La charité des pauvres - France Catholique
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Millénaire de la cathédrale de Chartres
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La charité des pauvres

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Les réponses aux « questions sociales » dépendent des points de vue, et donc aussi de l’endroit où on habite. S.S. François a tenté de le faire sentir, en particulier aux prêtres et aux évêques, et plus généralement à tout le monde. C’était pour lui une question cruciale lorsque, à Buenos Aires, il allait dans les quartiers défavorisés.

On peut expliquer, à mon avis, de deux façons, l’incompréhension des médias à son égard. D’une part, en raison des traductions imprécises de l’espagnol en anglais [et en français, et…]. Nous nous en rendons mieux compte au fil du temps, et devrions retenir qu’il n’y a là nulle mauvaise intention. Les traducteurs déjà habitués aux clichés idéologiques de notre époque traduisent ce qu’ils entendent en ce qu’ils comprennent. Mais le Pape s’exprime-t-il à l’aide de clichés ?

Ce qui nous mène à l’autre idée : et si le Pape parlait de ce qu’il a vécu d’expérience, et non de théorie communément admise ? Bien des malentendus jaillissent dans notre environnement typiquement « virtuel » et « théorique » quand on est confronté à des réalités non-virtuelles.

Si vous le permettez, je vais tenter de m’expliquer à titre personnel.

On me demande, parfois avec commisération, si j’habite vraiment dans le quartier de Parkdale à Toronto 1. Question posée par des habitants des quartiers (huppés et du genre bobo-gauche caviar) d’Annex ou Rosedale. Ma réponse automatique: « oui, j’habite Parkdale, où n’importe qui habiterait volontiers s’il en avait les moyens.» ou, autre explication : « s’il avait une arme pour se défendre.»

La vraie raison, facilité d’accès pour mon travail, mais depuis près de dix ans que je suis à Parkdale, sorte de réfugié membre des classes moyennes, j’aime ce quartier davantage que je le déteste. Toronto, ce n’est pas Detroit, et notre ville a flambé suite à un petit problème, la guerre de 1812 (à ce propos, notre vengeance fut alors de mettre le feu à la Maison Blanche [allusion à la guerre Angleterre – USA, la France étant alliée des USA]). Il y a même à Parkdale des habitations luxueuses, il y en eut beaucoup jadis. Actuellement c’est un creuset multi-ethnique, avec une certaine racaille de race blanche. Mais le taux de criminalité n’est pas si élevé que ça.

Mais il y a toujours ce lot de pauvres, avec des bénéficiaires d’aides publiques, sans compter les nombreux anciens pensionnaires du plus grand établissement psychiatrique de la Province. C’est un peu un honneur d’habiter ici. Je le dis sans rire.

« Les pauvres sont différents de nous, de vous.» , oserai-je dire en paraphrasant F. Scott Fitzgerald. À quoi un Hemingway imaginaire répondrait: « Oui, ils ont moins d’argent.»

Je fais cette mauvaise blague à dessein. Nous tenons tellement grand compte de notre marxisme athée que nous sommes incapables de voir au travers du système de classes. Capitalistes et socialistes ont commis l’erreur fondamentale du Marxisme. Comme le remarquait Roger Scruton [philosophe anglais] : « C’est à Marx que nous devons cette première tentative désastreuse d’organiser la société selon les seuls critères économiques.»

Les pauvres sont capables de commettre les sept péchés capitaux, ce que probablement nul ne contredira, mais ils sont aussi capables de toutes les bonnes actions. Ce qui est remarquable, c’est qu’ils peuvent faire ainsi avec peu ou pas d’argent, agissant parfois d’une façon qui ferait honte à de plus riches. Actes charitables au sens le plus profond, donnant au nécessiteux — offrant l’un à l’autre le plus humblement du monde un abri, un vêtement, de la nourriture, une sucrerie, un coup à boire, des cigarettes.

Ne tombons pas dans le sentimentalisme, forme particulièrement débilitante du marxisme.

Une action, forme fondamentale de charité, se trouve dans la solidarité des hommes — la présence et le coup de main aux solitaires et aux malchanceux
— et la pauvreté semble pouvoir donner des armes en ce domaine. Aux urgences d’un hopital de quartier, j’ai remarqué que les pauvres arrivent rarement sans être accompagnés, et j’ai été choqué en pensant que les nantis « envoient un mot ».

Par contre, dans une maison de retraite on constate que nombre de personnes de classe moyenne — la plupart, à mon avis — y sont entreposées, et ne reçoivent jamais de visites, même de proches. Ce ne peut être une question de moyens, on a bien su trouver l’argent nécessaire pour les y déposer, loin des yeux et loin du cœur, parfois même à l’aide d’un avocat. C’est gentil de ne pas les avoir abandonnées à la rue, mais ç’aurait pu être plus gentil que cet abandon.

Mon propos en agitant la carte rouge du marxisme est de montrer que de même que tout le reste dans la société, la charité devient une question d’argent. On le constate aussi bien avec les arguments de la Gauche que de la Droite. La Gauche réclame davantage de dépenses de l’État, et « qu’on fasse payer les riches ». La Droite gémit afin que le marché donne aux riches les moyens de payer. Tout celà à cause de la légende qui veut que par le jeu du marché la charité bénéficie de richesses accordées aux donateurs.

En d’autres termes, si on omet le totalitarisme instinctif de la Gauche, les deux camps sont interchangeables.

Des sommes considérables passent en fait entre les mains de Mère Teresa de Calcutta, et sont indispensables pour mener efficacement des opérations caritatives; et il n’y a guère d’excuses à fermer le porte-monnaie. Mais dans cette guerre c’est un corps-à-corps qu’on ne peut résumer à des questions d’argent. Car l’action est inestimable. Selon les règles d’un marché totalement libre, on pourrait s’en dispenser.

À gros chèque, grosse déduction fiscale, et grand motif (mérité ou non) de fierté. Voilà pourquoi les donateurs anonymes m’impressionnent, y-compris les dizaines de milliers que je devine qui n’ont rien à faire du reçu fiscal, mais donnent le nécessaire directement de leur poche. C’est la bonne méthode pour faire déduction de la bureaucratie.

Aristote disait de l’Homme magnifique qu’il ne compte pas la dépense; et c’est bien vrai pour tous ceux qui compteraient en-dessous du seuil de pauvreté selon des statistiques arbitraires. Ils saisissent instinctivement, en dépit des règles économiques publiques ou privées, que l’argent est un moyen, et non une fin. Ils le sentent souvent mieux que nous.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-charity-of-the-poor.html

Photo : Noël à Parkdale.

  1. NDT: quartier jadis résidentiel, fortement dégradé suite aux travaux de construction du métro dans les années 1950, et dont la population actuelle très diversifiée dispose généralement de maigres revenus.