LES DERNIERS MOTS DU DERNIER LIVRE - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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LES DERNIERS MOTS DU DERNIER LIVRE

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La différence entre les hooligans de Mme Thatcher et les nôtres, c’est que les siens font une fixation, comme on dit, sur le ballon qui les rassemble1. Trêve d’hypocrisie, trêve d’absurde anglophobie. Voyez ce qui n’a pu être contenu que par un énorme service d’ordre lors du voyage du Pape chez nos amis hollandais, les plus pacifiques des hommes2. Les études sur la délinquance montrent que toute société produit ses voyous (La Délinquance, par R. Hood et R. Sparks, Hachette)3. Plaise à Dieu que les nôtres continuent de ne s’intéresser à rien. Imaginez qu’ils découvrent, par exemple, nos belles équipes de rugby. C’est alors que nous devrions, à notre tour, présenter à l’Europe nos impuissantes excuses, nous faire petits sous le regard horrifié des honnêtes gens. Il existe en France un Institut de Criminologie dirigé par le Professeur Leautié. Je ne dispose pas de ses résultats, mais j’en ai d’autres, recueillis notamment dans les pays nordiques, réputés pour leur civisme. En Finlande et en Norvège, l’armée procède auprès de ses jeunes recrues à des sondages anonymes. On peut y répondre en toute sincérité ne risquant rien. Néanmoins, la sincérité n’est pas garantie. Il faut donc considérer les chiffres qui suivent comme un minimum. Voici ces minimums, donnant le pourcentage (sur 100 recrues, donc) des jeunes gens se reconnaissant coupables de divers délits :
Délits Finlande Norvège
Vol à l’étalage 40 % 56 %
Vol dans les restaurants 33 % 37 %
Recel 18 % 22 %
Vol avec effraction 16 % 12 %
Délits de mœurs avec un mineur 18 % 15 %
On peut comparer ces chiffres avec ceux qui suivent, recueillis auprès d’élèves de même âge que ceux de nos lycées et collèges, cette fois aux États-Unis (États du Middle West) : – Vol avec violence : 8 % – Batailles rangées (en « gangs ») : 23 % – Vandalisme : 61 % – Violence personnelle « pour le plaisir » : 21 % 4 Le lecteur est-il effaré ? Se récrie-t-il que c’est bien là nos sociétés modernes, laxistes et désorientées ? Mais, sous une forme différente, il peut retrouver les mêmes réalités sociales dans les vieux traités de théologie morale « à l’usage des confesseurs », voire dans les réflexions d’un Voltaire, développant sa longue polémique avec Rousseau sur l’action prétendument corruptrice de la société. Voltaire, fouineur invétéré des mœurs, sans illusion sur la bonté originelle de l’homme « naturel » alléguée par son adversaire, sait bien que l’homme n’a pas besoin de la société pour apprendre à se mal conduire. Pourquoi faut-il périodiquement redécouvrir ces antiques vérités ? Loin de nous corrompre, la « société civilisée », expression ringarde mais réaliste, retient, au contraire, nos condamnables penchants dans la mesure, précisément, où elle est « civilisée ». Dans la mesure où elle prévient et abolit, par une sage organisation, l’occasion de ces penchants à se manifester. Il se trouve qu’un tribunal anglais, peu avant la tragédie de Bruxelles, avait à juger deux douzaines de ces hooligans. On est étonné (à tort) de trouver parmi eux des représentants des professions les plus honorables, des pères de famille encore plus étonnés que nous d’avoir découvert leurs instincts délinquants à l’occasion d’une rencontre sportive5. M. Badinter, homme honnête et généreux, croit, comme Rousseau, que la société peut prévenir chez l’individu l’éclosion de ces instincts. Elle ne peut que supprimer ou réduire les occasions de se déchaîner. C’est une histoire aussi ancienne que l’humanité. Hérodote nous apprend que les Perses, il y a vingt-cinq siècles, déclaraient trois jours d’« anomie » (suspension de la loi) entre la mort du Grand Roi et la proclamation de son successeur. Trois jours sans loi permettaient périodiquement aux sujets d’un pouvoir à la main lourde de découvrir les beautés de la licence. Il paraît que quelles qu’aient été la cruauté ou la folie du défunt, on attendait