Que le premier pape sud-américain de l’histoire se retrouve successivement à Cuba, au cœur des Caraïbes et aux États-Unis ne relève nullement de l’anecdote. Car ainsi François se trouve confronté à la pluralité américaine, avec des différences sensibles de civilisation qui sont en opposition, sans qu’on puisse discerner encore ce qu’il en résultera. C’est vrai pour Cuba, qui vit le crépuscule d’un régime communiste, qui se voulut un modèle pour l’ensemble de l’Amérique latine. Le rétablissement des relations diplomatiques avec Washington – dans lequel la diplomatie vaticane a joué un rôle de premier plan – signifie-t-il un ralliement au modèle économique de la superpuissance, dès lors que l’embargo aura été définitivement levé ? En ce cas, ce serait un peu la revanche des nombreux immigrés qui ont trouvé refuge en Floride, et particulièrement à Miami, après avoir connu, eux aussi, les périls de tous les boat people de l’histoire contemporaine. La venue du pape argentin en cette période de transition s’inscrit, sous un mode particulier, dans une perspective politique. La mission de François est d’aider à une mutation pacifique, ainsi qu’à une réflexion sur le modèle de développement à venir. Le souci des faibles rappelé par le pape à La Havane concerne aussi bien le régime castriste dans ses brutalités que le système capitaliste dans ses rapports de force.
Les États-Unis sont également en période de transition, même si celle-ci est d’un autre ordre. L’expression « remplacement de population » fait polémique actuellement chez nous, mais elle caractérise aussi la grande nation, où l’immigration d’origine latino-américaine change les données démographiques, avec des conséquences qui affectent les mentalités et les modes de vie. La pression migratoire à la frontière mexicaine est aussi au centre des débats de la campagne présidentielle. Là-bas aussi, on construit des murs, sans que l’on sache à quel point les États-Unis peuvent continuer leur épopée de nation d’immigrés, sans compromettre le modèle qu’ils avaient réalisé. Là encore, le pape sud-américain peut être une sorte de médiateur, sans compter que son message est attendu aussi sur le terrain des grandes controverses morales qui divisent profondément le pays. Paradoxalement, il bénéficie d’un record de popularité, alors même qu’il est contesté par une partie de la population, souvent de sensibilité religieuse, pour ses positions écologiques et anti-libérales. Comment tenir un discours sur les dérives de la spéculation financière, aux abords de Wall Street ? Mais avec François, les paradoxes produisent toujours des solutions inattendues. Le Pape aux Amériques, c’est la promesse prophétique d’un spirituel dont la liberté totale permet d’éclaircir les questions qui font mal.