J’ai expliqué dans ma dernière chronique que si la guerre du pétrole devait se prolonger, elle aboutirait tout simplement à la fin du pétrole1.
Sachant la part prépondérante du liquide noir dans la pollution des pays avancés2, on peut se demander si l’organisation de sa pénurie n’est pas un salutaire coup de cravache.
Jusqu’ici, bien que connaissant l’inéluctable tarissement des puits (compte tenu surtout des besoins d’énergie en croissance exponentielle), les grands intérêts qui gouvernent le monde jouaient délibérément le jeu de l’après-moi le déluge : à nos enfants de se débrouiller, le jour venu, pour trouver un substitut au pétrole brûlé jusqu’à la dernière goutte. La guerre du pétrole nous oblige à faire face dès maintenant.
Des bombes H dans notre vie
La solution finale du problème de l’énergie, c’est, nul ne l’ignore, la fusion nucléaire, c’est-à-dire l’énergie des étoiles. Si les étoiles brillent sans faiblir pendant des milliards d’années, c’est que les réactions de fusion ne cessent de se développer dans leur sein. Seulement, ce qui déclenche le phénomène dans les étoiles, c’est la formidable température qui y règne. Grâce à l’échantillonnage d’étoiles complet offert par l’astrophysique, on connaît par l’observation les relations entre la masse − qui fait la pression, qui fait la température − et l’éclat rayonné, qui fait l’énergie.
La théorie explique très bien ce qu’on observe : au-delà d’une certaine température, la fusion s’amorce, le corps d’abord obscur de la proto-étoile devient littéralement une bombe H entretenue : les étoiles sont des bombes H en état d’explosion pendant des milliards d’années.
Mais cette fusion, qu’est-elle au juste ? Dans les étoiles, il y a certainement plusieurs mécanismes, différents. Tous ont en commun le fait qu’il y a plus d’éléments lourds à la fin de la réaction qu’au début. Certains éléments légers ont fusionné, faisant la somme d’une partie de leur masse, le reste de la masse étant transformé en énergie, c’est-à-dire rayonné.
Dans le fameux cycle de Bethe par exemple, il y a six réactions successives qui, partant du carbone et de l’hydrogène, aboutissent après la sixième réaction à donner du carbone et de l’hélium ; au cours du cycle sont apparus de l’oxygène et de l’azote (on remarquera que tous les éléments impliqués dans ce cycle, sauf l’hélium final, sont ceux de la chimie des corps vivants, fait dont on ignore s’il a une signification). Une réaction différente est évidemment nécessaire dans les étoiles de la première génération, ne comportant pas de carbone mais seulement de l’hydrogène.
La fusion peut être alors celle des deux isotopes de l’hydrogène (deutérium et tritium), aboutissant à l’hélium et à l’émission d’une quantité d’énergie équivalant à la transformation de 1% de la masse initiale en énergie selon la fameuse formule E = mc2, ce qui est énorme3. D’autres réactions ont lieu dans les étoiles pour créer toute la gamme des éléments chimiques, certaines cataclysmiques : l’étoile alors, en une fraction de seconde, explose, donnant les fantastiques phénomènes appelés novae et supernovae.
Tous les atomes qui constituent les corps solides, y compris notre corps, y compris notre cerveau, ont vécu cette formidable aventure dans l’espace cosmique il y a des milliards d’années4.
Ce sont ces phénomènes que les physiciens doivent maîtriser pour mettre au point la pile thermonucléaire à fusion. Les difficultés sont énormes à cause des températures nécessaires au déclenchement du processus de fusion : cent ou deux cents millions de degrés. Comment contenir dans l’espace limité d’une machine un « cœur » de plasma d’une telle température ?
De nombreux physiciens y travaillent dans tous les pays avancés, mais à vrai dire, jusqu’ici, avec à peu près les seuls crédits qu’on accorde à la curiosité scientifique. En France, au Centre d’études nucléaires de Fontenay-aux-Roses et à celui de Grenoble, un groupe mixte du CEA et de l’Euratom est à l’œuvre5.