avec impatience et angoisse la prise de pouvoir du nouveau Grand Roi. Je ne reviendrai pas sur des études longuement diffusées (et parfois contestées) montrant que l’exemple de la délinquance est contagieux. Surtout dans la délinquance de groupe, l’effet d’entraînement et d’attraction se développe largement jusque chez les personnalités généralement respectueuses de la morale sociale admise. Certains auteurs vont jusqu’à se demander, statistiques à l’appui, si l’acceptation mécanique de la morale sociale ambiante n’accroît pas la prédisposition à la délinquance de groupe. Pour ces auteurs (des Anglais, précisément), une bonne part de la non-délinquance s’explique par le conformisme. Il suffit alors que le modèle auquel se conforment ces personnalités malléables offre des traits délinquants pour qu’il commence à répandre la délinquance. Observation faite maintes fois parmi les groupes de « fans » qui se réunissent sincèrement pour écouter de la musique ou faire ronfler le moteur de leurs motos et dont les rassemblements peuvent tourner à la catastrophe sous l’entraînement de quelques personnalités déviantes. Si le conformisme joue un tel rôle dans le respect de l’ordre social, on peut en tirer deux conséquences contradictoires, selon le jugement que l’on porte sur cet ordre. On sait qu’en Occident il est admis depuis le début du siècle dernier que tout ordre social est par nature répressif, mutilant et, comme on dit maintenant, « castrateur ». Rappelons-nous le mythe du bourgeois oppresseur et philistin, lieu commun du romantisme allemand (Schuman et ses « Compagnons de David ») et français (le théâtre de Musset, Baudelaire, Rimbaud…). Ce point de vue est encore solidement établi. Comme le remarquait Cocteau, il est devenu la forme admise du conformisme intellectuel, et, quoi qu’on dise, il n’est pas prêt de changer. Ce qu’on a appelé « le silence des intellectuels » a été, je crois, interprété à tort comme une révision. On peut aller plus loin. L’intellectuel occidental est, pour longtemps encore, dépositaire du refus et de la résistance au pouvoir. Nous nous éloignons de la délinquance, ou plutôt faudrait-il parler ici de pouvoir délinquant, réalité malheureusement proliférante du temps : si l’on s’en tient au point de vue légaliste, local, Lech Walesa et Jorge Valls sont des délinquants6. On voit que, de proche en proche, la notion de la délinquance peut se métamorphoser en son contraire. Un professeur chinois disait récemment qu’il existe dans sa langue de nombreux mots pouvant traduire liberté, mais que tous ont une connotation péjorative. « Un lettré chinois, s’il n’est pas profondément instruit de l’Occident, ne pourra jamais comprendre la devise de votre République, dont le premier mot le choque, comme un défi au bien commun », affirmait-il. Nous voilà loin des hooligans. Revenons-y avec cette observation d’une équipe de psychologues anglais : « Une forte proportion des actes de délinquance, quoique commis dans l’idée que l’on ne se fera pas prendre, ne sont pas faits en privé, mais sous les yeux des autres membres de la bande (gang). Les délinquants, dans ce cas, font partie d’un groupe d’égaux (peers) dont les normes permettent et même rendent obligatoires des actes que le reste de la société condamne. Donc, une forte part de ces délinquants ne le seraient jamais devenus si la société légale avait rendu impossible la formation de sous-sociétés ayant leurs propres « lois » contradictoires des siennes. » Cette observation suggère que le remède à la délinquance collective (Bruxelles) est bien dans la prévention, mais de type Voltaire (rendre impossible la manifestation d’instincts latents) plutôt que Rousseau-Badinter (tarir les instincts asociaux)7. Encore quelques réflexions. L’extinction préventive du hooliganisme se réfère à deux théories de l’homme, celle de la « page blanche » où la société peut tout, celle de la « nature humaine », où la société fait ce qu’elle peut. Nous savons, nous, qu’il n’est pas au pouvoir de la société civile et politique de moraliser ses citoyens. Elle ne peut qu’ordonner au mieux ce qui