LA MOULINETTE QUI NOUS MENACE - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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LA MOULINETTE QUI NOUS MENACE

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Mes lecteurs trouveront bon, j’espère, que je prenne parfois mes sujets de chronique dans France Catholique-Ecclesia elle-même, imitant ainsi ce fabricant de camembert dont le couvercle représente un personnage en extase devant le camembert en question, c’est-à-dire devant sa propre image peinte sur le couvercle et ainsi à l’infini. Ne méprisons pas les couvercles de fromage quand ils s’inspirent de la même idée que les Deux Infinis de Pascal…

Quoi qu’il en soit, recevant le numéro du 9 novembre de notre journal et constatant dans plusieurs éditoriaux (celui de L.-H. Parias, celui de Jean de Fabrègues, celui de Jean Daujat) l’expression d’une inquiétude, voire d’une angoisse devant les prétentions croissantes des « sciences humaines », je voudrais rappeler que si ces « sciences » existent certes en tant que phénomène socio-culturel, si l’on ne peut que constater leur intervention de plus en plus impérative dans notre vie, y compris dans notre vie privée et spirituelle, s’il est incontestable que le brouhaha d’idées au milieu desquelles nous naviguons est de plus en plus imprégné de leurs concepts et de leurs exclusives, néanmoins, en tant que sciences, elles n’existent qu’à peine, elles n’existent qu’à l’état de projet1.

Le bain de pieds de Socrate

Si la logique des sciences s’accommodait de la même familiarité que la métaphysique de Platon, où l’on voit parfois Socrate prendre son bain de pieds, je dirais que c’est par un abus proche du terrorisme que notre temps mélange les torchons et les serviettes et met dans le même sac d’une dénomination commune les « sciences » physiques et les « sciences humaines ».

Examinons leurs démarches respectives. Un physicien veut savoir ce qui se passe dans sa chambre à bulles. Il installe ses appareils, prend disons mille clichés, les examine, porte ses résultats sur des graphiques, effectue des mesures et publie le tout : bien ou mal, son programme est achevé ; pendant qu’il fait ses graphiques et ses mesures, la chambre à bulles, dont il n’a plus rien à faire, est passée entre les mains d’un autre physicien.

Considérons ensuite un psychologue qui étudie l’hérédité de l’intelligence (un sujet que j’ai déjà abordé à plusieurs reprises et qui me vaut toujours un abondant courrier)2. L’expérience la plus incontestable sur ce sujet, la-plus « scientifique » si l’on veut, consiste à tester les corrélations chez les jumeaux vrais élevés ensemble et chez les jumeaux élevés séparément et à les confronter avec celles d’autres enfants3. Les jumeaux vrais (homozygotes) ont rigoureusement la même hérédité génétique ; il est évident que si deux jumeaux homozygotes, élevés séparément ou non, présentent des différences, elles ne peuvent en aucun cas être attribuées à l’hérédité, puisque celle-ci est identique chez l’un et chez l’autre.

Or, on constate ceci (a) :

1. Les différences intellectuelles entre jumeaux univitellins élevés séparément sont faibles, mais elles existent ;

2. Elles sont le plus souvent (quoique pas toujours) en relation avec des différences de scolarisation ou d’avantages sociaux : en général (mais pas toujours), le jumeau plus riche et plus scolarisé obtient un Quotient intellectuel (QI) supérieur ;

3. Dans un nombre de cas faible mais non négligeable, c’est le jumeau le moins riche et le moins scolarisé qui obtient le plus haut QI ;

4. Ces dernières variations sont à peu près identiques aux différences observées entre jumeaux élevés ensemble ;

5. Les corrélations moyennes peuvent être chiffrées ainsi (une corrélation égale à 1 indique une corrélation absolue ; 0 indique que l’on n’observe aucune corrélation : c’est un pourcentage d’identité (b) :

− entre 95 paires de jumeaux vrais élevés ensemble : 0,918 ;

− entre 53 paires de jumeaux vrais élevés séparément : 0,863 ;

− entre 263 frères ou sœurs élevés ensemble : 0,545 ;

− entre 151 frères ou sœurs élevés séparément : 0,412 ;

− entre 136 enfants non consanguins élevés ensemble : 0,281 ;

− entre l’enfant adopté et ses véritables parents dont il est séparé depuis la prime enfance (c) : 0,35 ;

− entre l’enfant élevé par ses parents et ceux-ci (c) : 0,38.

