Famille et société - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Famille et société

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Lundi 19 novembre 2012 – Institut Français-Centre Saint-Louis – Rome
Dans le cadre d’une série de trois conférences sur la situation de l’Église de France en regard de la société française contemporaine

Eminences,

Excellences,

Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur le mouvement dans lequel nous sommes engagés actuellement dans le débat public en France. Quels sont les critères et les points de repère qui nous aident à cheminer dans cette situation ?

En guise d’introduction je me réfère à une autorité indiscutable, celle de Madame la Garde des Sceaux qui, le jour de la présentation au Conseil des Ministres du projet de loi visant à ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, déclarait, dans une interview à Ouest-France : « C’est une réforme de société, et on peut même dire une réforme de civilisation. Nous n’avons pas l’intention de faire comme si nous ne retouchions que trois ou quatre virgules dans le Code Civil » (7/11/2012). Je suis donc heureux de constater que nous avons la même appréciation sur l’enjeu du débat. Il ne s’agit pas simplement de quelques corrections marginales à une pratique généralement reconnue et maintenue, il s’agit d’une transformation profonde de la société, voire d’une civilisation, et c’est cet enjeu qui légitime, à mon avis, que nous prenions en considération toutes les hypothèses et tous les risques possibles de ce genre de réforme.

Pour éclairer notre action et notre cheminement, je voudrais vous proposer trois types de réflexions, et j’espère en tout cas que certains aspects vous éclaireront.

1. Le rapport entre sexualité et société

C’est bien d’abord de cela qu’il s’agit ultimement. Depuis l’origine et, -je pense- jusqu’à la fin-, l’humanité, se trouve confrontée à une réalité, une donnée incontournable, qui est la différence constitutive des sexes. Il n’y a pas d’humanité sans différence des sexes et celle-ci est la condition nécessaire à la reproduction des êtres vivants, à la continuité de l’espèce. Si bien que cette réalité est étroitement liée avec ce que l’on pourrait appeler l’entrée dans la temporalité, ou l’entrée dans l’histoire, pour reprendre une interprétation qui découle du récit du Livre de la Genèse. C’est au moment où l’homme entre dans l’histoire qu’apparaît la différence sexuelle, comme Jésus le confirmera dans son dialogue à propos de la Résurrection : « À la Résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel. » (Mt 22, 30). Pendant le temps de l’histoire, nous sommes placés devant une réalité de l’ordre de la temporalité, et donc de l’éphémère. Ainsi, il est nécessaire d’établir une continuité intergénérationnelle par l’appel à la vie d’un certain nombre de nouveaux membres. Or cet appel à la vie passe nécessairement par la dualité sexuelle, il n’y a pas de reproduction hermaphrodite parmi les hommes !

D’où la question : comment va-t-on considérer ce phénomène historique ? Dans beaucoup de religions antiques, la sexualité humaine est perçue comme une reproduction d’une sexualité des dieux, chargée d’une signification divine. Dans la tradition judéo-chrétienne, Dieu n’est pas sexué. Par conséquent, la sexualité humaine n’est pas un transfert de la sexualité divine. La sexualité humaine est une réalité strictement séculière, ancrée dans le temps, dans l’humanité, elle ne reproduit pas ce qui se passe en Dieu, elle n’est jamais sacralisée au point de devenir un langage rituel, comme c’était le cas dans un certain nombre de rites païens alentour d’Israël. Et nous voyons déjà se profiler une spécificité profonde de la religion juive au milieu des religions du Moyen-Orient. Elle n’est ni une religion sexuelle, ni une religion d’activité sexuelle. Il n’y a pas de prostitution sacrée. Et celui qui doit s’approcher du sacrifice du Temple doit se préserver de l’exercice de la sexualité au moment où il accomplit le rite, précisément parce qu’il entre dans une relation avec quelqu’un qui n’est pas marqué par la sexualité, parce qu’il touche à un autre ordre.