Est-il nécessaire de préciser que quand les grandes compagnies multinationales trouveront plus avantageux de donner aux savants tous les moyens requis plutôt que de maquignonner avec les émirs du pétrole, on verra les choses s’accélérer un peu ? La guerre du pétrole, si vraiment on nous la fait, jouera exactement le rôle qu’eut la fameuse lettre d’Einstein signalant à Roosevelt qu’on pouvait régler la question de l’Allemagne et du Japon en appuyant sur un bouton, pourvu que l’on donne quelques-uns des dollars de l’armée à un certain Fermi, travaillant obscurément dans un laboratoire de l’Université de Chicago.
Sans doute fallut-il y mettre, comme on dit, le paquet. On n’avait jusqu’ici aucune raison de le faire pour le problème de la fusion contrôlée, et je dirai qu’on avait toutes les raisons de ne pas le faire, compte tenu des milliers de milliards impliqués dans le trafic du pétrole. Le contrôle de la fusion, c’est en effet le glas du pétrole, du moins en tant que source d’énergie. Mais si ce qui n’intéressait que les physiciens se met à intéresser aussi les hommes d’affaires et les politiciens, les problèmes auront tendance à se résoudre avec une miraculeuse rapidité.
Voici le temps des périls
Les vraies difficultés, dans cette question scientifique, sont d’ordre politique. Les compagnies pétrolières ont-elles ou n’ont-elles pas intérêt à libérer l’Occident de sa sujétion énergétique ? Qui au juste détient les intérêts de ces compagnies ? Dans quelle mesure n’est-ce pas les pays producteurs eux-mêmes ? Dans quelle mesure ces compagnies ne sont-elles pas des monstres aveugles échappant à tout contrôle, y compris de la part de ceux qui croient les dominer ?
Ce sont là des questions auxquelles personne peut-être n’est à même de répondre, et que je laisse à de plus compétents le soin de commenter. De toute façon, et le problème scientifique étant supposé résolu (il le sera si on le veut), la relégation du pétrole au musée des énergies périmées ne se fera pas sans une complète révolution des mécanismes économiques, c’est-à-dire sans de dangereuses tensions politiques de toutes sortes, nationales et internationales. Tout le monde le sent bien : nous sommes entrés dans une ère de périls. Seuls les pays ayant assez de souplesse pour s’adapter à des situations imprévues et les peuples dotés de nerfs solides peuvent espérer la traverser sans dégâts excessifs. Heureux si nous savons utiliser les inévitables métamorphoses pour construire une société plus humaine6.
Aimé MICHEL
(*) Chronique n° 170 parue dans France Catholique − N° 1 414 − 18 janvier 1974
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Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 17 décembre 2012
- Voir la chronique n° 169, La crise de l’énergie − Un épisode providentiel ? mise en ligne la semaine dernière. Aimé Michel y défend l’idée que « La guerre du pétrole, si elle est vraiment engagée, aura le résultat qu’a toujours eu ce genre de défi (…). Si le pétrole manque on trouvera autre chose, au prix, certes, d’un nombre indéterminé de dures années. Alors, les puits de pétrole deviendront une curiosité touristique. » Jusqu’à présent l’accroissement du prix du pétrole a surtout conduit à l’extraire de gisements nouveaux, auparavant trop coûteux à exploiter. Le pétrole sous-marin, les pétroles et gaz de schistes, les sables bitumineux, le pétrole extra-lourd ou très profond (à 2000 m et plus) sont devenus, deviennent ou deviendront tour à tour rentables et donc exploités…
- Aimé Michel était très attentif à ces problèmes de pollution. Il était parfaitement conscient des menaces que l’activité humaine fait peser sur les milieux naturels, comme le montre par exemple sa lettre ouverte à Jean Cazeneuve (n° 129, Correspondance : l’attentat contre la biosphère − Les géologues, les géophysiciens, les biologistes nous crient que c’est au naufrage que nous courons, 08.10.2012) et de la nécessité d’une mise en perspective à finalité spirituelle (n° 136, Correspondance : les fruits de la science et de la technique − La science peut-elle donner aux hommes le moyen de nous sauver ? 15.10.2012). On n’oubliera pas ses mises en garde en lisant la présente chronique.
