ENTRE LE CORPS ET L’ÂME - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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ENTRE LE CORPS ET L’ÂME

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PEU DE LECTURES sont aussi désolantes et énigmatiques que les autobiographies des malades mentaux, surtout quand ils ont l’art d’écrire, qu’ils sont doués d’une grande intelligence et d’une conscience aiguë. Pensons aux lettres de Van Gogh, aux Confessions de Rousseau (quoique Rousseau n’ait jamais eu conscience de sa folie), à Antonin Arthaud, surtout aux chef-d’œuvre du plus célèbre schizophrène anglais, W.S. Stewart. De tous ces auteurs, seul Stewart se proposa pour but la stricte et unique description de sa maladie (a). Il était professeur de littérature anglaise, poète. Peut-être vit-il encore ? Je ne sais ce qu’il est devenu après le récit de son affreuse tragédie intérieure1. Son livre nous fait pencher dans l’enfer de l’« âme divisée » (c’est le titre de son livre), c’est-à-dire de la schizophrénie. Je ne sais s’il est traduit en français. On ne le lit pas sans partager son angoisse d’être, son malheur apparemment irrémissible. Mais ce partage n’éclaire rien. Il nous fait seulement sentir de l’intérieur ce que peut être le supplice de l’âme, profond comme un abîme – mais incompréhensible. Quelle est la nature de cette infinie douleur ? Quelle en est la cause ? Qu’est-ce exactement qui souffre ? Impossible de le dire. La médecine moderne, indirectement, pousse parfois ses patients dans l’antichambre de cet enfer, en soignant des maladies physiques avec des médicaments qui retentissent sur le système nerveux. Cocteau me décrivait ainsi l’indicible douleur psychique où l’avait mis le traitement de son premier infarctus, et qui lui inspira son Requiem, poème ténébreux qu’il fut incapable de relire une fois guéri (b) (je tiens cela de lui-même)2. Le schizophrène est un prisonnier. Incapable d’expliquer une douleur qui n’appartient pas à l’expérience humaine normale et qui ne relève donc d’aucun langage, il ne peut que se murer dans sa solitude3. C’est une tragédie pour lui-même, pour les siens, et pour le psychiatre qui n’en connaît ni la cause ni le remède4. Cependant, depuis quelques mois, l’ombre d’un espoir existe. Les physiologistes sont en train de découvrir toute une famille de substances sécrétées par le cerveau et qui peut-être commandent son état général, règlent son bon fonctionnement, et, qui sait même ? selon certains, le bon fonctionnement du corps tout entier. Il n’est pas impossible que l’on soit sur le seuil d’une nouvelle médecine capable d’agir sur les dérangements du corps par l’action intermédiaire du cerveau. Je ne citerai que quelques expériences, non sans rappeler à mes lecteurs que je ne suis pas médecin, et que les médecins seront les premiers avertis, en temps voulu, des progrès que l’on entrevoit dans les laboratoires. [|*|] Les premiers indices furent remarqués au début de cette décennie par un médecin de Floride, spécialiste des reins, le docteur James Cade. Parmi ses malades, il y avait une psychotique. Ayant observé que lorsqu’on lui faisait une dialyse (nettoyage général du sang par un rein artificiel), les symptômes mentaux de la maladie s’amélioraient, il suggéra à un psychiatre de l’Université de Floride, le docteur Herbert Wagemaker, de dialyser six de ses schizophrènes. Ce qui fut fait chaque semaine seize fois de suite. Résultat (selon eux) : les six schizophrènes cessèrent d’avoir leurs hallucinations. Malheureusement, l’amélioration cessa un mois après la dernière dialyse. Cependant, les symptômes disparaissaient de nouveau après une nouvelle dialyse. Au mois de novembre dernier, les deux chercheurs avaient répété avec succès la même expérience sur 18 malades, tandis que le traitement restait sans effet sur trois autres malades5. Entre-temps, des échantillons de sang non dialysé avaient été expédiés au docteur Palmour, une physiologiste