À travers la révélation biblique, cette dysmétrie entre les partenaires : d’un côté Dieu et de l’autre ceux avec qui Dieu a voulu conclure une alliance, marque de façon indélébile le côté éphémère, provisoire, séculier et intimement lié à l’évolution historique, de la sexualité humaine qui assure la génération des nouveaux membres de l’humanité, et qui doit en même temps figurer quelque chose de cette génération par l’union des deux géniteurs.

Le nouveau-né, l’enfant, est celui qui a été engendré, mais il est devenu un sujet par lui-même, et un projet à l’égard de la société humaine. Si les Écrits de Sagesse ont marqué l’Ancien Testament à l’égard de ce facteur tout à fait étrange et unique que représente la sexualité humaine, qu’est-ce que cela signifie ? Comment est-il possible qu’entre l’homme et la femme il y ait cet attrait si puissant, mais en même temps que celui-ci puisse être le lieu de drames, de malheurs, de violences ? Dès l’origine, le récit de la Genèse fait apparaître simultanément comment cette union de l’homme et de la femme va devenir, d’une certaine façon, l’espérance de l’humanité et en même temps un lieu d’épreuves. Comment surmonter le potentiel de convoitise et de violence qui habite la sexualité humaine sinon par l’alliance des partenaires ?

C’est dans la mesure où l’engagement mutuel des deux conjoints n’est pas établi simplement sur la convergence de leurs désirs, mais sur le choix de leurs libertés de s’accorder l’un à l’autre, « de quitter son père et sa mère pour ne faire plus qu’un pour toujours » -comme le Christ l’interprétera dans le Nouveau Testament à propos de la question sur le divorce-, c’est dans la mesure où les conjoints font le choix d’une union stable, définitive qu’il devient possible de surmonter le potentiel de violence sociale que représente la différence sexuelle. Il n’est pas étonnant que dans une période où apparaît une certaine hantise de la discordance ou de la violence, une façon d’éliminer ce potentiel de violence consiste à occulter ou à effacer la différence sexuelle. Il n’y aura plus ni homme ni femme quand on sera au Ciel ! Mais tant que l’on est sur terre, rêver qu’il n’y a plus ni homme, ni femme, c’est un projet complètement utopique !

La famille, quant à elle, est une cellule primordiale dans la mesure où elle est le lieu d’un apprentissage, d’une mise en forme de la vie sociale, parce que l’on y transmet des mœurs, des coutumes, des valeurs. C’est une œuvre indispensable, mais ce n’est pas d’abord cela qui produit le lien social. Cela y contribue, cela lui donne de l’argumentaire. Mais ce qui constitue réellement le lien social, c’est le fait que dans une famille, les enfants sont aimés pour eux-mêmes, ils ne sont pas aimés en fonction de leurs talents, de leurs mérites, de leurs succès, ou en fonction de leurs défauts ou en fonction de leurs crimes ! Quoiqu’ils fassent, il y a entre les parents et les enfants un lien indélébile, que la science moderne appellera génétique, mais que l’on peut déjà reconnaître comme enraciné biologiquement.

Ce n’est pas parce que le lien biologique n’épuise pas la richesse de la relation familiale qu’il devient facultatif ! C’est quand même quelque chose dans l’esprit des gens de savoir si on est du même sang ou si on n’est pas du même sang ! Ce n’est pas uniquement un fantasme raciste ! Nous sommes devant une expérience de communion qui se situe en-deçà ou au-delà d’une communion réfléchie et élaborée, savoir la solidarité naturelle, native, la solidarité d’origine, d’une même famille. Et s’il arrive quoi que ce soit à l’un des membres, ce lien demeure, même si un membre s’en va, même s’il renie sa famille ! Qui pourra arracher le souvenir d’un fils ou d’une fille au cœur d’un père ou du cœur d’une mère ? C’est cela qui est constitutif du tissu social : l’apprentissage que l’identité et la valeur individuelle de la personne ne relèvent pas des performances, mais du lien personnel établi avec elle. Et c’est sur cette base d’une capacité de surmonter le jugement réciproque comme étalon unique des relations sociales, que l’on peut envisager une vie en société dans laquelle prennent place le pardon, la gratuité, le service des autres. Sinon, on vit dans une société marchande où tout s’achète et tout se vend, mais où rien ne vaut. On pourra fabriquer des enfants, on pourra acheter des enfants sur internet, on pourra les mettre à disposition de qui en veut, mais qu’est-ce que cela voudra dire ? De qui seront-ils les enfants ? De qui et pour qui seront-ils les enfants ? Voilà donc la question telle que je la perçois dans son fond le plus large.

