LA RÉVOLUTION ET AU-DELÀ (*) - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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LA RÉVOLUTION ET AU-DELÀ (*)

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Revenons une fois de plus sur le mot sacré de notre temps : « Révolution. »

Ce que je vais dire sera, je le sens, sur le fil du rasoir. Mais sur le fil du rasoir, saint Augustin n’eut-il pas le sentiment d’y être aux moments décisifs de sa vie, lui qui vit l’effondrement, puis les décombres de Rome, de Rome non pas seulement la ville, mais le système, la civilisation, l’ordre, la société de Rome. Je ne veux, certes pas, dire que le destin de Rome préfigure en cette fin du deuxième millénaire celui de l’Occident ! Je n’en sais rien ! « Sire, l’avenir est à Dieu ! »1 Et tant que Rome ne se fut pas effondrée, pour Augustin aussi « l’avenir était à Dieu ». Je ne veux, mais avec prudence, en m’interrogeant, qu’examiner où est la révolution, en quoi et de quoi au juste je me sens menacé, moi qui écris dans ce journal, moi qui l’ai choisi pour ce que l’on y dit.

Certaines menaces pour moi n’en sont pas, me laissent complètement indifférent : par exemple, la subversion complète des fondements de la propriété. Ayant passé la partie la plus heureuse et la plus fructueuse de ma vie dans la pauvreté, je sais d’expérience que le droit d’être riche ne touche pas à l’essence de l’homme.

Et même, ma foi, dans le tableau contradictoire que d’ici l’on peut se faire de la Chine, certaines choses me plaisent, me plaisent énormément ! Que tous les intellectuels jeunes et vigoureux soient de temps à autre cordialement invités à tâter un peu du travail des moissons, des chantiers et des usines, franchement, cela me botte ! C’est très salutaire pour le corps et l’esprit2 ! Je gage que bien des spéculations ésotériques et distinguées sur la condition ouvrière que ces mêmes intellectuels nous produisent à la faveur des loisirs mal partagés de la société bourgeoise y gagneraient en netteté !

De même, c’est avec une satisfaction sans mélange que je verrais des Commissions de mains calleuses et de cous rouges venir contrôler de temps à autre le sérieux de nos écoles, de nos universités, de nos études3.

Venons-en à des menaces plus sérieuses, celles qui visent nos libertés. Vive la liberté, bien sûr, mais laquelle ? Celle de fumer la marijuana ? Celle du mariage de groupe ? Du mariage homosexuel ? Celle d’abandonner les enfants, comme on fait à la communauté (sic) de Twin Oaks, fondée sur les utopies de Skinner4, où tout le monde est le mari et la femme de tout le monde, mais où les enfants, se révélant à l’usage « insupportablement possessifs », on s’en débarrasse à mesure qu’on les fait en les renvoyant chez les grands-parents assez jobards pour les prendre et les élever, ou dans des orphelinats ? Il faut reconnaître que les enfants de cette « communauté » totalement « libérée » n’ont à s’en prendre qu’à eux-mêmes : ils s’attachent à leurs parents, ces petits crétins, ils leur imposent leur amour avec une fureur répressive incroyable !

Non seulement il devra se lever tôt, celui qui voudra me convaincre de mourir pour ces libertés-là, mais, en toute sincérité, si elles venaient à donner sa forme à la société où je vis, si c’était à des lupanars de cette sorte que je dusse, en mourant, abandonner ma descendance, eh bien ! je préférerais n’importe quoi d’autre ! Presque n’importe quoi ! Même l’oppression !

Les communistes conservateurs

Il faudrait approfondir la définition de l’Occident auquel nous tenons. Il faudrait rechercher si cet Occident-là peut encore se définir par la seule géographie, si ce n’est pas plutôt un héritage spirituel diffus que le monde (le monde tout entier) s’est plus ou moins partagé. J’ai averti le lecteur que j’écrirais sur le fil du rasoir. Voici un exemple qui m’a troublé tout au long de ma carrière : dans la grande machine où j’ai travaillé pendant trente et un ans (les services de recherche de l’ex-ORTF), les gens consciencieux, honnêtes, respectueux du matériel et du travail, comptaient un nombre exceptionnel de communistes.

Sur ce point particulier de la morale du travail, les communistes, et même les staliniens de l’époque la plus noire, constituaient le corps politique le plus conservateur ! La scission historique de mai 1968 entre gauchistes et communistes, je l’ai vue se faire sur ce point hypersensible : les communistes avaient le bousillage, l’irresponsabilité en horreur ! De leur côté, les gauchistes avaient en horreur la dictature (enfin, pas tous, il y a cent gauchismes). Il n’est donc pas douteux que sur certains points fondamentaux de la morale occidentale traditionnelle, en particulier sur le caractère sérieux du travail, de la responsabilité sociale, voire familiale, ceux-là mêmes qui nous annoncent leur dessein de tout changer sont plus conservateurs que l’Occident géographique actuel !

