Les médias ont orchestré le vœu de Nicolas Sarkozy de faire entrer Albert Camus au Panthéon. Il semble que le fils de l’écrivain, mort il y a bientôt cinquante ans dans un accident de voiture, s’oppose à ce projet qui, par ailleurs, a suscité des réactions assez diverses.
Je me permettrai de proposer aujourd’hui la mienne, qui est quelque peu paradoxale et qui peut se traduire en deux propositions. J’aime énormément l’écrivain Albert Camus, mais le Panthéon me pose énormément de problèmes. Et pour tout dire, ce n’est pas le sort que je souhaite à mes écrivains préférés. Surtout que les restes de Bernanos demeurent à Pellevoisin, que ceux de Claudel demeurent à Brangues, ceux de Péguy à Villeroy ! Et je pourrais allonger indéfiniment la liste. Pourtant, j’ai bien quelques amis dans la crypte du grand temple de la République et même parmi les tout derniers transférés. Je pense à André Malraux et à l’auteur immortel des « Trois mousquetaires ».
Mais avant de m’expliquer là-dessus un peu plus, un mot sur mon admiration pour Albert Camus. Elle date de mon adolescence et de mes premiers choix littéraires. En classe de philo j’avais fais un exposé sur « La peste », qui n’est pas son meilleur roman mais qui me reste particulièrement cher, notamment, à travers le face à face entre le héros du livre, le docteur Rieux et le Père Paneloux, en qui certains critiques ont voulu reconnaître le futur cardinal Jean Danielou. Mais il y a tout le reste : le merveilleux chantre de Tipaza, le journaliste de « Combat », l’essayiste de « l’Homme révolté ». C’est lui qui s’opposa à toute l’intelligentsia parisienne, dont Sartre était le symbole, pour refuser le totalitarisme stalinien et qui encourut tout son mépris. Je pense aussi au Français d’Algérie, déchiré par le sort de sa terre natale et qui voulait défendre sa mère, l’humble femme de ménage, contre la pseudo-justice des terroristes. Cet amour, qu’on pourrait dire malheureux, nous a valu son roman posthume inachevé, « Le premier homme », auquel Alain Finkielkraut a rendu le plus juste des hommages dans son essai récent.
C’est dire que vouloir distinguer Albert Camus comme une des figures de la France, une des figures de notre littérature me va droit au cœur. Mais c’est plus fort que moi, le Panthéon me pose des problèmes. Tout d’abord, je déteste que l’on sécularise une ancienne église, vouée dans ce cas précis à la patronne de Paris, sainte Geneviève. Secundo, autour de ce curieux temple rôdent de non-moins curieux fantômes, dont le culte s’est particulièrement répandu au dix-neuvième siècle. Lisez là-dessus les pages que Philippe Muray a consacré au Panthéon dans un livre incroyable intitulé « Le dix-neuvième siècle à travers les âges » et vous serez édifié sur l’occultisme qui a peuplé ces murs. Quand on ne croit plus à la résurrection on court derrière les spectres. Voyez Hugo, voyez Sand et toutes les idoles du temps. Muray a la faculté de nous faire rire. Et ce n’est pas rien en ces temps-ci.
Bien sûr je ne force personne à partager mon avis. Mais tout de même : un conseil à ceux que la visite de la crypte du grand monument aurait décontenancés, voire démoralisés. Courrez vite à côté dans la superbe église Saint-Etienne du Mont. Vous verrez la lumière d’en haut, vous prierez Sainte Geneviève, vous verrez même les tombes de Pascal et de Racine. En leur compagnie vous intercéderez pour tous nos amis écrivains, morts et vivants.
Gérard LECLERC