2. La signification particulière du mariage dans la tradition catholique

Finalement ce que j’ai énoncé là, n’importe qui pourrait le dire, avec des nuances sans doute, mais c’est quand même du sens commun ! Pourquoi les catholiques sont-ils intéressés à ce point par la famille ? Certains diront que c’est une obsession ! Il y a des gens qui pensent que les catholiques sont obsédés par la sexualité ! Cela ne me paraît pas absolument évident ! Mais à supposer qu’ils soient obsédés par la sexualité, pourquoi ? Est-ce par simple esprit conservateur ? Est-ce parce qu’ils ont le sentiment qu’ils ne pourront transmettre leur religion, leur foi, que par le biais de la transmission familiale ? Il n’y a aucune chance de rencontrer le Christ en-dehors ? Sûrement pas, au contraire ! D’où cela vient-il alors ?

Je voudrais vous proposer quelques repères dont les plus familiers de la Bible identifieront très bien la source. Je prendrai comme premier repère l’héritage du discours prophétique dans la tradition juive, parce que c’est là que l’on dispose du vocabulaire le plus explicite, le plus déterminé, sur la qualification sponsale, d’époux et d’épouse, de l’alliance entre Dieu et son peuple. L’appel à la conversion est médiatisé et exprimé dans le drame de la rupture conjugale, de l’infidélité, de l’adultère, et toujours avec le même point d’appui : « Vous avez changé, vous n’êtes plus la femme de ma jeunesse, vous n’êtes plus la bien-aimée que j’ai choisie, mais moi je n’ai pas changé ! » Et nous sommes replacés devant cette confrontation de l’éphémère et du définitif. Le seul rocher, le seul définitif c’est Dieu.

Par son imprescriptibilité, par son immutabilité dans l’amour et la miséricorde, Dieu opère comme une transfusion de fidélité à son peuple, et il l’appelle à la conversion pour revenir à l’amour de sa jeunesse, pour revenir au temps béni du désert où il avait faim et soif, mais où il aimait Dieu. Et maintenant qu’il vit dans des palais d’ivoire, il a oublié Dieu et il va faire des petits sacrifices sur les autels des montagnes alentour. C’est la trahison ! Et c’est la jalousie de Dieu ! Cette expression du vocabulaire de l’amour conjugal de l’époux pour l’épouse, est appliquée de la même manière au sujet du Père et de ses enfants. Cette expression donne progressivement à l’expérience conjugale humaine, qui est l’expérience commune, la valeur d’un discours parabolique. Si on essaye de trouver des expériences humaines -comme Jésus s’y exercera et y réussira dans les Évangiles- pour aider les hommes à comprendre un peu quelque chose de ce qu’est la relation avec Dieu, que va-t-on prendre ? On va prendre l’époux, l’épouse, le père, les fils, on va prendre la famille, on va prendre les serviteurs.

