Bref, le séjour de François à Sarajevo n’en a pas moins été très intense. Dans cette ville liée à l’histoire du XXe siècle, à son début et à son terme, recouverte de cimetières, le Pape a voulu entendre les témoignages les plus directs des blessures d’une guerre civile qui sont toujours à vif. Sa conviction de la nécessité d’une sauvegarde de la mémoire, pour ne rien oublier des tribulations passées, s’enracine dans la certitude que la paix ne s’établit pas dans le déni mais dans la méditation qui permet de surmonter les divisions et d’ouvrir les cœurs. Reprenant le fameux cri de Paul VI dans son adresse à l’ONU « Jamais plus la guerre », il voulait aussi signifier que c’est au prix d’une immense conquête sur soi-même, pour conjurer les rancœurs, les rivalités et les désirs de domination qu’il est possible d’envisager la réconciliation. François est un pacifique, foncièrement attaché à la charte des Béatitudes, ce n’est pas un pacifiste qui berce son auditoire de propos lénifiants pour mieux cacher la réalité d’un monde en guerre. Il s’est montré bouleversé à l’écoute de plusieurs témoins qui ont raconté comment ils avaient été maltraités, voire torturés, parce qu’ils ne voulaient pas renier leur foi. Et il s’est incliné devant eux, abandonnant son texte officiel, pour parler librement.
« Aujourd’hui, nous sommes dans un monde en guerre, partout ! Quelqu’un m’a dit : “Savez-vous, Père, que nous sommes dans la Troisième Guerre mondiale, mais disséminée ? » La nature de cette guerre, qui se caractérise très souvent par des prétextes religieux, pourrait conduire à tomber dans un piège que le Pape récuse de toutes ses forces. Hors de question de se livrer à une guerre des civilisations, elles-mêmes caractérisées par leurs héritages religieux. En d’autres termes, si les chrétiens sont aujourd’hui les victimes de l’offensive islamiste, ils doivent récuser toute tentation de guerre religieuse : « Dans cette terre, les relations cordiales et fraternelles entre musulmans, juifs et chrétiens revêtent une importance qui va bien au-delà de ses frontières : elles témoignent au monde entier que la collaboration entre diverses ethnies et religions, en vue du bien commun est possible, qu’un pluralisme des cultures et des traditions peut subsister. »
Dans la ville martyre où continuent à se côtoyer mosquées, synagogues et églises, ce message était directement perceptible. Mais il ne faut pas se cacher que l’histoire tragique de Sarajevo est aussi invitation à se pénétrer des conditions héroïques de la cohabitation des civilisations. Refuser le destin de la guerre, ce n’est pas se voiler la face devant la réalité des conflits et devant l’effort immense propre à les juguler.