Quelle est la genèse de la résurgence du travail de compositeur de votre grand-père ?
Il y a huit ans, Denis Havard de la Montagne voulait écrire un article sur Jacques de La Presle mais était très ennuyé par le manque de sources, notamment de partitions. Ce contact a permis que je me plonge dans les archives familiales et notamment que je retrouve un quatuor à cordes qui a aussitôt intéressé non pas des musiciens français mais un ensemble de chambre de Détroit. Ainsi un premier concert sur les œuvres de chambre de mon grand-père a pu avoir lieu aux États-Unis, car il y a un véritable engouement pour la musique française du XXe siècle, alors même que nous l’ignorons ici.
À la suite de ces concerts, les musiciens américains ont gravé un disque que j’ai cherché à faire distribuer en France. Mais cette quête a pris beaucoup de temps et le CD n’est sorti que l’an passé. L’écoute de ce disque a été pour beaucoup une vraie découverte, y compris pour sa famille. Le disque est un premier pas car il représente une toute petite partie de son œuvre qui est très abondante.
Comment expliquez-vous ce désintérêt pour la musique de votre grand-père durant toutes ces années ?
Pour une part, la vraie modestie de Jacques de La Presle ne le portait pas à considérer son travail de compositeur comme ayant tant de valeur. Il ne se mettait jamais en avant ; son éducation le portait à la discrétion. Par ailleurs, travaillant pour la radio, il voyait comme un conflit d’intérêt le fait d’y promouvoir ses œuvres. Cela lui était impensable ! Son éducation ne le portait pas du tout à l’autosatisfaction. La redécouverte d’aujourd’hui va avec une prise de conscience que la musique française du XXe siècle mérite plus qu’un vague intérêt d’initiés. Il y a des perles dans ce répertoire.
Grâce à l’Internet, les contacts se nouent plus rapidement, et les opportunités d’exploration sont plus grandes ! Il faut bien quarante ans cependant pour mettre en lumière le talent d’un compositeur.
Mon grand-père avait été gazé pendant la première Guerre Mondiale et il en a subi un inconfort physique notable. Cela l’a très certainement gêné dans son travail. Il souhaitait surtout se donner à ses élèves au Conservatoire de Paris et n’a donc pas composé autant qu’il le désirait. Enfin, ses éditeurs n’ont pas pu effectuer le travail de suivi de ses partitions comme elles le méritaient. Il a fallu que je les relance et leur propose de leur transmettre des copies des manuscrits que ma famille possède, pour remettre en route, péniblement, la machine.
Ce travail est freiné par la dimension financière : relancer une édition, c’est coûteux, et quel écho cela rencontrera-t-il auprès des interprètes ? Les éditeurs sont dubitatifs, pour ne pas dire frileux… Mais il y en a de formidables comme les Editions musicales européennes…
Et des musiciens du monde entier m’appellent pour avoir des partitions de Jacques de La Presle.
Justement, quel écho avez-vous de ces interprètes sur cette musique ?
Ce n’est pas évident de s’intéresser à mon grand-père pour les musiciens professionnels car son nom étant trop peu connu, les financements sont rares et on semble craindre que le public ne suive pas. C’est le problème général du patrimoine musical français, qu’il faut remettre en valeur. Ce n’est vraiment pas facile. Je suis d’ailleurs partie de rien, sans savoir où cette entreprise me mènerait. Et puis, au fil des rencontres, des relations, des portes s’ouvrent, des musiciens s’y intéressent.
Il y a une envie chez certains de partir à la découverte de ces pages oubliées. Il n’en demeure pas moins que le problème des sources sonores est important car il n’y a qu’un seul disque. Et pour produire un disque, il faut des gens qui l’entreprennent. C’est un cercle vicieux ! J’ai réussi à repiquer quelques enregistrements privés ou radiodiffusés de l’époque et à les mettre sur un CD pour mettre l’œuvre à la disposition de quelques personnes à convaincre… Notamment la très belle Apocalypse de Saint-Jean qui mériterait une étude et une interprétation !
Quels sont les projets immédiats autour du nom de Jacques de La Presle ?
Les concertistes qui ont enregistré le disque viennent en France nous offrir quelques pages lors de plusieurs concerts. La tournée s’est montée petit à petit. J’ai pu trouver des lieux qui ont été enthousiastes et accueillants…
Les interprétations récentes de Stéphanie d’Oustrac, célèbre artiste lyrique, de certaines mélodies de mon grand-père, notamment à la Cité de la Musique ou sur France Musique, ont permis également de faire parler de lui. Il y a une certaine émulation ces derniers temps. Le concert qui a lieu le 14 mai à la Villa Médicis à Rome avec L’Oiseleur des Longchamps participe de ce mouvement.
Mon grand-père a été organiste à Notre-Dame de Versailles avant la Grande Guerre. Il a d’ailleurs beaucoup écrit pour l’orgue, et pour la voix sacrée. Il faudrait quelques projets de musique sacrée pour être un peu complet. Je pense notamment à un très bel « Ave Maria » composé pendant la guerre. Il était très catholique mais n’a pas hésité à travailler avec une protestante, sur certains textes sacrés. Son attitude était tout à fait moderne ! Sa musique sacrée reste, pour l’essentiel, à l’état de manuscrit, ce qui est particulièrement désolant.
Avez-vous gardé des souvenirs de votre grand-père en tant que personne ?
Il est mort quand j’avais 7 ans. Je ne me souviens pas de lui comme d’un grand-père affectueux. Il était plutôt concentré sur son travail. J’étais en revanche très proche de ma grand-mère, qui est décédée dix ans plus tard et qui me parlait beaucoup de lui, qui me racontait de nombreuses anecdotes. Je regrette maintenant de ne pas avoir tout noté.
Ce qui est étonnant pour moi, c’est que, bien que musicien, mon grand-père n’a jamais voulu imposer la musique à sa famille. Ses deux fils ont tâté de la musique, mais sans réellement faire de solfège. Bien sûr mon père avait une oreille très musicale. Mais chez nous, il n’y a pas de musiciens de père en fils ! La discrétion de mon grand-père était donc aussi au plan familial. Peut-être qu’en travaillant sur son héritage, nous susciterons chez nos enfants le désir de se mettre dans les pas de leur aïeul.
propos recueillis par François-Xavier LACROUX