de l’Université de Berkeley, aux fins d’analyse, celle-ci y trouva une concentration anormale de deux substances, la leucine-endorphine, et une autre ayant une formule chimique parente du tryptophane. Le tryptophane est ce que l’on appelle un « précurseur » (c) de la sérotonine, dont le rôle de messager entre les cellules nerveuses ne cesse de s’élargir avec les études sur la chimie du cerveau. En particulier, la sérotonine transmet tout un lacis de messages dans l’équilibre du sommeil, du rêve et de la veille. Quant à la leucine-endorphine, ou leu-endorphine, c’est une protéine très proche des endorphines, hormones auxquelles je faisais allusion au début de l’article, et dont je dirai un mot à cette occasion. Le lecteur aura remarqué les deux racines grecques mariées (d’ailleurs de façon barbare) dans ce mot : endos : dedans, et morphine. Les endorphines sont une famille de substances récemment découvertes et ayant entre autres les mêmes propriétés antidouleur que la morphine, mais synthétisées naturellement dans le cerveau par la glande pituitaire. Elles semblent tenir une place capitale non seulement dans la perception normale de la douleur et du bien-être, mais aussi dans l’équilibre mental et probablement neuro-végétatif6. Tous les « petits malades » (et tous les médecins) savent que les déséquilibres neuro-végétatifs sont le cauchemar de l’art médical. Il n’est pas impossible, selon certains, qu’avec les endorphines l’on soit près de mettre la main sur la clé de réglage des symptômes jusqu’ici qualifiés de psychosomatiques, et soignés jusqu’ici, pourrait-on dire, à coups de marteau à l’aide des drogues telles que les tranquillisants, stimulants, etc. On peut même entendre des spécialistes optimistes des endorphines déclarer qu’il suffira bientôt d’une petite analyse sanguine pour diagnostiquer sur un patient l’ensemble des dérèglements neurovégétatifs, digestion, sommeil, voire humeur, et en détruire l’action centrale dans le cerveau régulateur pour rétablir la « normalité ». On en aurait alors fini avec ces troubles à mi-chemin du mental et du physique que la médecine préfère jusqu’ici renvoyer à la psychothérapie, laquelle satisfait rarement le malade. Les endorphines (ou plutôt leur manipulation) permettraient même de secourir le drogué en supprimant la carence psychique, émotionnelle, qui le pousse vers la drogue7. [|*|] Naturellement, on n’en est pas là, il faut bien y insister. Je n’ai voulu que signaler un nouveau domaine de recherches qui pour l’instant s’exerce principalement sur les animaux. Le docteur Frank Ervin, du Neuropsychiatric Institute à l’Université de Californie (UCLA), injecte en ce moment des solutions concentrées de ces substances à des singes, des rats, des poulets, des lapins, et constate qu’il obtient une gamme de troubles et d’effets émotionnels, pouvant aller jusqu’à des convulsions et même à la mort. On n’en est donc qu’à la grosse artillerie. Selon lui, il faut encore des années d’expériences pour passer à l’homme. [|*|] En attendant que ces expériences produisent un nouvel arsenal de l’art médical, on peut y trouver une nouvelle approche à l’éternelle méditation sur les rapports du corps et de l’âme. J’ai été, quant à moi, frappé par l’importance soudaine découverte au corps pituitaire, où Descartes situait le siège de l’âme. N’oublions pas que les théories simplistes du corps et de l’âme, un peu abandonnées par la théologie médiévale sous l’influence d’Aristote et de saint Thomas d’Aquin, nous étaient encore enseignées au catéchisme jusqu’au milieu de ce siècle sous l’influence cachée de la métaphysique cartésienne (d). Il est frappant de voir maintenant, simultanément mais séparément, les physiciens trouver plus d’esprit dans la matière que les physiologistes plus de matière dans l’esprit8. La clé de notre mystère est plus complexe qu’on ne croyait. Aimé MICHEL (a) W.