Mais ce choix du discours prophétique, qui consiste à illustrer la prédication par cette expérience de l’amour conjugal, donne une sorte de valeur surajoutée à l’expérience conjugale elle-même. Elle n’est plus simplement située dans la densité de sa signification humaine, elle est devenue ce que l’on appellerait en terme moderne : un élément du langage. C’est avec le langage conjugal que l’on va parler de l’alliance entre Dieu et son peuple, de l’amour de Dieu pour son peuple. Du coup, cette modélisation opérée à partir du langage prophétique, donne à cette expérience de la famille et de l’union conjugale une portée extraordinaire. Elle devient un langage pour parler de Dieu ! Elle fournit des mots pour parler de Dieu. Et cette modélisation arrivera à son apogée dans la personne du Christ qui se présente comme l’Époux, et qui va manifester l’accomplissement de sa mission d’époux en donnant sa vie pour son Église comme saint Paul nous le dit dans l’épître aux Éphésiens : « Il l’a aimée et s’est livré pour elle » (Ep 5, 25). Paul fait cette profession de foi en s’appuyant sur l’expérience conjugale et en éclairant l’expérience conjugale « de même, vous maris, aimez vos femmes » (Ep 5, 25) « et vous femmes aimez vos maris, » etc. C’est « un grand mystère, je le dis du Christ et de l’Église » (Ep 5, 32), et vous savez que dans la théologie, cette référence au « mystère » est devenue un point d’appui de l’identification sacramentelle de cette union de l’homme et de la femme, qui, une fois qu’ils sont engagés par leur parole mutuelle, s’ils sont marqués du sceau du Christ, deviennent sacrement, c’est-à-dire signes et moyens de l’alliance avec Dieu.

C’est dire que notre intérêt et notre attachement à ce qui concerne la réalité humaine et sociale de la famille et des époux n’est pas d’abord un attachement moral. Ce n’est pas parce que l’on est contre une vie débridée, que l’on veut à tout prix maintenir la famille. Ce n’est même pas seulement par attachement juridique, parce qu’on aurait besoin de s’appuyer sur un mariage civil solide. C’est un besoin théologal. Si l’expérience familiale disparaissait de la conscience humaine, nous perdrions un moyen non seulement de parler, mais un moyen de comprendre quelque chose de ce qu’est Dieu, et de ce qu’il veut faire avec l’humanité. Même si les grands théologiens disent que dans ce genre d’exercice, tout ce que l’on comprend est infiniment moins volumineux que ce qui reste ignoré. Il ne suffit pas de regarder un homme et une femme pour avoir vu Dieu, mais cela veut dire que c’est ce mode d’expérience humaine qui nous rapproche davantage de ce que Dieu veut faire avec l’humanité. Si on perd ce mode d’expérience, on perd une ressource considérable. On peut avoir d’autres paraboles mais elles seront moins significatives.

Peut-être tout ce que je viens de vous dire a-t-il pu vous paraître un détour quelque peu sophistiqué ; mais cela a été nécessaire pour manifester que nous avons exercé un discernement afin de définir les modalités de notre intervention.

3. L’intervention de l’Église.

Les mutations de la législation sur le mariage et la famille sont un point sensible pour nous. Encore une fois, pas pour des raisons morales, mais parce que cela touche à la liberté profonde de Dieu et des hommes ! C’est notre capacité d’entrer dans le projet de Dieu, dans une certaine intelligence de la relation entre Dieu et les hommes, qui sont en jeu à travers la paternité ou la conjugalité, puisque ce sont des éléments sur lesquels on peut fonder une intuition et même une certaine intelligence de l’alliance. Ce serait une erreur de s’en tenir à un discours exclusivement juridique. On peut l’utiliser parce qu’il est accessible à un certain nombre de personnes, mais il ne suffit pas. Par exemple quand j’évoque, comme je l’ai déjà fait, la Convention Internationale pour les Droits de l’Enfant, et l’expression définie du droit de l’enfant à connaître ceux qui l’ont mis au monde, etc. c’est une référence juridique qui est authentique, elle est vérifiable. Même si ce n’est pas le cœur du problème, c’est une bonne porte d’accès parce que cela me fait entrer dans un ordre de préoccupations recevables par beaucoup. Avec tout le monde, je ne peux pas me situer sur le plan de la foi, ni sur le plan moral qui sont précisément contestés ! Je vais donc m’appuyer sur des points qui sont seconds, par rapport à la pointe de ma préoccupation, mais qui sont cependant des points de rencontre possibles : il peut y avoir un élément de réflexion, peut-être même un élément de dialogue. Je ne partirai pas de l’image de Dieu, mais je partirai de ce que tout le monde connaît.

