La correspondante du Monde, à Vienne, Joëlle Stolz, a entonné le péan de la victoire sur le mode le plus éclatant : « Dire que Conchita Wurst, avec ses faux cils charbonneux et sa barbe postiche qui lui mange le visage, a décoiffé l’Autriche, est un euphémisme : la victoire de cette diva travestie au concours de l’Eurovision, samedi 10 mai à Copenhague – à la veille d’un référendum à haut risque en Ukraine –, est une divine surprise pour un pays réputé, souvent à tort, pour son conservatisme, qui se retrouve ainsi propulsé à l’avant-garde des changements de société. » En quelques mots, tout est dit : la victoire d’un travesti dans un concours de chant a une portée symbolique considérable. L’image de l’artiste qui veut afficher une identité transsexuelle a valeur sociétale. Le trophée musical porte en lui le signe et la promesse d’un changement radical des mœurs dans un pays réputé catholique, et donc conservateur.
On veut parler de « message de tolérance », mais comment ne pas être frappé par son caractère violemment intrusif, qui veut s’imposer aux consciences, éventuellement les forcer, pour l’accession à un âge supérieur, celui d’une émancipation qui rend tout possible et notamment le transformisme des corps et des visages, au gré d’une imagination qui, sous couvert de liberté et surtout d’idiome libertaire, entend s’imposer aux esprits dans ce qu’ils ont de plus intime ? La tolérance est le masque trompeur d’une entreprise de conquête qui entend tout araser sur son passage. Qui ne veut pas acquiescer à son diktat est promis à la réprobation la plus sévère, convertie sans doute demain en décret punitif au regard de la loi.
Il y a sans doute une détestable façon de réagir à une telle opération, c’est de s’en prendre à la personne de l’artiste et même à son ethos personnel, qui relève d’un destin singulier que nul ne saurait juger. Mais l’offensive idéologique, promotionnelle, dont cet épisode est l’occasion, ne peut qu’être jugée avec toute la distance nécessaire par les hommes et les femmes libres, qui entendent garder intacte leur faculté de jugement, leur conception d’une construction de soi qui ne consiste pas en une destruction ou une désintégration. Les attaques sournoises qui visent le christianisme, comme obstacle à ce type d’évolution, devraient faire réfléchir, car l’opposition frontale des premiers chrétiens à certaines mœurs païennes n’avait rien à voir avec un rigorisme outré, elle était porteuse d’humanisation du corps et de la sensibilité la plus profonde. Or, c’est cela qui est en péril aujourd’hui.
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