L’ARROSEUR ARROSÉ - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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L’ARROSEUR ARROSÉ

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De tout ce qui nous entoure et de tout ce que nous sommes, qu’est-ce qui est le plus vrai ?

Du « plus vrai », philosophes et savants ont voulu, à l’envi, nous déposséder, nous autres hommes quelconques, hommes de tous les jours, hommes de série. Cela date de Platon, de Pythagore, peut-être d’encore plus loin. On nous répétait que la réalité quotidienne, notre royaume propre et indisputé, n’était qu’un méchant reflet de la vraie réalité, apanage laborieux et aristocratique du sage. Il fallait, pour y atteindre, montrer son score au Q.I. : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre », affichait Platon à la porte de son école (et naturellement, QI < 100 s’abstenir). Jusqu’à ces dernières années, la Science s’est présentée, non sans contradiction, comme l’héritière de la confiscation platonicienne. La science et ses postulats

Car la plupart de ses grands prêtres campaient fermement d’un pied dans l’élitisme le plus féroce (les a-t-on assez secoués, quoique tout à fait vainement, ces « mandarins » ?) et de l’autre parmi les contestataires de toute élite, sauf la leur. Confortable situation. Avoir la jambe longue, parfois, permet d’avoir le bras de même. Cela dure encore en France, et je dirais, plus que jamais. Dans notre cher et très, très, très vieux pays, il y a deux façons d’avoir la vérité pour soi. La première est de faire partie de l’élite (à condition qu’elle pense bien, j’entends), et la deuxième est d’acheter les livres et les journaux qu’elle propage, de feindre de les lire, et de soutenir leurs slogans en toute occasion, surtout électorale1.

Mais ce n’est pas là que j’en voulais venir. Revenons à la science et à ses ci-devant postulats.

Du temps de mon bachot, c’était elle qui gérait les vérités fondamentales, les seules vérités sûres, certes jouant la modestie, car ne nous apprenait-elle pas à n’être sûr de rien ? mais fermement exclusive : hors la science, point de vérité.

C’est très curieux, et il serait intéressant de faire l’histoire de cette métamorphose, mais on doit maintenant convenir que la plus complète fidélité à ces postulats a conduit les savants à soutenir des postulats exactement contraires. Non pas, c’est vrai, dans toutes les sciences, mais enfin dans la science-modèle, la science par excellence, la physique.

C’est pourquoi je parlais de ci-devant postulats. Il est de plus en plus difficile de trouver un physicien dogmatiste. Il faut le choisir très vieux, ou bien très ignorant (il y en a).

En substance, la position fondamentale de la physique nouvelle est la suivante.

Sur la valeur pré-éminente du verdict expérimental, rien de changé : ce que réfutent l’expérience et l’observation est à rejeter.

Mais à la source de toute expérience, qu’y a-t-il ? C’est ici qu’apparaît l’incroyable nouveauté : à la source de toute expérience de physique, et avant elle, il y a l’expérience personnelle. L’ancienne physique s’efforçait d’exclure toute interférence du « sujet connaissant ». Et il est arrivé ceci qu’à force de vouloir traquer la dernière ombre de subjectivisme dans l’expérience scientifique, on a fini, par mettre en évidence qu’il ne peut exister aucune expérience entièrement objective.

Cela a été exprimé de vingt façons différentes par les physiciens, et peut-être le plus directement par le théorème de Brillouin qui, reliant par une équation toute acquisition d’information à un accroissement de l’entropie, montre que l’on ne peut rien connaître sans modifier ce que l’on essaie de connaître2.

Le théorème de Brillouin est d’une belle abstraction. Il se fonde sur deux des entités les plus diaphanes de la physique : l’entropie et l’information, où l’on peut se dispenser de pénétrer si l’on comprend qu’il est impossible de se promener dans un jardin sans y laisser la trace de ses pas.

Supposons que, pour écraser moins de fleurs avec vos gros sabots, vous délestiez progressivement votre corps de ses organes les moins essentiels. À la limite, il faudra bien que vous gardiez au moins un œil pour voir et votre cerveau gauche pour comprendre ce que voit votre œil. Il y aura quand même encore des fleurs écrasées ! Un seul moyen de n’en écraser point : sacrifions le dernier œil et le reste de votre cerveau. Alors seulement votre champ d’investigation restera ce qu’il est. Mais vous aurez complètement disparu, et alors, qui donc subsiste pour supposer l’existence du jardin ?

