Culture de vie, culture de mort. Nous connaissons bien cette formule de Jean-Paul II, qui définissait ainsi un des enjeux de la mission des chrétiens dans le monde d’aujourd’hui. Certains, sur le moment, se sont étonnés. Ils ont objecté qu’à aucun moment de l’histoire, la vie n’avait été autant honorée et servie. Nos États-providence n’ont ils pas déployé un arsenal de moyens au service de la protection sociale et de la santé, sans commune mesure avec tout ce que le passé pouvait offrir à nos aïeux. De plus, nous bénéficions des étonnantes avancées du progrès technique, particulièrement sensible dans le domaine de la médecine. Dans ces conditions, n’est-il pas abusif de mettre, en quelque sorte, en procès une civilisation soupçonnée de donner la main aux forces de mort ?
C’est vrai qu’il y a là un profond paradoxe, mais l’humanité a toujours vécue en régime d’ambivalence. Nous savons que la technique peut aussi anéantir notre planète, qu’elle peut dévaster nos écosystèmes par un excès d’assujettissement. Et puis il se trouve que le vingtième siècle a transmis au vingt-et-unième ce que Raymond Aron appelait « les désillusions du progrès ». Nous n’avons plus vraiment la religion de la science, même si demeure une libido dominandi, un désir de domination. Alors qu’un Renan et un Berthelot mettaient tous leurs espoirs dans un avenir voué au progrès, grâce à nos pouvoirs infinis, nos contemporains n’y croient plus. Et ce qui progresse un peu partout, c’est le nihilisme. Il n’y a plus de cité radieuse à l’horizon.
Ce qui s’est donc perdu c’est un certain goût de la vie et le bonheur de la transmettre. Dans un tel climat, il y a le risque continu de donner le primat à une sorte d’alliance ambiguë avec la mort. C’est pour cela que la possibilité de légitimer l’euthanasie est un enjeu si important. La transgression de l’interdit du meurtre ne fascine pas seulement notre temps à cause de la crainte de la souffrance. Elle est aussi associée à une désespérance, avec la perspective, par exemple, de cliniques du suicide assisté, qui, en Suisse, ressemble plutôt à une exécution. Michel Houellebecq dans son roman La carte et le territoire en a parfaitement décrit le scénario insupportable. Le rapport Sicard sur la fin de vie reste, semble-t-il, prudent dans ses conclusions. Néanmoins l’exception d’euthanasie qu’il préconise ne peut être dissocié de cette rupture avec le plus fondamental de nos commandements : Tu ne tueras pas !
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 19 décembre 2012.
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