- Il y a deux modes de libération de l’énergie nucléaire : la fission d’éléments lourds et la fusion d’éléments légers. La fission est actuellement le seul procédé utilisé dans les centrales nucléaires, la fusion nucléaire contrôlée est un objectif qui reste à atteindre, même en conditions de laboratoire. L’importance de ces réactions nucléaires provient de l’extraordinaire quantité d’énergie qu’elles dégagent. Le Suisse M. Taube en donne un exemple frappant dans un livre (Evolution of Matter and Energy on a Cosmic and Planetary Scale, Springer, New York, 1985) qui est une mine de données et de réflexions sur ces questions. La combustion des 420 kg de charbon fournis par un mètre cube de mine à ciel ouvert peut fournir 12 milliards de joules (12 GJ) d’énergie. Les cendres issus de cette combustion contiennent 1,3 g de thorium et d’uranium. Or, ces 1,3 g de « déchets » utilisés dans un réacteur nucléaire approprié peuvent fournir 100 GJ d’énergie, soit 8 fois plus que l’énergie chimique contenue dans le charbon ! L’énergie fournie par la fusion est encore plus importante : 230 GJ par gramme de deutérium contre 86 GJ par fission d’un gramme d’uranium ou de thorium. On comprend dès lors que physiciens et ingénieurs s’attachent à rendre ce potentiel utilisable dans les meilleures conditions.
- A l’exception des deux plus légers d’entre eux, l’hydrogène et l’hélium, tous les éléments ont pris naissance dans le creuset des étoiles. On estime qu’il a fallu cinq générations d’étoiles successives, qui ont toutes explosées en fin de vie, pour que soit atteinte la proportion d’éléments lourds (tels que le carbone, l’oxygène, le fer…) du système solaire actuel. Voir à ce propos la chronique n° 58, Notre chair dans les étoiles, parue ici le 12.12.2010.
- Les recherches sur la fusion continuent car elles n’ont pas encore abouti à la « révolution thermonucléaire » espérée par Aimé Michel. Le projet phare est ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) qui vise, comme son nom l’indique, à construire un réacteur expérimental à fusion (thermonucléaire). Il repose sur une collaboration entre la Chine, la Corée du Sud, les Etats-Unis, l’Inde, le Japon, la Russie et l’Union européenne, ce qui est en soi bien digne d’être salué. Le projet actuel représente l’aboutissement d’un long processus commencé en Union soviétique, aboutissant à un premier accord en 1992 puis après quelques péripéties à un second en 2003. En 2006, après de rudes négociations entre la France et le Japon, la décision est prise de construire le réacteur à Cadarache en Provence, en vue de montrer la faisabilité de la fusion nucléaire (Ce choix n’a rien d’arbitraire car il existe depuis les années 80 à Cadarache une équipe de plus de 300 spécialistes de la fusion travaillant avec une machine expérimentale, le tokamak Tore-Supra).
Le principe du réacteur ITER est de porter un mélange gazeux peu dense de deux isotopes de l’hydrogène, le deutérium (dont le noyau est formé d’un proton et d’un neutron) et le tritium (un proton et deux neutrons), à une température d’environ 100 millions de degré. A cette température la violence des chocs entre les noyaux des deux éléments est telle qu’elle excède leur répulsion électrostatique mutuelle. Les deux noyaux de départ fusionnent en un noyau d’hélium 4 (2 protons et 2 neutrons) en libérant un neutron et beaucoup d’énergie. En effet la masse des produits de la réaction est inférieure à celle des deux noyaux de départ, et cette différence correspond à l’énergie libérée sous forme de photons (c’est une application de la célèbre formule d’équivalence de la masse et de l’énergie découverte par Einstein). L’énergie dégagée est telle qu’elle maintient la température et que la réaction peut se poursuivre. L’objectif d’ITER est précis : atteindre cette température, déclencher la fusion dans une vaste enceinte en forme d’anneau de 840 m3, puis l’y maintenir pendant six minutes pour générer une puissance de 500 MW, dix fois supérieure à l’énergie utilisée pour le chauffage initial. Bien entendu aucune barrière matérielle ne peut résister à 100 millions de degrés, aussi le mélange sera-t-il contenu par un champ magnétique créé par des électro-aimants supraconducteurs. La mise au point de ces bobines est l’un des principaux défis du projet. La chaleur produite par ITER sera dégagée dans l’atmosphère mais dans le projet ultérieur, DEMO qui sera construit au Japon, cette chaleur sera récupérée pour produire de l’électricité comme dans une centrale thermique ordinaire ou un réacteur à fission. Les premières expériences d’ITER sont prévues en 2016 et devraient se poursuivre jusqu’en 2036.
