Donner son sang est-il un droit ? - France Catholique
Edit Template
Millénaire de la cathédrale de Chartres
Edit Template

Donner son sang est-il un droit ?

Copier le lien

Je ne me souviens plus précisément quand j’ai appris que je ne pouvais pas donner mon sang. Quelque part pendant la procédure, on m’informa que, compte tenu du temps que j’avais passé en Afrique – cela pouvait être après le Kenya, le Nigéria ou l’Afrique du Sud – j’étais exclus des donneurs de sang potentiels.

Je n’avais pas vraiment pensé à la chose, qui voulait dire, peut-être à mon discrédit, que je ne m’étais jamais vraiment soucié de donner mon sang. Mais comme le paludisme et le SIDA, entre autre, sont très présents dans ces pays, il n’est pas difficile de saisir pourquoi je ne serais pas un donneur idéal. Je ne l’avais pas reçu comme une offense personnelle, mais comme quelque chose qui justifiait que l’on fît attention. D’un autre côté, je dois ajouter que j’étais soulagé – pour d’évidentes raisons – de n’avoir pas eu besoin moi-même de transfusion sanguine lorsque j’étais dans ces pays.

Ce même genre de restriction s’applique à ceux qui ont passé de longues périodes (ou des périodes cumulées) dans d’autres régions, y compris en Europe. « Mieux vaut être en bonne santé que désolé » est le principe opératoire de nombreuses organisations et les receveurs potentiels de sang en sont généralement d’accord.

Mais pas tout le monde. Le maire de Campbell, Californie (au cœur de Silicon Valley) a récemment fait état de sa consternation de ce que, comme les autres homosexuels, il n’avait pas le droit de donner son sang. Et devinez quoi ? Son appel sur les réseaux sociaux afin que ce rejet soit levé a, à en croire le soutien flagorneur dans nos média locaux, décollé comme une fusée.

Si vous voulez savoir ce qui, dans le sillage du projet de « mariage homosexuel », le prochain tabou à renverser peut être – inceste ? polygamie ? – la politique du don de sang est déjà en jeu.

Afin de laisser au maire le bénéfice du doute, je suppose que son argument n’est pas que quiconque et chacun devrait avoir le droit de donner son sang, mais que l’exclusion ne doit pas s’appliquer si un individu en particulier remplit les critères requis.

Ce n’est pas ici le lieu de spécifier en de fastidieux détails le bien-fondé des raisons qui sont derrière la politique actuelle du sang ; il suffit de dire, cependant, qu’aucune compagnie d’assurance automobile n’accepterait le même genre d’argument relatif à la démographie des jeunes conducteurs.

Quel que soit le talent de persuasion qu’un jeune conducteur pourrait mettre en œuvre pour démontrer qu’il n’est pas personnellement un chauffard, cela n’influerait pas sur les tendances générales sur lesquelles sont fondées de manière impersonnelles les primes.

Apparemment, la Croix-Rouge a demandé au maire d’aider à coordonner une collecte de sang. Mais faire cela, a-t-il dit, « c’est comme d’héberger une soirée sans y être invité ».

Par quoi commencer ? D’abord, l’ensemble de l’effort devrait être dicté par les besoins du receveur plus que sur la satisfaction de l’ego du donneur, non ? Une collecte de sang n’est pas le lieu pour faire valoir votre façon de voir « l’égalité » – ou pire, sur l’exercice de vos « droits » -. L’évident narcissisme que traduit le commentaire du maire est l’exacte antithèse de ce que sont les collectes de sang.

Mais à vrai dire, pourquoi avons-nous besoin de respecter la tranquillité d’esprit du receveur de sang si la tranquillité d’esprit de, disons, les photographes peut être piétinée s’ils rechignent à être enrôlés pour reconnaître le « mariage homosexuel » – qui est une impossibilité ontologique et anthropologique – ?

La réalité objective est l’ennemi dans les deux cas même, curieusement, parmi ceux que l’on supposerait exalter au-dessus de tout la science objective. Seuls ceux qui, de fait, nourrissent d’autres priorités plus viles peuvent prétendre que les jugements scientifiques sur la sécurité des transfusions sanguines orientées en vue du bien commun, constituent une « discrimination ».

Hélas, l’homme ne vis pas que de raison pure ; l’honnêteté oblige à reconnaître que ce n’est en général pas la science elle-même, mais la façon dont on l’interprète, qui est si vigoureusement contestée. Le combat tourne autour d’engagements antérieurs qui découlent de ce qui constitue la base de toute culture : la religion, sous une forme ou sous une autre. C’était déjà clair dans la pensée païenne antique.

Sur ce point, la thèse d’Aristote sur l’avortement est intéressante. Il spécifiait que l’avortement ne devrait pas être autorisé après un certain stade de la grossesse. Certains ont suggéré que si Aristote avait connu les découvertes sans équivoque de l’embryologie moderne, il aurait sûrement été contre tout avortement.

Mais Matthew Lu, qui a écrit il y a quelques mois dans International Philosophical Quarterly « Aristote sur l’avortement et l’infanticide », défend l’idée que nous ne devrions pas en être si facilement convaincus. Notant que l’Occident est « profondément redevable à Aristote », il affirme également qu’il doit y avoir autre chose sur cette question particulière, étant donné qu’Aristote semble avoir accepté sans réserve la pratique grecque en vigueur de l’infanticide par exposition. (Non seulement il ne condamnait pas catégoriquement l’infanticide, mais il soutenait qu’il ne fallait pas accorder de protection aux bébés « difformes », et sentait que l’Etat avait un rôle à jouer dans la régulation de la population).

C’est son acceptation de cette norme culturelle dominante plus que l’ignorance de l’embryologie qui a façonné son point de vue sur cette question ; en d’autres termes, la science n’aurait pas fait la différence. Seuls ceux qui voient la personne humaine d’une certaine manière le peuvent.
Lu conclut : « autant notre pensée morale lui est redevable, le monde contemporain a également été marqué par une révolution dans la compréhension de la personne humaine qui a transformé les fondements mêmes de notre perception morale du monde. » Par révolution, il veut dire « l’essor du christianisme dont les effets sur la transformation de la morale occidentale peut être reconnu de manière complètement indépendante de la question de la vérité de ses revendications religieuses. »

La répudiation croissante de ce qui a fait la différence civilisatrice a conduit certains à affirmer que le paganisme néo-moderne de nos jours est plus virulent que son avatar ancien. Ce qui, je pense, est une question ouverte. Mais le sang humain, à en juger sur la quantité qui a été répandue sous les yeux du néo-paganisme, n’a jamais été quelque chose qu’ils tiennent vraiment en haute estime.


Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-right-to-give-blood.html


Matthew Hanley est conseiller senior auprès du Centre National Catholique de Bioéthique (CNCB). Avec Jokin de Irala, M.D., il est l’auteur de Affirmer l’amour, éviter le SIDA : ce que l’Afrique peut enseigner à l’Occident, qui a récemment remporté le prix du meilleur livre de l’Association de la presse catholique.

Les opinions exprimées ici sont celles de M. Hanley et n’engagent pas le CNCB.