Ces résultats donnent à réfléchir. S’il est indéniable en effet qu’ils établissent une forte hérédité de l’intelligence (puisque les jumeaux homozygotes ont le même QI dans 86,3% des cas, même élevés séparément, alors que frères et sœurs ordinaires élevés séparément n’ont le même QI que dans 41,2% des cas, que des enfants non consanguins élevés ensemble seulement dans 28,1% des cas, il ne s’agit que de pourcentages), si donc l’État édicte des lois en se fondant sur ces pourcentages, quelle sera la situation des exceptions à l’égard de la loi ?

Sans doute dira-t-on qu’il vaut mieux que l’État dispose de ces connaissances incertaines relatives et limitées plutôt que de rien du tout. Sans doute ! Sans doute dans la mesure où il faut que notre vie soit organisée par la loi. Le drame (souligné par Jean Daujat dans son article du 9 novembre) c’est que la vie humaine est de plus en plus la proie de son milieu social et légal. Jadis l’enfant par exemple poussait et se développait jusqu’à la puberté dans l’empirisme familial, où chacun s’adapte aux autres dans une convenance mutuelle. Désormais, il est pris dès la maternelle dans une machine planifiée par des pédagogues imbus de statistiques et de corrélations. Que deviendront dans cette machine les enfants exclus du pourcentage majoritaire ? Les passera-t-on à la moulinette ? Oui : c’est bien ce que l’on nous promet puisqu’il est maintenant question- de mettre les enfants dans la machine dès l’âge de deux ans !4

Pourquoi nous rechignons

Disons-le clairement : la planification de l’homme sous prétexte de sciences humaines n’est pas seulement aberrante. C’est une escroquerie. Toute physique cesse d’être valable dès qu’un phénomène, un seul, la contredit. Les lois mises en évidence par les sciences humaines ne tiennent pas compte de l’exception. Toute société régie par elles est donc par essence totalitaire. Elle ignore les minorités. Or, nous sommes tous minoritaires par quelque bout, car tout homme est unique. Si nos contemporains sont moroses, c’est qu’ils rechignent à la moulinette.

Aimé MICHEL

(a) C. Stern : Principles of human Genetics (Freeman édit., San Francisco, 1960).

(b) D’après McNemar (1942), Newman et autres (1937). Burt (1966). Voir l’ouvrage collectif Readings in Human Intelligence (Methuen, Londres, 1972), chapitre 14 et surtout les tableaux des p. 230, 234 et 236.

(c) D’après J. Larmat : la Génétique de l’intelligence (PUF Paris, 1973).

Chronique n° 162 parue dans France Catholique-Ecclesia − N° 1 406 − 23 novembre 1973


Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 10 juin 2013

  1. Aimé Michel n’était pas avare de remarques négatives semblables à l’égard des sciences humaines et de leurs praticiens. Quand il écrit :« les raisonneurs ignares qui enseignent avec assurance des parterres ébahis de Monseigneurs et de pieux notables protestants sur ce que ceux-ci ont le droit de croire pour avoir l’air sérieux (…) se fondent sur les pseudo-évidences des “sciences humaines”, qui ne nous apprennent rien sur l’homme dans un langage farci de mathématiques inapplicables à la moindre expérience. », il est difficile de lui donner tort. Mais quand il ajoute « Quand les sciences humaines auront découvert quelque chose, cela se saura. » (Chronique n° 255, Les mouches – Ces théologiens sérieux qui repoussent l’idée d’une Personne divine, 11.02.13), il pousse évidemment un peu loin le bouchon. En d’autres endroits, par exemple la chronique n° 114, L’homme chiffré – Les sciences humaines aussi permettent de prévoir : l’exemple du QI (23.04.2012), il se montre un peu plus indulgent à leur égard. Il le confirme quelques mois plus tard quand il écrit : « Il est vrai (…) que la psychologie est une science, que ses découvertes sont nombreuses et bien démontrées » (chronique n° 151, Les poux, les enfants et le lion – Skinner, Walden II et Twin Oaks : une société régie par les lois de la science, 29.04.2013). Son ajout « Mais ce que la psychologie sait de l’homme n’est rien auprès de ce qu’elle ignore » n’est pas à proprement parler une critique de cette discipline car il pense exactement la même chose de toutes les autres sciences qui, elles non plus, ne savent rien auprès de ce qu’elles ignorent.
  2. Plusieurs chroniques antérieures abordent en effet la question délicate de l’hérédité de l’intelligence. Dans la chronique n° 127, Le café, le lactate et l’âme – Qu’est-ce qu’un état d’âme, sujet à des manipulations chimiques ? (11.06.2012), Aimé Michel rapporte les travaux d’Arthur Jensen montrant que « le QI moyen des petits Noirs était d’environ 85, la moyenne des petits Blancs étant de 100. » Il ajoute « Je sais ce que pareille affirmation a de choquant » et « qu’il est hors de question de ressusciter sur cette base le préjugé raciste ». La chronique n° 114, L’homme chiffré (citée ci-dessus) présente la mesure de l’intelligence par le QI ; en note 4 je rends compte de l’éditorial publié dans le Wall Street Journal du 13 décembre 1994 intitulé « L’intelligence selon le courant majoritaire de la science » (« Mainstream Science on Intelligence ») qui résume en 25 points les principales conclusions acquises sur l’intelligence et maintient en particulier qu’il existe des différences systématiques d’intelligence entre groupes ethno-raciaux ? Dans la chronique n° 190, Avortement et biologie, Les effrayantes perspectives ouvertes par les progrès de la biologie (parue ici le 11.07.2011), je rapporte l’opinion de S.J. Gould selon lequel « la différence moyenne entre les Blancs et les Noirs aux États-Unis pourrait ne résulter que des conditions moins favorables de l’environnement des Noirs. »

    On voit donc pourquoi le sujet est délicat. Une discipline porteuse de si mauvaises nouvelles suscite inévitablement des polémiques et conduit aisément à des confusions et amalgames : comme l’a rappelé le psychologue Hans Eysenck (voir la chronique n° 127) : « la science a prouvé que l’égalité génétique n’était qu’un mythe, mais cela ne joue en aucune manière en faveur d’une inégalité devant la loi, d’une inégalité de chances et d’une inégalité de droits politiques ». Il ne m’appartient pas de décider si Eysenck a raison ou non de dire que « la science a prouvé » mais l’enseignement qu’il en tire me semble bien digne de méditation.

  3. Sur la notion de corrélation voir la chronique n° 149, Sherlock Holmes en échec – Corrélation n’est pas causalité (05.11.2012).
  4. La question est de nouveau d’actualité. Une circulaire de l’Éducation nationale parue le 18 décembre 2012 manifeste la volonté du gouvernement que davantage d’enfants de moins de trois ans soient scolarisés en maternelle (http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=66627). « La scolarisation d’un enfant avant ses trois ans, y lit-on, est une chance pour lui et sa famille lorsqu’elle correspond à ses besoins et se déroule dans des conditions adaptées. Elle est la première étape de la scolarité et, pour beaucoup d’enfants, la première expérience éducative en collectivité. Il s’agit notamment d’un moyen efficace de favoriser sa réussite scolaire, en particulier lorsque, pour des raisons sociales, culturelles ou linguistiques, sa famille est éloignée de la culture scolaire. Cette scolarisation précoce doit donc être développée en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales et de montagne ainsi que dans les départements et régions d’outre-mer. »

    Une polémique s’en est suivie, les uns approuvant ce choix, les autres faisant valoir que des enfants de deux ans ne sont pas mûrs pour l’école (voir par exemple http://www.lavie.fr/famille/education/l-ecole-a-2-ans-faut-il-etre-pour-ou-contre-16-01-2013-35131_415.php). Les « arrachements » prônés par deux ministres n’ont fait qu’accroître les inquiétudes, Christine Taubira voulant « arracher les enfants au déterminisme de la religion et de la famille » (à l’Assemblée nationale) et Vincent Peillon entendant promouvoir une « morale laïque » pour « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel » (entretien au Journal du Dimanche du 2 septembre 2012).