Pourquoi ce paradoxe ? Parce que les communistes s’en tiennent au système conçu par un bourgeois du XIXe siècle appelé Karl Marx. Marx a fabriqué la machine à détruire la société bourgeoise. Mais, dans son esprit, cette destruction s’achevait en un transfert de propriété. La classe bourgeoise était dépossédée de sa mainmise sur l’État et les moyens de production. Le prolétariat s’en emparait. Et là-dessus tout était dit. Ou, en tout cas, de là tout le reste découlait.

Le travailleur ce dinosaure…

Un siècle s’est écoulé et l’imprévisible s’est produit : dans la société de gaspillage, c’est-à-dire (bourgeoise ou pas) hautement productive, il peut naître des révolutions qui eussent frappé d’horreur Marx lui-même. La destruction de la bourgeoisie n’est pas le dernier mot de la subversion ! Il s’avère qu’on peut en imaginer d’encore plus fondamentales, visant jusqu’à cette partie du cœur et de l’âme que Marx, sans s’en douter, partageait avec toute l’Europe traditionnelle, ouvrière, paysanne et bourgeoise.

Certes, les communistes tiennent nos Twin Oaks pour témoignages de pourriture capitaliste. Capitaliste ? Patience ! Que vienne chez eux aussi l’abondance. Ne veulent-ils pas rattraper l’Occident ? Ils l’auront ! Plus de pénurie, plus de respect de l’objet consommable. Et quand on peut gaspiller, on gaspille. Et quand on gaspille, de quoi a l’air le « travailleur » ? Il a bonne mine, ce fossile d’une autre ère. Je me demande parfois si les trois Grands5 ne seront pas un jour contraints de se réconcilier sur une peur commune : la peur de la révolution.

Aimé MICHEL

(*) Chronique n° 212 parue dans F.C. – N° 1492 – 18 juillet 1975. Reproduite dans La clarté au cœur du labyrinthe, chap. 13 « Marxisme et communisme », pp. 359-361.

Notes de Jean-Pierre ROSPARS

  1. Ce vers provient du poème « Napoléon II », dans Les Chants du crépuscule (1832), que Victor Hugo, alors bonapartiste, écrivit lors de la mort à Vienne du Roi de Rome en 1832. C’est l’une des citations favorites d’Aimé Michel. Dans ce poème Napoléon 1er présente son fils nouveau-né à la foule et s’écrit « L’avenir ! l’avenir ! l’avenir est à moi ! ». Le poète répond : « Non, l’avenir n’est à personne ! Sire, l’avenir est à Dieu ! (…) L’avenir ! l’avenir ! mystère ! (…) Dieu garde la durée et vous laisse l’espace ; (…) L’Angleterre prit l’aigle, et l’Autriche l’aiglon. (…) Tous deux sont morts.- Seigneur, votre droite est terrible ! Dix ans vous ont suffi pour filer le suaire Du père et de l’enfant ! »
  2. Ces lignes ont été écrites en 1975. Aimé Michel ne les aurait évidemment pas écrites quelques années plus tard quand les 6 ou 7 dizaines de millions de morts provoquées par la Révolution Culturelle (1966-1976) ont été connues.
  3. Humour mis à part, ces « Commissions de mains calleuses et de cous rouges » ne sont pas sans rappeler les propos de Claude Allègre tenus en mars 2000 devant la Mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale. Il y déclare « on ne peut faire gérer l’Université uniquement par les universitaires sans une contrepartie de citoyenneté », ce qui le conduit à proposer des conseils d’administration d’université qui ne soient pas composés d’universitaires mais qui représentent l’ensemble des citoyens (cité par Jacques Marseille : Le Grand Gaspillage, Plon, Paris, 2002, p. 141).
  4. Sur B.F. Skinner (1904-1990), le célèbre béhavioriste de l’université de Harvard, voir la chronique n° 5, Le caractère sur ordonnance, parue ici le 15 août 2009.
  5. L’expression n’était sans doute pas courante en 1975. Les Trois Grands évoquaient encore la conférence de Yalta entre Roosevelt, Staline et Churchill. Le livre d’Alain Peyrefitte, Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera (Fayard, Paris, 1973), dont le titre reprenait une prophétie que Napoléon Ier aurait faite à Sainte-Hélène, venait de connaître un succès retentissant, mais la Chine ne s’était pas encore éveillée…