Cet agaçant processus est tellement bien installé au cœur de la physique que les physiciens pensent maintenant pouvoir montrer par un théorème encore plus effarant qu’aucun événement élémentaire ne peut survenir dans l’univers sans l’intervention d’une pensée.

On peut donner de ce théorème (qui a été présenté de maintes façons) la formulation simple que voici, à partir du théorème de Brillouin : à supposer qu’un événement quelconque se produise sans l’intervention d’une pensée, comment en serait-on averti, puisqu’au minimum la prise de conscience de cet événement implique la participation de notre pensée à nous ? Un tel événement, même supposé existant, est donc exactement comme s’il n’était pas. Mais alors on n’a aucune raison de supposer qu’il est !

Le philosophe est peut-être enclin à déceler ici un sophisme bien caché. Le physicien n’est pas moins méfiant. Par exemple, dit le Professeur Böhm, il est dur d’avaler que si les étoiles existent, c’est parce qu’on les observe3.

Mais ceux qui s’en tiennent aux équations ont une autre idée en tête : les étoiles n’existent pas parce que vous et moi les observons, c’est entendu, mais la mathématique qui exprime leur existence n’en suppose pas moins la présence d’un observateur. Si ce n’est nous, c’est donc un Autre… Et ne croyons pas que ce soient les physiciens d’esprit religieux qui disent cela : ce sont ceux qui tiennent le plus au formalisme mathématique, ceux qui se cramponnent à la raison4.

Le règne de la physique

Ainsi, l’Esprit qui voit et sait se trouve être devenu le premier thème de réflexion de la science au terme de sa longue évolution matérialiste5. Singulier retournement ! Dieu merci, personne n’en sait rien, et il reste les pseudo-sciences au matérialisme militant. Dieu merci, il reste le structuralisme pour « restituer l’homme au règne minéral ».

Il est vrai que ce « règne minéral », c’est celui de la physique. Mais on n’est pas obligé de le savoir, n’est-ce pas ?

Aimé MICHEL

Chronique n° 283 parue dans F.C.-E. – N° 1589 – 27 mai 1977


Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 8 juillet 2013

  1. Les universitaires sont souvent progressistes en politique et conservateurs en matière de science. Aimé Michel s’est rarement privé de fustiger ce conservatisme des mandarins et autres « grands prêtres » de la science. L’origine de ce conservatisme est facile à comprendre : « Il serait temps, un demi-millénaire après Copernic, de comprendre les enseignements psychologiques de la révolution copernicienne. Le premier est sans doute qu’il existe une éternelle contradiction entre la découverte de la vérité et les mécanismes par lesquels elle se transmet. La découverte est destructrice, la transmission est conservatrice. Celui qui trouve agit en révolutionnaire ; celui qui transmet, en défenseur des idées reçues. Notre Université n’est qu’apparemment révolutionnaire : elle peut l’être du point de vue social, en tant que classe. Mais elle reste tout aussi rétive que jadis aux idées nouvelles dans le domaine qui est le sien. Les chercheurs le savent. » (Chronique n° 137, Copernic cinq siècles après, mise en ligne le 22.10.2012)
  2. Il a déjà été question du théorème de Brillouin dans la chronique n° 112, Entre « le hasard et la nécessité » décombres à vendre ? – La physique suffit-elle à tout expliquer ? (30.04.2012). A cette occasion j’y ai dit deux mots de Léon Brillouin (1889-1969) qui était un physicien suffisamment respecté pour être invité au Congrès Solvay à Bruxelles, en octobre 1927. Sur la photo des participants prise lors de ce célèbre congrès, on reconnait toutes les sommités de la physique de l’époque dont Planck, Marie Curie, Einstein, Langevin (nés entre 1858 et 1879, au premier rang), Dirac, de Broglie, Born et Bohr (nés entre 1882 et 1892, sauf Dirac né en 1902, au second), Schrödinger, Pauli, Heisenberg et Brillouin (nés entre 1887 et 1901, au troisième).