Les avantages de la fusion nucléaire sont nombreux. La réaction de fusion est beaucoup plus facile à contrôler que la réaction en chaîne des réacteurs à fission : il suffit d’interrompre l’arrivée du deutérium pour que la réaction de fusion s’arrête d’elle-même. Cette réaction ne produit pas d’éléments radioactifs car l’hélium est un gaz neutre. Enfin et surtout, le « combustible » est relativement abondant, le deutérium surtout (33 g/m3 d’eau de mer) ; par contre le tritium, qui sera fourni par le Canada pour ITER, devra être produit à terme à partir du lithium (0,18 g/m3 d’eau de mer), un des objectifs d’ITER étant justement d’étudier sa production (le lithium bombardé par des neutrons produit du tritium et de l’hélium).
Les critiques sont également nombreuses. Certains, comme Pierre-Gilles de Gennes, lauréat du prix Nobel de physique, pensent que le projet est irréaliste tant il est difficile. L’un des problèmes non résolus est le maintien du plasma à haute température. Cependant des travaux récents donnent des pistes pour tenter de juguler les instabilités qui arrêtent les réactions de fusion (voir par exemple http://www.enerzine.com/2/13418+un-nouveau-pas-vers-la-maitrise-de-la-fusion-nucleaire+.html et www.usinenouvelle.com/article/fusion-nucleaire-un-des-obstacles-leve.N174275). D’autres estiment qu’ITER est un gouffre financier et que les moyens qui lui sont consacrés seraient plus utiles ailleurs. En effet, les plus optimistes ne semblent guère prévoir de centrales à fusion opérationnelles avant 50 ou 60 ans, si bien que cette solution à long terme viendrait trop tard pour éviter à l’humanité la pénurie énergétique due à l’épuisement des combustibles fossiles. Les écologistes enfin mettent en doute tout à la fois, y compris la « propreté » et la sécurité. Ils font valoir que les techniques mises en jeu sont problématiques (froid extrême pour les bobines à proximité de chaleurs énormes, champs magnétiques intenses), que le tritium est un gaz radioactif (dangereux surtout s’il est ingéré, mais il y en aura peu dans la machine), et que les flux de neutrons à haute énergie produits rendront l’enceinte elle-même radioactive et qu’ils permettront la transformation facile d’uranium en plutonium à usage militaire.
- Il est peu douteux que « les vraies difficultés, dans cette question scientifique, sont d’ordre politique » et que « nous sommes entrés dans une ère de périls ». Aimé Michel avait bien perçu la menace au moment même où s’achevaient les Trente Glorieuses (caractérisées par une progression du PIB de plus de 5% l’an ; sur l’origine de cette expression voir la chronique n° 217, La crise économique à l’Est − De la crise permanente à la crise mondiale en 1975 et après, 06.08.2012) et où commençait ce qu’on a depuis appelé les Trente Piteuses (avec une croissance moyenne de moins de 1%). C’est avec raison qu’il glisse sur les questions que posent les compagnies pétrolières pour mettre l’accent sur les tensions qui vont naître du déclin prévisible, et peut-être déjà commencé, de l’économie du pétrole, c’est-à-dire d’une énergie dont le coût de production est très faible.