-S. Stuart : The Divided Self (George Allen and Unwin, Londres, 1964). (b) Provisoirement ! On sait qu’il mourut d’un autre infarctus, peut-être bien par sa faute, n’ayant jamais su rester doucement oisif. (c) On appelle précurseur une substance chimique nécessaire à la formation d’une autre substance jouant un rôle physiologique. (d) Une métaphysique en fait présocratique, pythagoricienne (« Le corps est le tombeau de l’âme ») et qu’on ne trouve pas dans les premiers textes chrétiens. L’esprit d’un saint Justin, par exemple, est bien différent : il reproche aux philosophes païens leur mépris de ce monde, création de Dieu9. Le mépris de la matière a de très lointaines racines, remontant au moins à Zoroastre. Chronique n° 302 parue dans France Catholique-Ecclesia – N° 1622 – 13 Janvier 1978 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 18 avril 2016

 

  1. Je n’ai rien trouvé ni sur Internet ni dans les encyclopédies sur ce professeur schizophrène auteur de The Divided Self, sinon que son vrai nom était Walter Stewart Spencer, et que son livre bénéficia d’une introduction du célèbre psychologue Sir Cyril Burt (1883-1971).
  2. Sur Jean Cocteau et son amitié avec Aimé Michel, voir la chronique n° 273, Le choc de la drogue – Sous ce choc l’âme endormie se réveille mais se découvre en enfer, 22.06.2015.
  3. Le terme schizophrénie désigne un ensemble de troubles caractérisés par une désorganisation de la personnalité, une distorsion de la réalité et à une incapacité à mener une vie normale. Elle se manifeste dans toutes les cultures et semble avoir toujours affecté l’humanité, même si elle est plus fréquente en milieu urbain et chez les migrants. Moins de 1 % des individus sont affectés ; 600 000 personnes en France. Les troubles apparaissent en général durant l’adolescence, entre 15 et 25 ans, dans presque 40 % des cas de manière brusque et intense, nécessitant une hospitalisation. Ce qu’éprouve le schizophrène est très variable d’un patient à l’autre et évolue souvent au cours de la maladie. Les symptômes peuvent se classer en cinq rubriques, bien que tous les schizophrènes ne les présentent pas : 1/ Les troubles de la pensée et de l’attention sont frappantes. Le patient répond aux questions qu’on lui pose mais ses réponses ne sont pas logiquement en rapport avec les questions, au point qu’au bout d’un moment on se demande sur quoi a porté la conversation. Ce trouble pourrait être dû à une incapacité du patient à filtrer les informations qui lui parviennent. Comme l’un d’eux l’explique « Je ne peux pas me concentrer. Les sons m’arrivent mais je sens que mon esprit ne peut pas s’occuper de tout ». La plupart des schizophrènes ne se rendent pas compte de leur état et ne savent pas pourquoi ils sont hospitalisés. Ils sont sujets à des délires divers : ils croient que leurs pensées sont perçues par autrui, ou qu’ils sont persécutés (paranoïa), ou plus rarement qu’ils sont importants (mégalomanie). 2/ Les troubles de la perception surviennent durant les crises aiguës. Les patient disent que le monde leur apparaît différemment avec des sons plus forts et des couleurs plus intenses ; leur corps lui-même leur semble différent (mains ou pieds trop grands ou trop petits, yeux déplacés) et certains patients ne se reconnaissent plus dans un miroir. Les troubles de la perception les plus intenses sont les hallucinations, c’est-à-dire des expériences sensorielles en l’absence de stimulation venant du milieu. Les plus communes sont auditives : le patient entend des voix lui donnant des ordres ou faisant des commentaires. Les hallucinations visuelles (vision de créatures étranges ou célestes) sont moins fréquentes. Les hallucinations tactiles, olfactives ou gustatives sont plus rares. 