    Le théorème de Brillouin établit l’équivalence entre l’entropie et l’information. L’entropie mesure le désordre d’un système : plus un système est ordonné, plus sa probabilité est faible et plus son entropie est faible. L’information quant à elle mesure l’improbabilité d’un message : plus un message est improbable plus l’information qu’il contient est élevée. On peut être plus précis sans trop de peine (mais le lecteur qui n’aime ni les symboles ni les mathématiques peut sauter les trois phrases qui suivent sans inconvénient). D’un côté, l’entropie S d’un système est liée à la probabilité P qu’a ce système de se trouver dans l’état considéré par la relation S = k ln P, où k est la constante de Boltzmann qui est très petite en unités courantes (k ≈ 1.4 × 10−23 Joules par degré Kelvin) et ln le logarithme népérien. D’un autre côté, l’information I d’un message selon Claude Shannon mesure sa probabilité (ou plus exactement son improbabilité 1/P) en bits, soit I = −log2 P, où log2 est le logarithme de base 2. Comme ln P = ln 2 × log2 P, il s’ensuit que S = −(k ln 2) I, ce qui exprime l’équivalence de S et de I. Comme ln 2 ≈ 0.69, on voit que S ≈ 10−23 × I.

    L’entropie et l’information sont donc liées par une constante dont la valeur est très petite (10−23) lorsqu’on l’exprime en unités courantes (joules, degrés, bits). La signification profonde de cette petitesse a été bien mise en relief par Brillouin. Elle explique pourquoi acquérir de l’information ne coûte pas cher en néguentropie, mais produire de la néguentropie coûte très cher en information. Ce « bon marché de la néguentropie est un élément capital (…) de la vie sociale (…) : c’est lui qui rend possible le tirage et la diffusion de prospectus que beaucoup de destinataires jettent au panier sans scrupule. »

    Olivier Costa de Beauregard fait à ce propos deux remarques de grande portée. Le « stade pré-cybernétique » de la physique tenait non pas la constante (10−23) pour très petite mais pour nulle, « d’où il suivait 1° que l’observation (néguentropie -> information) était considérée comme gratuite ; 2° que l’action libre (information -> néguentropie) était considérée comme une impossibilité physique et une illusion psychologique. » Ces deux aspects symétriques sont à la base de la thèse matérialiste de la conscience épiphénomène. Reconnaître la non-nullité de la constante (k ln 2) est donc une façon de rendre l’action libre possible dans le cadre de la physique. (Nous en avons récemment rencontré une autre, le théorème du libre arbitre, voir la note 3 de la chronique n° 151, Les poux, les enfants et le lion – Skinner, Walden II et Twin Oaks : une société régie par les lois de la science, 29.04.2013).

    Costa de Beauregard remarque également que ce passage de la physique classique à la physique de l’information est analogue au passage de la physique classique à la physique relativiste puis quantique. En effet, l’équation fondamentale de la relativité qui lie la distance r au temps est r = ct, où c est la vitesse de la lumière (qui est très grande : 300 millions de mètres par seconde), et celle des quanta qui lie l’énergie E à la fréquence ν est E = hν, où h est la constante de Planck (qui est très petite :  10−33 joule seconde). Les physiciens classiques tenaient implicitement la constante c pour infinie, ce qui éliminait tous les phénomènes relativistes, et la constante h pour nulle ; « alors, suivant qu’ils retenaient le concept d’énergie ou celui de fréquence, ils évacuaient l’aspect ondulatoire de la Mécanique (E constant, ν -> ∞) ou l’aspect quantifié de l’Optique (ν constant, E -> 0) ».

