À propos des « catholiques zombies » - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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À propos des « catholiques zombies »

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On peut avoir beaucoup d’estime intellectuelle à l’égard d’Emmanuel Todd, chercheur, anthropologue, sociologue de grand talent et éprouver quelques perplexités en ce qui concerne son récent réquisitoire à l’encontre des « catholiques zombies »1. Déjà le mot et le concept renvoient à des références problématiques. Comment retrouver dans la culture haïtienne, dont ils proviennent, la signification que le polémiste entend imposer ? Si on le comprend bien, le catholicisme zombie concerne la culture récurrente de régions comme la Bretagne, qui ont abandonné leur pratique religieuse mais ont néanmoins conservé une identité forte liée à leur histoire. On discerne mal le rapport avec ce que les Haïtiens désignent comme zombie, à savoir « des personnes ayant perdu toute forme de conscience et d’humanité, adoptant un comportement violent envers les êtres humains et dont le mal est terriblement contagieux » (définition des dictionnaires). Rien à voir non plus avec les victimes des sortilèges vaudous, en proie aux maléfices de la possession. Sans doute faut-il néanmoins entrer dans une construction mentale apte à définir une réalité sociologique sui generis, mais l’aspect résolument péjoratif de la qualification incline à imaginer des processus plutôt pervers.

Or c’est bien à une sorte de perversion ontologique qu’Emmanuel Todd nous renvoie, avec ses populations décidément rebelles à l’esprit égalitaire de la Révolution, cultivant un entre-soi farouche, et donc hostiles à l’accueil de l’autre (singulièrement des musulmans implantés sur notre sol), toujours crispés dans des attitudes réactionnaires, anti-dreyfusiens avant-hier, pétainistes hier. On est en droit d’être singulièrement surpris face à une telle essentialisation de l’identité catholique, alors même que le pamphlétaire combat vigoureusement la tendance essentialiste qui consiste à réduire l’islam à ses désinences fondamentalistes et terroristes. Mais, cher Emmanuel Todd, vous êtes orfèvre dans cet exercice qui consiste à fixer dans une nature définitive, anthropologiquement déterminée, une population vouée à l’égoïsme sordide et au capitalisme le plus impitoyable. Le but de cette superbe démonstration consiste à clouer au pilori un François Hollande, type achevé du catholique zombie, et un Parti socialiste ayant trahi sa mission pour avoir été contaminé par sa conquête des territoires zombies.

On a le droit d’être ahuri par une telle démonstration, bétonnée dans une idéologie inflexible, et qui traite avec pareille désinvolture la complexité sociale et culturelle. C’est d’autant plus dommage qu’on serait prêt à discuter avec Emmanuel Todd de sa défense motivée des musulmans en France. Mais il rompt lui-même la possibilité du dialogue par son dogmatisme et son insensibilité aux paramètres divers d’une réalité conflictuelle. Oublierait-il l’identité des persécutés d’aujourd’hui, de ceux que l’on veut faire disparaître des pays où ils vivaient avant même la naissance de l’islam ?

  1. Emmanuel Todd, Qui est Charlie ?, Seuil, 252 p., 18 e.