3/ Les troubles de l’émotion se traduisent par des réactions inappropriées, par exemple ils sourient à des nouvelles tragiques. L’un d’eux explique : « Je peux vous parler de quelque chose de très sérieux mais d’autres choses me passent par la tête en même temps qui sont drôles et me font sourire. Si seulement je pouvais me concentrer sur une chose à la fois je paraitrais moitié moins stupide. » 4/ Les patients se retirent de la réalité, se mettent en retrait par rapport à la famille et la société. Ils s’isolent, deviennent insensibles au monde extérieur (autisme), perdent leurs repères d’espace et de temps, leur volonté s’émousse. Ce retrait peut être temporaire, lors d’une crise, ou devenir chronique : dans ce cas le patient immobile et silencieux doit être soigné comme un enfant. 5/ Outre les symptômes précédents, les schizophrènes présentent des difficultés dans leur vie quotidienne. La baisse de l’attention, de la concentration, de la mémoire ou de la compréhension se traduit par une incapacité à planifier des tâches simples, comme faire son travail ou des courses. Les adolescents ont du mal à poursuivre leurs études et à se faire des amis, les adultes à obtenir ou conserver un travail. L’hygiène personnelle se détériore. La maladie se stabilise en général après les premières phases aiguës. Après quelques années de traitement, un tiers des patients retrouvent une vie sociale et professionnelle, un autre tiers n’y parvient pas mais les symptômes se stabilisent, tandis que les patients du dernier tiers ne répondent que peu ou pas aux traitements.
  4. Bien qu’on ait consacré plus d’efforts à comprendre la schizophrénie que toute autre maladie mentale, ses causes sont encore mal comprises. Toutefois on comprend aujourd’hui qu’elle survient lorsque le futur patient porteur de certains gènes rencontre certaines conditions d’environnement. Toute la question est de savoir quels gènes et quels environnements. Qu’il existe une prédisposition héréditaire à la schizophrénie ne fait aucun doute. Le risque d’apparition de la maladie chez un sujet dépend en effet beaucoup plus de son degré d’apparentement génétique à un schizophrène (exprimé en pourcentage dans les exemples qui suivent) que du degré de partage d’un même environnement. Pour les vrais jumeaux (mêmes gènes à 100 %) et les enfants dont les deux parents sont schizophrènes, si l’un est malade le risque que l’autre développe la maladie est de 46 % ; pour les faux jumeaux, les enfants dont un seul parent est schizophrène et les fratries (50 % de gènes communs), le risque est de 14, 13 et 10 % respectivement ; pour les neveux et nièces (25 %), il est de 3 % ; pour une épouse (0 %), de 2 % ; enfin pour des personnes sans relation, de moins de 1 %. En étudiant un grand nombre de patients on est parvenu à détecter certains des gènes en cause mais leur faible effet rend leur identification formelle difficile. Toutefois, il existe des mutations ponctuelles rares qui augmentent beaucoup le risque ; certains de ces gènes interviendraient dans la plasticité neuronale. Par ailleurs, le cerveau des schizophrènes présente parfois des anomalies anatomiques diverses. Tout porte à croire qu’en réalité la schizophrénie n’est pas une maladie homogène mais un ensemble de maladies apparentées avec leurs propres caractéristiques biologiques et cliniques. Les facteurs environnementaux favorisant la maladie sont mal connus. On a mis en cause des problèmes (tels qu’incompatibilité rhésus ou complications liées à une grippe) survenus lors du développement du fœtus et donc du cerveau durant la grossesse et aussi la consommation de cannabis avant l’âge de 18 ans. L’incidence de la schizophrénie serait plus élevée en milieu urbain, en raison d’un stress plus grand mais aussi d’une plus forte stimulation des réactions immunitaires. Le traitement des schizophrènes a été grandement amélioré à partir de l’introduction, en 1952, du premier neuroleptique, la chlorpromazine par Henri Laborit, et des antipsychotiques (sur Laborit, voir la chronique n° 161, L’effet Josephson – Ce qui est inconcevable n’est pas nécessairement faux, 12.11.2012). Ces médicaments ne guérissent pas et sont peu efficaces sur les symptômes dits négatifs (retrait social, appauvrissement émotionnel) mais ils atténuent les symptômes positifs (délires, hallucinations, paranoïa etc.), ce qui est beaucoup. Ces médicaments agissent sur un neuromédiateur synaptique important, la dopamine, en bloquant les récepteurs postsynaptiques à celle-ci. À l’inverse, les personnes consommant des amphétamines, drogues qui ont pour effet d’accroître la libération de dopamine, peuvent présenter des symptômes semblables à ceux des schizophrènes. Toutefois, certains schizophrènes sont insensibles aux antipsychotiques, ce qui confirme le caractère multiforme de cette maladie. Voir http://www.inserm.fr/thematiques/neurosciences-sciences-cognitives-neurologie-psychiatrie/dossiers-d-information/schizophrenie
  5. L’idée qu’une anomalie génétique pouvait produire un déséquilibre biochimique a conduit de nombreux chercheurs à tenter de mettre en évidence des différences de composition sanguine ou urinaire entre individus schizophrènes et normaux. Un grand nombre de travaux ont été publiés et certains ont soulevé de grands espoirs. Malheureusement toutes ces découvertes n’ont pu être confirmées ou se sont révélées associées à des causes autres que la schizophrénie. Il s’agit là d’une difficulté majeure dans la recherche des causes de toute maladie : une anomalie trouvée chez un malade (et pas chez les témoins normaux) peut être la cause de la maladie ou bien sa conséquence, ou encore résulter du traitement suivi par le malade.
  6. Nous avons déjà parlé des endorphines, ou endomorphines, dans la chronique n° 273 citée plus haut, à propos du système de récompense. Ces molécules ont été découvertes à la suite de travaux menés dans les années 70 visant à comprendre le mode d’action de la morphine et de ses dérivés qui bloquent la transmission des signaux douloureux et sont parmi les plus puissants analgésiques (anti-douleurs) connus. En 1971 et 1973, on a découvert aux États-Unis et en Suède que des neurones du cerveau (puis de la moelle épinière et de l’intestin) portaient des récepteurs spécifiques de la morphine (sur les récepteurs membranaires qui sont des protéines, voir la note 2 de la chronique la n° 258, Le pot au noir de l’ascendance humaine – De l’asymétrie des acides aminés au peuplement de l’Amérique, 11.05.2015). Comme la morphine est une substance exogène, étrangère à l’organisme, on en déduisit qu’il devait exister des « morphines endogènes », produites par l’organisme et capables de se lier à ces récepteurs. Plusieurs équipes se lancèrent à leur recherche. C’est ainsi qu’en décembre 1975, John Hughes et Hans Kösterlitz en Écosse isolèrent deux peptides formés de l’enchainement de cinq acides aminés (Tyrosine-Glycine-Glycine-Phénylalanine-X dont le dernier noté X est la Méthionine pour l’un et la Leucine pour l’autre) qu’ils nommèrent enképhalines et que quelques mois plus tard les équipes de Li et de Guillemin isolaient des peptides plus longs dont le principal est la β-endorphine. D’autres molécules semblables furent découvertes par la suite qui toutes peuvent se lier aux récepteurs morphiniques car elles possèdent la même séquence d’acides aminés. On peut s’étonner que la morphine puisse aussi s’y lier car ce n’est pas un peptide mais un alcaloïde de composition chimique extrêmement différente. Cependant la comparaison de toutes ces molécules montre que leurs formes géométriques sont semblables ce qui explique leur commune action sur les récepteurs morphiniques. On a pu mettre en évidence deux modes d’action complémentaires des endorphines. L’un est d’inhiber certaines synapses du thalamus qui est un centre intégrateur du cerveau où convergent de nombreux neurones, en particulier de neurones conduisant des signaux douloureux. L’autre est de stimuler la sécrétion de dopamine dans le « système de récompense » ce qui conduit à une sensation de plaisir (sur ce système voir http://www.france-catholique.fr/LE-CHOC-DE-LA-DROGUE.html citée dans la note 2).