existe au fond des cœurs. Le fondement de la morale n’est pas social, mais individuel et transcendant. Il est dans notre secret rapport à Dieu. Hors ce rapport, il n’y a que vaine répression8. La Bonne Nouvelle annonce la présence en nous du Dieu vivant, et il est là, le seul et tout-puissant moteur de la morale ; que nous ne sommes jamais seuls dans notre jungle, que nous vivons, agissons et pensons, plongés dans l’infinie présence ; mais que nous sommes libres de grandir aveugles, de vivre et mourir en fauves. La société ne nous apprend pas la présence de Dieu. Henry Miller mourant Le maudissait de n’être pas là. Il y était, car « Tu n’es pas invisible, mais caché »9. Ce n’est pas sans raison que nous prions « pour que Ton règne arrive », ni que les derniers mots du dernier Livre soient : « Viens, Seigneur Jésus »10. Aimé MICHEL Chronique n° 403 parue dans F.C. N° 2009 – 21 juin 1985 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 12 septembre 2016

 

  1. Quelques semaines auparavant, les hooligans ont provoqué le tristement célèbre drame du Heysel à Bruxelles. C’était le 29 mai 1985, lors de la finale de Coupe d’Europe des clubs champions opposant l’équipe de Liverpool à la Juventus de Turin. Ce jour-là le stade est plein à craquer car de nombreux spectateurs sans billet s’y sont introduits en profitant de failles de sécurité. Les supporteurs anglais, massés dans une tribune située derrière les buts, commencent les hostilités plus d’une heure avant le début de la rencontre. Ils invectivent ceux de la tribune voisine, normalement occupée par des Belges neutres mais où se trouvent de nombreux supporteurs italiens. Dix minutes plus tard, les Anglais envahissent cette tribune. Les Belges et les Italiens, surpris et peu familiers des méthodes pratiquées par les hooligans, reculent. En bas des gradins, ils sont bloqués par les grilles protégeant la pelouse dont les portes sont fermées, tandis que la police repousse les spectateurs qui tentent de fuir par la pelouse. Sous la poussée les grilles s’effondrent. Trente-neuf personnes meurent piétinées ou écrasées : 32 Italiens, 4 Belges, 2 Français et un Irlandais du Nord. La police parvient à éviter un affrontement direct entre les hooligans anglais et italiens massés dans la tribune opposée, le tout sous l’œil des caméras du monde entier. Pour éviter un surcroît de violence incontrôlable, l’UEFA décide de ne pas reporter le match qui est gagné par la Juventus par un but à zéro marqué par Michel Platini. Le « procès du Heysel » se tiendra trois ans plus tard à Bruxelles. Il aboutira à la condamnation de 14 supporteurs britanniques (11 sont acquittés au bénéfice du doute), du secrétaire-général de la fédération belge de football et d’un capitaine de la police (un major est acquitté). Lors du procès en appel le secrétaire de l’UEFA est condamné à son tour mais le maire de Bruxelles n’est pas mis en cause. Tous les clubs anglais sont interdits de coupe d’Europe pour 3 ans (prolongés à 5 en raison de nouveaux incidents en Allemagne en 1988) et Liverpool est interdit 10 ans (ramenés ensuite à 6). Depuis lors, pour que ce drame ne puisse se renouveler, tous les stades doivent être équipés de sièges.
  2. Jean-Paul II se rend aux Pays-Bas, Luxembourg et Belgique du 11 au 21 mai 1985. À Utrecht, le 12 mai, des heurts opposent des jeunes hostiles à sa venue et la police. À La Haye et Maastricht, il doit faire face à l’hostilité d’éléments marginaux. De plus l’accueil par les catholiques néerlandais (40% de la population) est assez froid car ils sont en majorité en désaccord avec l’éthique sexuelle qu’il défend et avec les nominations d’évêques conservateurs. Même le premier ministre, Ruud Lubbers, qui est catholique, déclare que le mot Rome au Pays-Bas suscite « un sentiment de circonspection, voire de défense ». Les deux jours au Luxembourg et les six en Belgique sont différents, chaleureux et fervents, bien que Jean-Paul II essuie à nouveau des critiques sur le rôle des femmes et des laïcs lors de sa visite aux deux universités séparées de Louvain (la néerlandophone et la francophone).