C’est ce que j’ai fait quand j’ai rencontré Madame Taubira. J’ai pris l’exemple de la rentrée des classes et du petit garçon à qui on donne sa feuille pour inscrire son identité. Sur la feuille, il est indiqué « père : … » pour mettre le nom, « mère :… » pour mettre le nom. Et je dis : « maintenant vous aurez une feuille où apparaîtront « parent 1 » et « parent 2 ». Quels noms l’enfant mettra-t-il ? Comment va-t-il comprendre, lequel est le premier, lequel est le deuxième » ? Ce détail trivial ne semblait pas avoir été envisagé. Le conseiller dit, « Monseigneur nous ferons deux formulaires ». J’ai répondu « Vous ferez deux sortes d’enfants, donc vous ferez une discrimination entre les enfants pour effacer la discrimination entre les couples. »

Nous sommes convaincus que l’on ne se situe pas seulement dans un conflit de modèles sociaux -nécessairement évolutifs, on sait très bien que la conjugalité s’est déclinée de toutes sortes de façons à travers le temps- mais on est confronté à une sorte de choix où pourrait se réaliser une amputation de l’expérience humaine, c’est-à-dire la disparition de quelque chose qui permet aux hommes de comprendre ce qu’ils sont et de le vivre.

Quand Madame Taubira parle d’un « changement de civilisation » elle a tout à fait raison. Elle a le mérite d’affirmer clairement ce que d’autres ne disent pas en se contentant de répondre qu’il s’agit juste d’ouvrir un peu la porte pour permettre à d’autres d’entrer, mais que cela ne change rien. Cela change tout ! On construit autre chose. C’est pour cela que j’ai parlé de « supercherie ». On ne peut pas dire « on fait un petit bricolage et on repeint par-dessus, et personne ne verra rien ! » Non ! C’est un changement de civilisation ! Veut-on développer une civilisation dans laquelle on deviendra inapte à imaginer ce que peut signifier l’amour définitif entre un homme et une femme ? Comment pourra-t-on humainement se représenter ce que signifie : ne jamais abandonner les siens ? Comment les enfants pourront-ils se représenter leurs liens avec leur mère et leur père ? Nous présentons une revendication qui n’est pas confessionnelle, comme feint de le croire Madame Taubira quand elle dit « Je ne touche pas à la Bible ». Elle n’a pas besoin de toucher à la Bible, elle touche à l’humanité, cela suffit.

Le problème est de découvrir quel type d’homme on est en train de construire. Notre action n’est pas une agression morale envers les personnes homosexuelles, quoique nous pensions de leur expérience. Nous ne portons pas notre discours sur une évaluation de leur expérience, mais sur la lacune constitutive d’une union sans fécondité possible, à moins de dire que le véritable géniteur est caché. On parle alors de PMA : procréation médicalement assistée, la possibilité pour des femmes en couple lesbien d’avoir des enfants. Pas de réciproque ! Ce « mariage pour tous » ne sera pas le même, selon que vous serez femme ou homme ! Vous n’aurez pas le même modèle ! Les femmes auront un modèle où elles pourront se faire féconder ; quant aux hommes, -sauf à revenir sur l’indisponibilité du corps humain, la non-marchandisation de la femme-, ils resteront sans PMA… On bute sur cette réalité. Et ce géniteur caché où est-il ? Qui est-il ? On ne le sait pas. Et l’enfant qui cherche d’où il vient ? Cela ne veut pas dire qu’il soit malheureux parce qu’il a deux pères ou deux mères au lieu d’avoir un père et une mère ! Cela veut dire qu’il manque quelque chose. Il peut être aimé et entouré. On nous montre tous les jours dans les médias des enfants épanouis à qui il semble n’avoir rien manqué. Sauf qu’ils ne savent pas d’où ils viennent !

