Au-delà du laïcisme radical - France Catholique
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Au-delà du laïcisme radical

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L’année-charnière pour les « baby-boomers » de la nouvelle gauche fut 1968. Aux Etats-Unis, ils ont manifesté contre la guerre du Vietnam, occupé les bâtiments d’administration des campus, défilé vers le Pentagone et mené des émeutes lors de la Convention nationale démocratique de Chicago.

De l’autre côté, en France, les étudiants opposés à la guerre et percevant les mœurs politiques et sociales décadentes de l’Occident – en particulier concernant les questions sexuelles -, sont descendus dans la rue en mai 1968. Ce qui commença comme une protestation s’est développé en une alliance nationale étudiants-ouvriers avec des grèves et des manifestations violentes qui en sont presque arrivées à faire tomber le gouvernement du Général de Gaulle.

Les soulèvements ont fini par s’apaiser mais les baby-boomers radicaux n’ont pas abandonné le combat. En Amérique, ils ont envahi le monde universitaire et ont consacré une quarantaine d’années à imposer une idéologie laïciste aux étudiants influençables.

En France, un grand nombre des radicaux des années 1960 ont fait leur chemin dans les bureaucraties gouvernementales à Paris et au siège de l’Union Européenne à Bruxelles. Ryszard Legutko, membre polonais du Parlement européen et universitaire a observé que, depuis ces perchoirs, ces apparatchiks laïcistes se sont consacrés à contrôler chaque aspect de la société, « y compris l’éthique et les mœurs, la famille, les églises, les écoles, les universités, les organismes communautaires, la culture, et même les sentiments et les aspirations humaines. »

Ce phénomène a causé une nouvelle crise en France et il constitue le sujet du livre de Pierre Manent, Situation de la France (Desclée de Brouwer, 2015), récemment traduit sous le titre Beyond Radical Secularism: How France and the Christian West should respond to the Islamic Challenge.

Manent, philosophe politique français de renom, vient de prendre sa retraite de l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Elevé dans une famille communiste, après avoir été témoin de ce qu’il considérait comme les futiles émeutes étudiantes de 1968, il a abandonné le marxisme et a embrassé le catholicisme.

Influencé par son professeur, l’anti-communiste Raymond Aron – qui l’a introduit à Aristote, Tocqueville et Léo Strauss -, Manent a évolué pour devenir un écrivain prolifique de l’histoire du libéralisme.

Situation de la France, que Manent appelle un « exercice de sincérité » a pris d’assaut la France lors de sa publication, peu après l’attaque terroriste sur Charlie Hebdo en 2015.

Il y fait valoir que, depuis le bouleversement culturel de 1968, la plupart des formes d’autorité se sont dégradées. Les politiques françaises qui combinent l’individualisme avec l’antinomisme ont détruit la légitimité de la nation, de l’église, du quartier et de la famille. L’idée de bien commun a été abandonnée, les règles collectives ont été délégitimées et la fidélité à la communauté s’est perdue.

La laïcité de l’État, inscrite dans la constitution française, a neutralisé tout ce que les gens avaient en commun et donné une souveraineté illimitée à l’individu. Manent écrit : « Cette idée de neutralisation revient à faire disparaître la religion en tant que chose sociale et spirituelle, en transformant l’objectivité de la règle morale en droits subjectifs de l’individu.
George J. Marlin

Toutefois, accorder une souveraineté illimitée à l’individu, soutenir que la religion est simplement une affaire privée, et accepter les différences de vie tant que l’égalité des droits des autres n’est pas violée, ont eu un effet inverse vis-à-vis de la population musulmane qui s’accroit rapidement en France.
L’hypothèse laïciste selon laquelle tous les problèmes avec les musulmans se dissiperont parce qu’ils vont finir par devenir modernes, laïques et démocratiques, s’est avérée fausse. Pour les musulmans, la vie publique est un ensemble mœurs et de coutumes, pas un environnement qui garantit les droits. En France, les musulmans se conduisent comme des musulmans et, selon la connaissance actuelle que l’on en a, le gouvernement n’a pas d’autre alternative que de l’accepter. C’est ainsi que Manent écrit :

« Nos concitoyens musulmans sont maintenant trop nombreux, l’islam a trop d’autorité et la République… trop peu, pour que les choses aillent autrement. Par conséquent, j’en conclus que notre régime doit concéder, et même, franchement accepter leurs manières, puisque les musulmans sont nos concitoyens. Nous n’avons pas imposé de conditions à leur installation ici, ils ne les ont donc pas violées. Acceptés comme égaux, ils ont donc le droit de penser qu’ils ont été acceptés comme ils sont. »

Mais il demande à la France de mettre en œuvre une « politique du possible » qui implique une grand compromis « entre les citoyens français musulmans et le reste du corps politique. »

Un nouveau « contrat social » devrait reconnaître que les musulmans n’adhèrent pas aux idées occidentales et qu’ils vont continuer à pratiquer leurs rites religieux, avec plusieurs exceptions. La polygamie doit être interdite ainsi que la burqa qui « empêche l’échange de signes par lesquels un être humain reconnaît un autre être humain ».

Les musulmans devront affirmer certains éléments du vivre ensemble en France. Ceux-ci comprennent « la liberté de pensée et d’expression ». Crier à l’islamophobie lorsqu’on est confronté à d’autres points de vue est une forme de censure de la parole et de la pensée, qui doit cesser. L’islam doit être traité de « la même manière que tous les éléments politiques, philosophiques et religieux de la société [française] l’ont été depuis au moins deux siècles. »

Pour faire partie d’une nation qui représente tous les Français, les musulmans doivent aussi affirmer leur indépendance vis-à-vis « des différents pays qui envoient des imams et qui financent, et parfois administrent ou guident, les mosquées. » Ce n’est qu’alors qu’ils auront les droits et les devoirs liés à la citoyenneté française.

Les musulmans n’ont pas à abandonner leur religion mais doivent se considérer eux-mêmes, « en tant que musulmans, comme membres d’une communauté nationale » et « en se donnant à la France, les musulmans recevront d’elle leur religion en retour. »

Enfin, Manent insiste sur le fait que, si un État laïque peut être neutre, une société ne le peut pas. Et la société française « a été, principalement mais pas exclusivement, infusée par le christianisme catholique, avec des apports importants d’éléments protestants et juifs. »

Reconnaître que la France est une nation « marquée » par le christianisme ne signifie pas que les musulmans doivent y être des citoyens de deuxième classe (comme le sont depuis des siècles les chrétiens au Moyen-Orient), parce que « le pouvoir politique y est rigoureusement séparé des commandements religieux et des préceptes de l’Église ; il s’agit là d’une laïcité au sens propre, qui est effectivement nécessaire et salutaire. »

Quelle est la probabilité que les musulmans français acceptent cette offre ? Elle ne semble pas bonne. Mais il est bon qu’un penseur aux idées claires du calibre de Manent ait décrit le problème avec franchise et proposé ce qui est de loin le seul moyen de le résoudre.

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George J. Marlin, Président du Board of Aid to the Church in Need USA (L’Aide à l’ l’Église en Détresse des USA, ndt), est l’éditeur de The Quotable Fulton Sheen, et l’auteur de The American Catholic Voter, et Narcissist Nation: Reflections of a Blue-State Conservative. Son ouvrage le plus récent est Christian Persecutions in the Middle East: A 21st Century Tragedy.