  3. C’est la quatrième fois, après les chroniques n° 118, Le roi sans dents, n° 205, Sociologie du crime (07.11.2011), et n° 297, Le refus d’Adam (19.05.2014), qu’Aimé Michel fait référence au livre de Roger Hood et Richard Sparks, publié dans l’excellente collection internationale l’Univers des Connaissances. Cette collection d’ouvrages de niveau universitaire fut publiée simultanément en France (chez Hachette), Angleterre, Allemagne, Espagne, États-Unis, Hollande, Italie et Suède. Je ne suis guère surpris que l’ouvrage de ces deux criminologues de l’Université de Cambridge ait retenu son attention car il est une mine de données empiriques, fondées sur des enquêtes traduites en statistiques, menées essentiellement au Royaume-Uni et aux États-Unis ; en contrepartie il est d’une lecture ardue mais il n’y avait pas là de quoi rebuter Aimé Michel ! Les auteurs traitent huit « problèmes cruciaux ». En premier lieu, ils tentent d’évaluer la délinquance cachée qui est la différence entre la criminalité réelle et la criminalité apparente (celle des statistiques de la police), en interrogeant soit les victimes, soit les délinquants. Ils s’interrogent sur la « sous-culture criminelle » du gang ou de la bande d’adolescents. Ils se demandent si on peut classer les délits et les délinquants en fonction des causes du délit (par ex. pour des mineurs prouver sa virilité, rechercher des sensations fortes, compenser un manque d’affection, obtenir un bien sans se faire prendre…). Ils examinent le processus qui conduit à la détermination de la sentence par les juges des tribunaux, avec d’autant plus d’intérêt que les jugements prononcés sur des cas similaires sont souvent très disparates, ainsi que l’efficacité des peines et des traitements en vue de prévenir les récidives, ce qui pose le problème de classer les délinquants de manière à choisir les mesures pénales les mieux adaptées. Enfin, ils étudient spécifiquement l’effet de l’incarcération sur les délinquants, qu’ils présentent en ces termes : « Comme la prévention des récidives n’est pas le seul objectif du juge qui condamne, on ne pourra jamais abolir complètement l’emprisonnement en tant que moyen de traiter les délinquants. Que cela déplaise ou non, il y aura toujours des prisons et toujours un certain nombre de délinquants qui devront y être envoyés. Ces délinquants seront en général les plus difficiles à réformer ; mais de plus, ce seront habituellement ceux dont la réforme sera le plus utile à la société. Cela vaut donc la peine d’essayer de découvrir quel est exactement l’impact – s’il y en a un – de l’incarcération sur ceux qui la subissent. » (p. 215). Cette synthèse, même si elle est un peu datée aujourd’hui, a le mérite de faire réfléchir à un sujet trop souvent abordé à travers le prisme déformant des faits divers et des passions qu’ils soulèvent.
