Le Premier ministre a repris à son compte l’expression de « guerre de civilisation » pour caractériser notre situation face au terrorisme islamiste. Et le débat s’est tout de suite enflammé, la plupart à droite se félicitant du revirement intellectuel de Manuel Valls, beaucoup à gauche craignant l’ambivalence d’une formule qui risquait d’atteindre l’islam dans son ensemble. Mais préalablement à ce type de querelle, il y avait de la part du Premier ministre la simple évidence d’un constat, celui de l’abîme qui nous sépare de nos adversaires et qui se traduit en une opposition radicale de perception du monde. Comment ne pas s’accorder sur ce constat, quitte à développer par la suite l’analyse d’un phénomène en le rapportant à ses sources et en distinguant son originalité pour éviter de fait les amalgames fâcheux ?
Il est vrai que la théorie développée par Samuel Huntington dans son livre célèbre Le choc des civilisations, paru en 1996, conduit à une vision des relations internationales marquée par des conflits irrémédiables entre conceptions du monde, principalement religieuses, avec un caractère systématique qui suscite des objections fondamentales. Il est dangereux de faire par principe, de tous les musulmans les alliés et les complices de l’extrémisme islamiste, alors que ce n’est pas le cas et que nous avons besoin des plus lucides d’entre eux pour défaire un ennemi, qui ne cherche qu’à provoquer la communauté musulmane à le rejoindre. Par ailleurs, cette communauté ne pourra échapper à un effort considérable de discernement théologique, afin de se garder des tentations que le fondamentalisme ne peut qu’attiser et développer.
Reste à définir ultimement où réside notre désaccord fondamental avec l’extrémisme islamiste. La simple dénonciation de la terreur et de la barbarie est sans doute l’approche la plus simple et la moins contestable, pour signifier notre opposition. Mais les Occidentaux (et les plus puissants d’entre eux) devraient aussi s’interroger sur les conséquences terribles de la violence sans discernement qu’ils ont parfois exercée dans certaines régions musulmanes et dont nous subissons les conséquences directes. Par ailleurs, il faudrait s’interroger sur l’antithèse courante entre loi divine et loi humaine, comme si la première était forcément inhumaine et la seconde indifférente à toute dimension transcendante. Une certaine sécheresse rationaliste peut être le meilleur allié du fanatisme, et l’indifférence religieuse peut mutiler gravement notre humanité, tant se vérifie le célèbre mot de Chesterton : « Ôtez le surnaturel, il ne reste plus que ce qui n’est pas naturel. »
Pour aller plus loin :
- Sur le général de Castelnau et le Nord Aveyron.
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Édouard de Castelnau
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- La République laïque et la prévention de l’enrôlement des jeunes par l’État islamique - sommes-nous démunis ? Plaidoyer pour une laïcité distincte