Le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo n’est pas le fait de deux ou trois illuminés autoradicalisés par Internet. Mais c’est l’application, par des extrémistes recrutés par un réseau, d’une « fatwa », un jugement politico-religieux prononcé par plusieurs dignitaires musulmans, dans des pays comme l’Afghanistan, le Pakistan, le Yémen, l’Égypte, etc. Pas seulement par de petits chefs islamistes autoproclamés, mais aussi à l’heure du prêche dans des mosquées gigantesques.
On se souvient que tout a plus ou moins commencé par l’affaire des « caricatures de Mahomet », publiées en 2005 par un journal danois. C’est alors qu’on vit la « foule arabe » s’en prendre violemment aux intérêts danois et occidentaux dans des pays musulmans « modérés » comme la Jordanie ou le Liban…
A ceux qui voudraient croire que l’exécution des blasphémateurs de Charlie Hebdo provoque la réprobation unanime des musulmans modérés, il faudra donner le témoignage des enseignants français qui ont des classes d’enfants d’origines maghrébine, turque, comorienne… Dépassant leur compétence, certains professeurs ont cru devoir commenter des dessins de Charlie devant leurs élèves, pour une leçon de morale.
Mal leur en a pris. Le blasphème, pour ces jeunes musulmans, commence à la représentation de Mahomet pour ne rien dire de celle d’Allah. L’« iconoclasme » musulman n’est qu’une application radicale d’un des Dix commandements (« Tu ne tailleras pas d’images… ») de la Bible des juifs… Une telle logique n’a-t-elle pas eu cours chez des chrétiens (au VIIe siècle à Byzance, au XVIe en France) ? Et certains prêcheurs évangéliques d’aujourd’hui, dans leur refus des « idoles », n’en sont parfois pas si loin, du moins en paroles et en privé… La haine des images est en tout cas le fait des plus radicaux des musulmans (wahhabites en Arabie séoudite qui, si on les laissait faire, iraient jusqu’à détruire le tombeau de Mahomet par crainte de l’idolâtrie…). C’est en quelque sorte devenu le nœud de cette guerre de civilisation actuellement évoquée et, plus encore, niée.
Il y a un art islamique, fort estimable, qui se prive de représenter toute forme de vie humaine ou animale. La civilisation occidentale classique, au contraire, est toute image, au point de n’être souvent plus que cela. Quitte à ce que la représentation du corps humain vire de manière obsessionnelle à la pornographie, notamment sur les nouveaux médias.
Quant aux dessinateurs de Charlie, personnalités attachantes, bons vivants et des hommes de courage, ils se disent indifférents à la notion de blasphème. Leur logique anticléricale les pousse à être insultants, par pure volonté d’humilier. Et leur humour, sans beaucoup d’autodérision, n’est pas dénué d’une violence plus ou moins abjecte, mais aussi dérisoire par excès, et sans influence véritable comme en témoigne un faible tirage. Connaissez-vous des lecteurs réguliers de Charlie ? Ils ont parfois le ricanement « beauf » pourtant si bien dénoncé par Cabu.
L’heure n’est pas à régler des comptes mais bien au contraire à la solidarité. Outre le courage qui force l’admiration, il faut reconnaître le talent à ces maîtres du trait, ces dessinateurs de « petits bonshommes », qui nous les rend proches, dans une commune civilisation de l’incarnation… C’est pourquoi France Catholique, qui est aussi le journal de Chaunu ou de Brunor, a décidé d’adopter pour son prochain numéro le logo inventé par le styliste Joachim Roncin, sans volonté de récupération, juste pour montrer l’unité de toute une profession, celle des journalistes, et celle des dessinateurs de presse : « Nous sommes tous Charlie ».