  4. Les deux tableaux proviennent du chapitre que Hood et Sparks consacrent aux infractions avouées par leurs auteurs dans des enquêtes garantissant l’anonymat. Le premier sur les jeunes recrues des armées finlandaise et norvégienne reproduit en partie le tableau 9 (avec toutefois une erreur : les pourcentages de la seconde ligne sont relatifs à la contrebande d’alcool ou de tabac ; les objets pris dans un restaurant étant respectivement de 21 et 38%). Le second tableau sur les adolescents américains est un extrait d’une représentation sous forme graphique (figure 9 du livre). Plusieurs observations ressortent de ces statistiques. D’abord la banalité des infractions, au moins légères : « Il semble que la majorité des enfants commettent, à un moment donné, quelque chose d’illégal : beaucoup d’entre eux admettent même avoir volé. En revanche, il n’y a qu’une petite part d’entre eux qui reconnaissent avoir persisté. (…) S’il peut être correct de dire que se rendre coupable d’une ou deux infractions est “normalˮ chez les jeunes garçons, il est apparemment exceptionnel qu’ils participent fréquemment à des délits graves. » (p. 54). Ensuite, la délinquance apparente est beaucoup plus élevée chez les hommes que chez les femmes. Par contre, les enquêtes sont contradictoires en ce qui concerne l’incidence de la délinquance selon la classe sociale car celle-ci « peut, dans certaines zones, n’être qu’un médiocre indice des facteurs les plus vraisemblablement associés à la délinquance : l’éducation reçue, les aptitudes ouvrières, les relations avec la famille peuvent être des indices plus sûrs ». Enfin, presque toutes les enquêtes montrent que les délinquants condamnés avouent une fréquence de méfaits beaucoup plus grande que les « non-délinquants » officiels. Dans tous les cas Hood et Sparks soulignent que des problèmes de méthode se posent qui peuvent biaiser les résultats, les uns en minimisant leurs délits et les autres en les exagérant. Mais ils ont bon espoir que ces méthodes seront améliorées et permettront de mieux cerner cette matière d’autant plus difficile qu’elle est mouvante dans l’espace et dans le temps (on pense par exemple à la montée de ces formes nouvelles de délinquance que sont la cybercriminalité et le terrorisme). Je ne sais ce qu’en pensent les criminologues aujourd’hui mais leurs désaccords suggèrent que les problèmes de méthode sont loin d’être réglés (voir les notes de la chronique n° 205, Sociologie du crime – La violence s’est-elle aggravée ? (07.11.2011).
  5. Que parmi les fauteurs de troubles lors de rencontres sportives se trouvent des pères de famille et des « professionnels honorables » (fonctionnaires, commerçants, employés de banque) a été confirmé par la suite, y compris en France. Parmi les inculpés du stade du Heysel il y avait un ouvrier du bâtiment, un assistant médical, un fonctionnaire du ministère des finances. Toutefois, selon le rapport d’un collège d’experts suisses sur les violences urbaines, la majorité des hooligans de Grande-Bretagne sont des membres de la classe ouvrière. Nombre d’entre eux sont au chômage ou exercent des emplois peu qualifiés. Ce milieu obéit à « des normes de masculinité agressives et machistes. Ils ont peu de capacité d’auto-contrôle et finissent souvent, dans une situation de conflit, par se battre. Le football, qui exalte justement des valeurs comme la force physique, devient un endroit où ils peuvent s’exprimer. ». S’y ajoutent d’autres idéologies comme le racisme et le nationalisme (Uli Windisch et coll., Violences jeunes, médias et sciences sociales, L’Âge d’Homme, Lausanne, 2007).
  6. Lech Wałęsa a été effectivement arrêté pendant près d’un an (voir la chronique n° 377, Misraki–Samivel : La musique des âmes et celle des cimes – Un musicien hanté par les Autres Mondes, 21.03.2016, en particulier la note 1). L’écrivain et poète cubain Jorge Valls a été arrêté en 1964 pour son opposition à Fidel Castro. Il a passé 20 ans et 40 jours (c’est le titre de son livre publié en 1986) dans les prisons cubaines. Il est mort en exil à Miami en octobre 2015.
  7. Aimé Michel prend à nouveau parti ici contre Rousseau dans la querelle entre Voltaire et Rousseau, voir les chroniques n° 305, Anniversaire 1778-1978 : Voltaire et Rousseau – Le railleur contre le faiseur de système (12.08.2014) et n° 339, Utopiste qui veut faire mon bonheur, t’es-tu regardé dans un miroir ? − Comment l’illusion de savoir mua la philanthropie marxiste en son contraire (10.11.2014). Sur Robert Badinter, voir la note 2 de la chronique n° 402, Le gouverneur et le bagnard – La punition comme rançon de la liberté, mise en ligne il y a deux semaines.