Ce qu’on ne nous a pas dit non plus, c’est que pour beaucoup de ces ménages homosexuels qui ont des enfants, ces enfants viennent souvent de l’un des membres du ménage, qui les a eus dans un mariage antécédent, et donc les chiffres généreux qu’on nous donne incluent ces enfants dont le père ou la mère font partie du couple. Ils ne sont pas des enfants venus d’ailleurs. Voilà un ensemble de questions qui n’avaient pas été très anticipées.

J’ajoute que nous ne nous situons pas non plus dans un combat politique contre une majorité démocratiquement élue. Même si on peut toujours poser la question, qui me paraît judicieuse, de la légitimité à changer une civilisation sur 1 ou 2% de majorité ? Car cela veut dire que les civilisations basculent sur bien peu de chose. Nous ne sommes pas les organisateurs de l’action politique, mais nous avons notre champ de responsabilité propre. Et je voudrais pour terminer le caractériser par trois niveaux.

Un premier niveau que j’appelle l’Église instituée, les responsables. C’est l’institution qui parle. Elle est un veilleur, elle n’est pas l’interlocutrice du gouvernement à la manière des partis politiques, nous ne sommes pas un parti parmi d’autres qui a des droits à faire valoir ; nous sommes comme un veilleur qui doit énoncer des enjeux anthropologiques, éthiques, spirituels, en cherchant dans le dialogue raisonnable avec l’intelligence humaine, des arguments qui rejoignent les consciences droites. Par exemple ce qui touche à la filiation, ce qui touche à l’organisation sociale, etc. Nous désignons ce qui peut devenir dangereux, c’est notre responsabilité.

Il y a un deuxième niveau que j’appellerais l’attestation et le témoignage, qui est la responsabilité de tout le peuple chrétien. La portée de la parole que j’énonce n’est pas la même selon que je suis ou non soutenu par le peuple chrétien et, plus largement, que je représente un véritable questionnement de tous les gens de bonne volonté. Jusqu’au 16 novembre au soir, tous les gens que j’ai rencontrés, ceux qui m’ont reçu très poliment et avec une bienveillante attention, un sens du dialogue, ceux-là pouvaient toujours se dire que je ne représentais que moi ! Et il y aura toujours un journaliste pour trouver quelques catholiques opposés à ce que dit l’Église ! Mais si je ne suis plus tout seul à parler, s’il y a des troupes derrière, on se dit : peut-être que ce qu’il pense, il n’est pas le seul à le penser.

L’attestation, le témoignage, la relation quotidienne des gens les uns avec les autres, qui ont le courage de dire, qui parlent, tout cela révèle que je n’apparais plus simplement comme le représentant de l’institution aveugle qui ignore l’évolution de la société. Alors il faut parler avec les gens, les aider à réfléchir !

Et enfin il y a l’action politique des citoyens qui doivent agir pour que leur témoignage ait droit de cité dans le débat démocratique. C’est leur choix. Le choix des moyens politiques, ce n’est pas moi qui le fais ! J’ai lu dans un journal aujourd’hui que Benoît XVI avait approuvé la manifestation du 17 novembre. Je pense que le journaliste qui a écrit cela est sans doute un visionnaire, mais en tout cas il n’était pas dans la même entrevue que moi ! Le Pape m’a encouragé. Il nous a donné beaucoup de témoignage de soutien, mais il ne nous a jamais dit il faut passer par là, il faut faire cela. Ce n’est pas son travail, ni le mien ! J’espère qu’il y a des chrétiens qui sont acteurs de la vie politique en France et je les encourage et je les pousse en disant : c’est à vous de faire quelque chose, allez-y, faites-le !

