Aux périphéries - France Catholique
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Marie, secours des chrétiens
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Aux périphéries

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Ne me faites pas parler pour les autres. Parmi les multiples sources de ma propre confusion, quand je cherche à suivre les nouvelles venues de Rome, il y a le mot « périphéries ». Le pape François l’utilise fréquemment, avec une délectation visible.

Son premier voyage comme pape a été pour Lampedusa, l’île la plus méridionale d’Italie, en fait plus près de la Tunisie que de la Sicile. Elle est donc à la périphérie de l’Europe, et les informations l’ont présentée comme la destination immédiate de réfugiés fuyant leur pays islamique d’origine, dans l’espoir de commencer une nouvelle vie en Europe.

Je compatis à leur désespoir. Les conditions de vie dans l’actuelle Afrique du Nord sont apparemment telles qu’un très grand nombre d’habitants risquent leur vie en toute connaissance de cause, dans des bateaux inaptes à prendre la mer. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux ont coulé.

Le second voyage du Pape a été pour l’Albanie, une autre destination européenne « périphérique », à peu près à la même distance du talon de la botte italienne, par le canal d’Otrante, que Lampedusa l’est des rivages islamiques. Pays lui-même à dominance islamique, l’Albanie a aussi fourni à l’Italie durant des années des multitudes de réfugiés désespérés.

Le symbolisme était manifestement intentionnel. Les symboles expriment du sens, alors que voulait dire le Saint-Père par ces gestes ? Ce n’était certainement pas gratuit, pour mettre en contraste la prospérité de la chrétienté avec les dysfonctionnements du Dar al-Islam.

A tort ou à raison, j’avais les idées assez embrouillées. Ma confusion a augmenté durant les premiers mois d’exercice de la papauté, en raison de déclarations impromptues, qui d’un côté critiquaient les Européens pour leur indifférence à la détresse des réfugiés et de l’autre les comparait à « des vieilles filles stériles » échouant à renouveler leur identité chrétienne.

Le prosélytisme catholique à l’ancienne mode était également condamné, au cas où quelqu’un aurait voulu élaborer un plan pour accueillir les immigrants musulmans, mais seulement à la condition qu’ils se convertissent à la foi chrétienne. (Je suis peut-être le seul à entretenir cette idée.)

Comme ancien scribouilleur méfiant, la question « que dit-on là ? » m’est souvent venue à l’esprit. C’est la question que je pose quand j’essaie d’interpréter des gestes rhétoriques tacites. En se tenant réprobateur à Lampedusa, qui le Saint-Père essayait-il de culpabiliser ? Et dans quel but ?

Plus tard, en Terre Sainte, il est resté silencieux à observer une section du mur de sécurité d’Israël – tellement longtemps que tout le monde a supposé qu’il devait, d’une certaine manière, « commenter ». Alors je demande : quelle est la signification de ce commentaire ?

Admirait-il le mur pour son style architectural ou comme prouesse de la technologie moderne ? Peu probable. Etait-il au contraire, en train de suggérer que les Juifs n’ont pas le droit de mettre des obstacles sur le chemin de gens qui essaient de les tuer ? Ce n’est sûrement pas le cas non plus. Alors quoi ?

De nouveau il était là, présent dans une de ces « périphéries », faisant une déclaration, qui, à courte vue, était ambiguë, ou contradictoire, ou complètement incompréhensible.

On peut dire des périphéries qu’elles contribuent à de telles confusions. A l’épicentre de l’Église Romaine, chantant la messe sous le dôme de Saint-Pierre – une activité longtemps associée à la personne du pape – il n’y a, je pense, pas d’ambiguïté du tout.

De même quand le pape enseigne la doctrine catholique révélée, où qu’il puisse se trouver : car le Christ doit sûrement se sentir chez lui en tous lieux de la planète qu’il a créée. Qu’est-ce qui serait périphérique pour Lui ?

C’est une question de premier plan qui, je pense, exige une réponse que le pape François, s’il était aiguillonné, devrait éventuellement fournir : le paradoxe que pour l’Église Catholique, il n’y a pas véritablement de périphéries. Mais si quelqu’un utilise fréquemment le mot, surtout au pluriel, ce paradoxe nécessite d’être expliqué.

Nous pourrions prendre le terme plus littéralement, dans un sens géographique ou économique. Lampedusa et l’Albanie sont géographiquement à la périphérie du vieux fief chrétien européen, ce qui n’aurait pas été le cas, par exemple, du temps où Saint Augustin était évêque d’Hippone, en Afrique du Nord.

Le Cap Vert, Xai-Xai, Rangoon, Hanoï, Tonga – pour suivre un voyage extérieur du dernier consistoire – étaient certainement des endroits exotiques pour y expédier la galère écarlate ; surtout à la lumière de tant de candidats solides à des postes pérennes qui ont été court-circuités.

Tout à fait à part du nouvel accent mis sur la distance géographique d’avec Rome, j’ai été, comme beaucoup d’autres, plutôt frappé par l’exotisme, en termes de poids doctrinal et d’orthodoxie,
de tant de nominations d’évêques par le pape François.

La nomination de Mgr Cupich à Chicago, de Mgr McElroy à San Diego sont deux exemples de la tendance internationale. Nous voyons l’élévation soudaine à la tête de l’Église de jeunes périphériques, aux vues modernisantes libérales ou de gauche, sans revendication à la profondeur spirituelle.

On nous rappelle toujours de ne pas juger – en vérité, nous pourrions être sévèrement jugés pour l’avoir fait – alors je ne voudrais même pas rêver de suggérer que plusieurs de ces élus pourraient être de meilleurs candidats à l’excommunication. Ce serait indécent. Les évêques, tout comme les cardinaux et les papes, ne font que passer, et dans l’histoire de l’Église, c’est souvent que les fidèles ont dû s’en accommoder.

Cependant, il y a une question logique à poser à propos d’atteindre les « périphéries ». Est-ce dans le but de porter le catholicisme aux extrémités de la terre ? Ou d’englober ce qui est périphérique ? Je ne peux pas imaginer une voie médiane qui ne serait pas elle-même une forme de syncrétisme qui répondrait de façon erronée à la question.

Comme question subsidiaire, nous pourrions nous demander où nous situons les périphéries. Car selon moi, le catholicisme est devenu périphérique dans la vie des Italiens, des Français, des Espagnols, des Allemands, pour ne citer qu’eux, tout autant que dans la vie de la tribu insulaire la plus lointaine.

Parmi les 13 000 catholiques de son diocèse, le jeune cardinal Mafi de Tonga pourrait bien en avoir proportionnellement plus qui assistent à la messe du dimanche que le cardinal Marx n’en a parmi ses 25 millions d’ouailles. Par conséquent, aux yeux de Dieu, Tonga pourrait bien n’être pas si périphérique que l’Allemagne.

Prenons garde, les périphéries pourraient peut-être bien commencer chez nous.


David Warren est ancien rédacteur du magazine Idler et journaliste de Ottawa Citizen. Il a une profonde connaissance du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.


Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/03/06/on-the-peripheries/