorisées de nos voisins de wagon.
Jeudi, comme un bovin à la stabulation, j’ai saisi avidement le plat prêt à réchauffer qu’une hôtesse me tendait dans la cohue générale. Va pour ce petit cadeau à rapporter à la maison. Mais c’est un cadeau empoisonné qui a déclenché ce billet. En papier glacé, Pause santé se présente agrafé à un fascicule junior pour 7-10 ans. La version adulte est faite d’un étrange mélange. Des pages prônent la vie saine ou nourrissent le débat éthique avec des plumes sérieuses comme celle d’un membre du Comité Consultatif National d’Éthique. Mais ce nouveau gratuit sait déjà par où nous attraper. « J’ai deux amours, Une lectrice raconte » annonce la Une. L’article est illustré par une photo de Simone de Beauvoir… nue. Il présente le témoignage d’une autre femme. À 53 ans, elle bénéficierait d’un homme pour l’affection et d’un autre pour… le sexe. Peu importe si c’est authentique… Commentaires des experts ? L’incontournable sexologue Sylvain Mimoun conclut que cette histoire est « pragmatique et lucide ». La psychologue Maryse Vaillant que cette femme « n’a pas renoncé à son idéal amoureux ». Des inepties propres à empoisonner la vraie vie d’innocents lecteurs.
Ce qui est gratuit, n’en est pas moins coûteux.
Tugdual DERVILLE
La situation à Londres :
http://www.lapressegratuite.com/2009/10/a-londres-un-quotidien-payant-passe-au-gratuit.html
Et en Espagne :
http://www.precisement.org/blog/+Presse-gratuite-le-debut-de-la-fin+.html
Interview de Pierre-Jean Bozo, président de « 20 Minutes » France :
Licenciements dans la presse gratuite d’annonces :
http://www.ozap.com/actu/1000-postes-supprimes-presse-gratuite-annonces/306470
Pour connaître les dirigeants :
http://www.presseedition.fr/la_presse_gratuite_de_a_z_P_AA_R_0_A_691_.html
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Sur la révision des lois concernant la bioéthique, lire cette semaine :
http://blog-va.com/actualites/societe/enjeux-de-bioethique.html