La difficulté croissante des compagnies pétrolières à découvrir de nouveaux gisements est interprété par certains comme le signe que le pic de production est en passe d’être atteint, sinon déjà atteint. Quelle que soit la date d’atteinte de ce pic et même si ce niveau de production est maintenu quelque temps en dépit de l’épuisement de certains gisements (par exemple, la production de la Mer du Nord a amorcé son déclin), la demande mondiale croissante provoquera inévitablement des tensions sur les prix et des difficultés d’approvisionnement. Comme le coût des énergies renouvelables est (et restera) beaucoup plus élevé que celui des énergies fossiles en raison du travail humain qu’elles exigent, la transition énergétique risque fort de se payer par un abaissement sensible du niveau de vie, un accroissement du chômage et de la paupérisation, une montée des injustices de tous ordres. On peut défendre l’idée que la crise économique et financière dans laquelle nous sommes provient des dérèglements produits par la crise énergétique sous-jacente, actuelle ou anticipée. Il y a eu jusqu’à ce jour un lien direct entre la disponibilité d’une énergie abondante et presque gratuite et le progrès socio-économique. Toute la question est dorénavant de savoir si on va être capable de faire aussi bien ou mieux avec moins d’énergie. Or, il est difficile de ne pas s’inquiéter de l’écart entre ce qu’il faudrait faire et ce qui est fait :
1/ La mise en œuvre d’énergies « propres » (le terme est discutable) progresse de manière insuffisante. Selon l’AIE (voir son Résumé des Perspectives 2012 sur le site www.iea.org), « Malgré les potentiels technologiques, les énergies propres progressent trop lentement. Sur les dix technologies les plus prometteuses en termes d’économies d’énergie et d’émissions de CO2, neuf ne satisfont pas aux objectifs de déploiement à atteindre pour réaliser la transition nécessaire vers un avenir économe en carbone. Certaines des technologies les plus riches en potentiel sont celles qui progressent le moins. (…) Il est particulièrement préoccupant de constater la lente diffusion des technologies améliorant l’efficacité énergétique, le peu de progrès concernant le captage et le stockage du carbone (CSC) », c’est-à-dire le stockage du CO2 produit par les installations industrielles (centrales thermiques, cimenteries, etc.) dans des réservoirs souterrains (ce n’est évidemment pas sans danger mais cela permettrait une mise en comparaison plus saine des procédés chimiques et nucléaires de production d’énergie). L’Allemagne est présentée comme la championne de l’économie verte alors qu’elle construit de fait des centrales électriques à gaz et à charbon sans CSC destinées à fonctionner plusieurs dizaines d’années. Quant à l’Inde et à la Chine, elles mettent en service une centrale à charbon par semaine…
2/ Les médias se passionnent pour les énergies renouvelables mais à proportion inverse de leur potentiel. Les ordres de grandeur physiques et leurs traductions en prix (c’est-à-dire en temps de travail humain) sont souvent entièrement perdus de vue. L’impression d’ensemble est celle d’une totale cacophonie : les propos des quelques personnes compétentes et sensées sont perdus dans une masse d’opinions sommaires et de visions infondées. Les ingénieurs qui détiennent les clés du problème technique se taisent ou n’ont pas voix au chapitre. Il est d’ailleurs frappant de constater qu’à ma connaissance du moins, aucun ouvrage de synthèse en langue française sur la question énergétique n’est paru depuis celui de Robert Dautray, Quelles énergies pour demain ? (Odile Jacob, Paris, 2004), alors qu’on dispose d’une avalanche de livres contradictoires sur le réchauffement climatique.
3/ On ne s’étonnera pas dans ces conditions que les hommes politiques, plus soucieux parfois de suivre l’opinion que de la former, s’intéressent peu aux questions énergétiques. Ils privilégient les conséquences (chômage, etc.) au détriment des causes (énergétiques et agricoles), alors même qu’elles conditionnent les évolutions récentes et que les Printemps arabes, par exemple, résultent en grande partie de l’élévation du prix des céréales qui s’explique elle-même par de mauvaises récoltes dues à la sècheresse et à leur utilisation pour fabriquer des agrocarburants (sur l’importance centrale de l’agriculture voir l’exemple de l’URSS, chronique n° 232, Un printemps explosif a Moscou − Les problèmes de l’agriculture soviétique, 17.09.2012). Les défis à relever ne sont pas perçus, si bien que l’inaction ou l’action inefficace prédominent et qu’aucune politique claire, apte à fédérer les initiatives, ne se dessine. Quant à une politique européenne, si nécessaire, elle semble se perdre dans des considérations à court-terme : à croire qu’une fois estompé le souvenir vécu des guerres européennes et disparue la menace des chars soviétiques, la motivation de l’union se perde dans les sables.
Je laisse le mot de la fin à Aimé Michel : « Jamais les hommes n’ont paru si impuissants devant les forces aveugles (ou providentielles) de l’histoire » (chronique n° 214, Le cheval fou − La « crise » de 1975 à nos jours, 30.01.2012).