  8. En conclusion de la chronique n° 205 citée plus haut, Aimé Michel se posait déjà la question « Si la vie publique est de plus en plus envahie par le crime, ne serait-ce pas simplement qu’il y a de moins en moins de vie privée, et que le mal, comme le reste, se socialise ? ». Si la réduction progressive et volontaire de ce qu’on appelait jadis « vie privée » est de plus en plus évidente sur les réseaux sociaux, cela signifie-t-il que la montée des délits ne serait qu’une apparence trompeuse ? Il est difficile de donner une réponse univoque à cette question (voir note 4 de la chronique n° 205). Toutefois le sociologue Jean Fourastié tenait la montée de la délinquance juvénile et même infantile, pour « incontestable » bien que difficile à chiffrer parce qu’elle échappe le plus souvent aux statistiques policières et que les lois et pratiques judiciaires changent. On conçoit qu’il est encore plus difficile de savoir ce qui se passe « dans la tête » (ou « au fond des cœurs ») des délinquants pour dresser un constat moral allant au-delà du constat sociologique. Des observateurs attentifs s’y sont pourtant essayés. Ainsi, Fourastié ajoute à propos des jeunes délinquants (ce qui rejoint les interrogations méthodologiques de Hood et Sparks par une autre voie) : « Autrefois, certains étaient conscients de faire “le mal” et le faisaient quand même ; aujourd’hui, il en est de même encore, et avec moins de nécessité ; mais, en outre, beaucoup de ceux qui font ce qui apparaissait mal ne pensent pas même que ce peut être “mal”. Il est difficile de chiffrer les petits délits qui (…) donnent de moins en moins lieu à plainte et encore moins à condamnation. » (D’une France à une autre. Avant et après les Trente Glorieuses, Fayard, Paris, 1987). Le neurologue Dominique Laplane estime lui aussi que ce phénomène date des années 1970 : « [O]n voyait apparaître à cette époque une pathologie nouvelle, une sorte de comportement asocial des adolescents, qu’on appela alors “déviance juvénile” ». Aujourd’hui « nous avons des données objectives sur le malaise intérieur de nos ados. La courbe ascendante des suicides dans toutes les couches de la population frappe avant tout les jeunes entre 15 et 30 ans. » (Un regard neuf sur le génie du Christianisme, F. X. de Guibert, Paris, 2006). Tous deux pensent que l’origine de ce « malaise intérieur » est la perte par notre société d’une conception du monde partagée par tous (parents, éducateurs, faiseurs d’opinion), permettant à chacun de se construire une identité, de se projeter dans le long terme, de reconnaître « un ordre de l’univers qui s’impose à l’homme qu’il le veuille ou non » (Laplane) et par conséquent « une morale et des sanctions transcendantes à cette morale » (Fourastié). Dans cette perspective, la fascination pour le terrorisme djihadiste ne pourrait-elle se comprendre en partie comme la réponse déviante et suicidaire de jeunes esprits en rébellion contre l’« absence d’ordre de l’univers », ou du moins de conception du monde, à laquelle notre société semble se résigner sinon se rallier ?
  9. Sur le « plongement dans l’infinie présence », la « liberté de grandir aveugle » et « le Dieu qui se cache », voir la chronique n° 392, « Plus intérieur que mon plus intime » – Les vérités les plus simples sont les mieux cachées, 30.05.2016 et aussi n° 165, Des signes dans le ciel – Pourquoi les étoiles sont-elles inaccessibles à l’homme ? 20.11.2012 (note 7).
  10. « Ce n’est pas par hasard que les derniers mots du Nouveau Testament “Reviens, Seigneur Jésusˮ se trouvent à la fin de cette Apocalypse où la raison se perd. Cela, je crois, veut dire que le propre de l’avenir (providentiel) est de sans cesse dépasser les rêveries de la raison. » (Chronique n° 332, La Providence et les microscopes… – Certaines ignorances sont providentielles, 07.04.2014).