    Costa de Beauregard résume ces remarques en écrivant que « la valeur très grande ou très petite d’une constante universelle, exprimée en unités adaptées à l’échelle humaine, suffi[t] à dissimuler des phénomènes importants. C’est ce qu’ont appris à la Physique du XXe siècle les deux grands exemples de la Relativité restreinte et des Quanta. Avec l’achèvement de l’exploration de la physique de l’échelle humaine s’est ouverte l’ère de pénétration dans un cosmos étrange, parce qu’étranger dans l’abyssale distance du très grand ou du très petit. Dire que les lois “inhumaines” de la Physique nouvelle sont sans incidence aisément observable à l’échelle de la vue courante, c’est aussi dire que les constantes universelles qui les expriment sont extrêmement grandes ou petites en unités de cette échelle. » (Le Second Principe de la Science du Temps. Entropie, information, irréversibilité. Seuil, Paris, 1963, pp. 87-89). On ne saurait mieux exprimer en quelques mots une des grandes leçons de l’évolution historique de la physique.

  3. Le monde existe-t-il parce qu’on l’observe ? Cette question apparemment saugrenue est au cœur de la physique quantique. Elle a déjà fait couler beaucoup d’encre et ce n’est sans doute pas fini. Pour le comprendre on peut suivre les explications données à ce propos dans une interview éclairante accordée par John Wheeler à Paul Davies en 1985, reproduite au chapitre 4 du livre The Ghost in the Atom (le fantôme ou l’esprit dans l’atome), dirigé par P.C.W. Davies et J.R. Brown, Cambridge University Press, 1986. (Sur Wheeler, voir la chronique n° 282, Le quark piégé – Une nouvelle physique sans espace, ni temps, 27.05.2013).

    Wheeler commence par reprendre à son compte l’interprétation de Bohr pour lequel « aucun phénomène quantique élémentaire n’est un phénomène tant qu’il n’est pas terminé par un acte d’amplification irréversible lors d’une détection tel que le clic d’un compteur Geiger ou le noircissement d’un grain d’émulsion photographique », autrement dit par quelque chose qu’une personne peut dire à une autre. Ceci revient, selon Wheeler, à faire usage de l’observation du phénomène quantique. « L’impact d’une particule alpha sur un écran de sulfure de zinc crée un éclair que l’œil peut voir. Cependant, si cet éclair a lieu à la surface de la lune, il n’y a personne pour en faire usage si bien qu’elle ne sert pas à construire une connaissance. C’est la part la plus mystérieuse de toute l’histoire : que se passe-t-il quand on se sert de quelque chose ? »

    Plusieurs physiciens célèbres, notamment John von Neumann et Eugene Wigner ont soutenu qu’un phénomène quantique élémentaire n’a pas eu lieu tant qu’il n’est pas entré dans la conscience d’un observateur. Wheeler commente ainsi cette interprétation : « Je dirais plutôt que le phénomène peut avoir eu lieu mais peut n’avoir pas servi. » Pour servir selon lui, un seul observateur ne suffit pas (il peut avoir rêvé), il en faut toute une communauté. Il confirme ainsi que l’existence d’observateurs est indispensable. Cependant il tient l’emploi du mot conscience pour délicat car il n’est pas nécessaire selon lui qu’elle atteigne le niveau humain : l’observation pourrait être le fait d’un animal doté d’un cerveau très primitif. « Aussi, ajoute-t-il, je préfèrerais ne pas trop insister sur la conscience même si c’est un élément significatif de cette affaire ».

    La notion d’information apparaît ainsi par deux chemins différents, la thermodynamique (Brillouin) et la physique quantique. La physique contemporaine en mettant l’information de plus en plus au cœur de sa description du monde repose à sa manière, discrète mais tenace, nos plus persistantes interrogations sur la conscience et la liberté. La conclusion de la chronique (« Ainsi, l’Esprit qui voit et sait se trouve être devenu le premier thème de réflexion de la science au terme de sa longue évolution matérialiste ») formule cette idée de manière beaucoup plus radicale. En 1977, c’était une annonce prémonitoire de développements à venir. A mesure que le temps passe cette annonce prend corps et semble promettre de profonds changements dans notre manière de voir le monde. Nous en reparlerons.

  4. Je ne sais pas à quels physiciens Aimé Michel fait allusion ici.
  5. Cette conclusion fait écho à une remarque qu’il faisait quelques années plus tard : « je pense que le phénomène de la conscience jouera un rôle de plus en plus grand dans la nouvelle physique, peut-être au point de devenir le seul objet de la science. » (Note 4 de la chronique n° 255, Les mouches, 11.02.2013).