  7. Ces vues étaient trop optimistes : aucune solution aussi simple aux problèmes posés n’est apparue. De nombreuses firmes pharmaceutiques ont essayé de mettre au point des médicaments fondés sur ces connaissances mais avec des résultats décevants jusqu’ici. L’une des raisons est que les endorphines sont rapidement détruites par des enzymes, les peptidases. Toutefois on a découvert, d’abord chez le rat en 2003 (sialorphine) puis chez l’homme (opiorphine) des substances naturelles capables de bloquer ces peptidases. Peut-être parviendra-t-on ainsi à concevoir de nouveaux médicaments qui, en empêchant la destruction des endorphines, atténueront la douleur. On a bien mis en évidence, dès 1978, l’influence des endorphines dans l’efficacité des suggestions (effet placebo) mais, pour l’essentiel, cet effet demeure incompris. Reste la formidable complexité du système nerveux, avec ses multiples interconnexions et rétroactions tant au niveau biochimique que cellulaire : toute action sur le système tend à provoquer des effets multiples et opposés ce qui en rend souvent le résultat imprévisible. Même des systèmes beaucoup plus simples, comme celui de la fixation symbiotique de l’azote que nous avons récemment discuté, n’échappent pas à cette règle (voir la chronique n° 279, L’effraction génétique – Avec l’effraction de son hérédité, l’homme va sortir de l’histoire, 22.02.2016). D’une façon générale, la complexité des systèmes vivants à tous niveaux est un puissant obstacle à l’intervention humaine, que ce soit en écologie, économie, politique, etc. (voir par exemple les chroniques n° 322, Le cocotier – Le Mal français de Louis XV à nos jours, 03.11.2014, et n° 346, Excursion en économie : les maîtres pataugent les profanes doutent – La grave question du chômage, 20.04.2015). Qui plus est, dans ces derniers domaines sévissent bien plus qu’en biologie et médecine des conflits d’intérêt, pesanteurs idéologiques et manques de pragmatisme qui rendent l’action brouillonne et inefficace.
  8. Cette formule, « les physiciens trouvent plus d’esprit dans la matière que les physiologistes plus de matière dans l’esprit », exprime de manière élégante et symétrique la divergence maintenant presque séculaire entre physiciens et biologistes, sur ce point voir la chronique n° 311, Le septième jour – Quand les scientifiques s’interrogent sur la conscience, 15.02.2016.
  9. Saint Justin, né à Naplouse de parents païens, étudia la philosophie avant de rencontrer le christianisme et de s’y convertir. Il mourut martyr à Rome en 165 sous le règne de Marc Aurèle. Confronté à l’hostilité des païens et des Juifs (voir à ce propos la note 1 de la chronique n° 343, L’Assomption : la femme en sa sublime vérité – Marie signe de contradiction en un temps de profanation de la chair féminine, 10.08.2015), il fut l’un des premiers auteurs chrétiens à défendre sa foi de manière polémique. Ces « apologistes grecs » comme on les appela plus tard, dont la plupart des œuvres sont aujourd’hui perdues, s’efforcèrent de réfuter les accusations d’immoralité et de danger pour l’État dont on accusait le christianisme et de montrer la supériorité de celui-ci sur la philosophie grecque. Ils élaborèrent à cette occasion les premières réflexions philosophiques sur la doctrine chrétienne, bien avant les définitions des grands conciles.