Ainsi, l’action que nous menons s’inscrit dans ce cadre de trois façons. Premièrement dans des conversations privées avec les responsables politiques pour leur exposer notre réflexion et nos convictions. Ce que j’ai dit publiquement sous la forme d’un discours, je l’avais dit de façon privée au Président de la République, au Premier Ministre. Deuxièmement, l’appel aux chrétiens pour mobiliser la prière et la conversion, parce que s’il s’agit d’une action d’attestation et de témoignage, cela veut dire que c’est nous qu’il faut convertir. C’est l’erreur complète des « activistes » qui s’imaginent qu’ils doivent combattre leurs ennemis ! Nos ennemis sont d’abord dans notre cœur ! C’est d’abord nous-mêmes qu’il faut convertir ! C’est donc la prière, la réflexion, le partage, l’échange qui vont alimenter cette conversion, qui vont renforcer ceux qui doutent. Nous avons besoin d’une véritable approche intérieure, d’une conviction. L’appel aux chrétiens pour mobiliser à la conversion, à la prière, c’est ce que j’ai fait pour le 15 août. Cet appel n’était dirigé contre personne, c’était un appel à mobiliser les forces spirituelles.

Enfin, développer les contacts avec les tenants d’une vision de la famille qui ne sont pas de notre famille spirituelle. Au mois de septembre nous avons travaillé avec les responsables des cultes. On a perçu très vite que l’on visait la même direction, avec toutes les nuances que vous pouvez imaginer. Nous avons discuté. Fallait-il tout de suite construire une déclaration commune ? Nous avons estimé que le mieux était que chacun s’exprime comme il pouvait, quand il pouvait, en fonction de sa tradition, de sa communauté, etc. C’est ce que nous avons fait. J’ai commencé, ensuite le Grand Rabbin, le Président de la Fédération Protestante de France, les évêques orthodoxes, le Président du Conseil Français du culte musulman. Tout le monde s’est exprimé. Ce n’est pas moi qui ai fait le front des religions. C’est le rapporteur parlementaire qui nous convoque tous ensemble, c’est lui qui fait le front des religions !

Personnellement, j’ai évité cela.

Encouragements donc aux chrétiens à prendre leurs responsabilités dans l’action politique et publique. Nous avons un lourd retard dans ce domaine car nous avons des traditions, des habitudes. Il y a une génération de catholiques qui ne veut pas se mêler d’actions publiques !

Nous sommes en temps de crise, comme vous savez, la crise est un moment de décision, où se dévoilent des enjeux et où se dévoilent les cœurs. Un moment de crise n’est pas agréable, pas facile à vivre, pas reposant, mais il est révélateur.

Premièrement, il y a les réactions agressives et irrationnelles qui dévoilent peut-être un enjeu caché, à défaut de présenter des arguments qui répondent aux questions que l’on pose. Il y a des questions auxquelles on ne répond jamais. Qu’est-ce que cela révèle ? Sans être paranoïaque, il y a quand même peut-être l’idée que la famille gêne. Car ce type de mouvement ne commence pas au mois de mai 2012. Dans l’administration par exemple, depuis un certain temps, des mots du vocabulaire changent ou disparaissent. Cette « normalisation » gagne du terrain. L’un des objectifs, c’est d’effacer le côté structurant de la relation familiale dans ce qu’elle imprime à l’exercice de la sexualité humaine.

Deuxième aspect de ce temps de crise : le dévoilement des cœurs. On repère ainsi des chrétiens qui finalement ne sont pas toujours bien mobilisés. Ils sont certainement de bonne volonté, ils veulent aider, mais ils sont peu mobilisés par la dimension sociale de la famille. Ils se situent davantage dans le domaine de la sanctification d’une expérience privée. Notre expérience familiale n’est pas seulement une sorte de fiche signalétique qui permet d’identifier notre famille par différence des autres, c’est un enjeu pour la société entière, et ce passage à la dimension sociale de la famille ne me semble pas aussi avancé chez tous les chrétiens. Peut-être un effet de génération ? Peut-être un effet de culture ambiante ? Quoiqu’il en soit, il y a encore beaucoup de travail à faire !

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