Le Pape voulait-il braver ouvertement la colère du gouvernement turc en rappelant explicitement le génocide arménien d’il y a un siècle ? Ce n’était sûrement pas son désir. Il avait montré lors de son voyage en Turquie sa considération pour un peuple et sa volonté de cultiver un dialogue amical avec l’ensemble des musulmans. Mais il lui était impossible de ne pas rendre justice aux Arméniens, victimes du premier génocide du XXe siècle. Le Saint-Siège, au moment du massacre, avait déjà réagi avec vigueur. François a d’ailleurs rendu hommage à son prédécesseur Benoît XV, le pape de la Première Guerre mondiale, ardent défenseur de la paix et de la réconciliation. On se souvient à Rome que les protestations véhémentes n’avaient pas arrêté les massacres et qu’au contraire elles avaient été reçues comme des provocations. Mgr Pacelli, alors à la secrétairerie d’État, avait amèrement constaté que la répression s’était amplifiée à la suite des interventions du Pape. Cela ne sera pas sans conséquence dans l’attitude du futur Pie XII face à l’Allemagne nazie.
Ce n’est pas la première fois que le mot de « génocide » est employé officiellement au Vatican. C’est d’ailleurs en se référant à une citation de Jean-Paul II que François a employé ce terme, qui n’est que trop adéquat pour qualifier l’assassinat d’un million et demi de personnes dans des conditions qui sont celles d’une extermination programmée. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement de proclamer une vérité historique. Le Pape a parlé de l’actuel génocide, qui, à travers le monde se perpétue trop souvent dans l’indifférence : « Nous entendons le cri étouffé et négligé de beaucoup de nos frères et sœurs sans défense qui, à cause de leur foi au Christ, ou de leur appartenance ethnique, sont publiquement et atrocement tués, décapités, crucifiés, brûlés vifs, ou bien contraints d’abandonner leur terre. »
Il n’est pas de semaine où ces genres de crimes et d’exactions ne soient signalés. C’était pendant la Semaine sainte, au Kenya, à l’université de Garissa où des islamistes somaliens massacraient 142 étudiants et six membres du personnel de sécurité. Les tueurs avaient délibérément sélectionné les chrétiens comme victimes de leur rare atrocité. Si le Pape ne parlait pas, ce sont les pierres qui crieraient ! Sans doute le gouvernement d’Ankara ne supporte-t-il pas que le génocide d’hier renvoie de plus aux tueries d’aujourd’hui. Mais il n’y a pas d’autre moyen pour lui d’opérer les discernements nécessaires que de faire la vérité sur un passé douloureux afin de prévenir d’autres malheurs et d’interrompre la chaîne de propagation de la haine.