L’exposition « Sienne, l’essor de la peinture, 1300-1350 » a récemment ouvert au Metropolitan Museum […]
Une des œuvres les plus commentées se trouve à la fin de l’exposition : Le Christ retrouvé au Temple par Simone Martini (1342). La peinture est frappante par son sujet – le Christ adolescent est généralement dépeint « assis au milieu des docteurs de la Loi, les écoutant et leur posant des questions » (Luc 2, 46), alors que Marie et Joseph le retrouvent après trois jours.
Martini nous emmène à la scène qui suit. Joseph semble lancer un regard noir à son fils adoptif, un bras autour de ses épaules et l’autre pointant vers son épouse assise. Bien que l’Évangile ne rapporte que les paroles de Marie : « Fils, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois, ton père et moi t’avons cherché avec angoisse » (Luc 2:48), ici Joseph en dit long.
Il semble sermonner Jésus, montrant le soulagement teinté de mécontentement qui suit une grande inquiétude. Le spectateur peut presque l’entendre dire : « Comment as-tu pu faire cela à ta mère ? » Pour sa part, Marie est assise stoïquement, la main tendue dans ce qui peut être un geste de réconfort. Elle tient un livre ouvert, sûrement un passage de l’Écriture avec lequel elle « gardait toutes ces choses dans son cœur » (Luc 2, 51).
Toutefois, c’est le Christ adolescent qui attire le regard. Il se tient maussade, légèrement penché, les bras croisés d’un air de défi, les yeux plissés et les lèvres pincées. La scène a un certain charme pour quiconque est familier des sautes d’humeur de l’adolescence et cela fait que la Sainte Famille ne semble guère différente de toute autre famille dans ce moment d’incompréhension ou d’une réprimande mal reçue.
Bien qu’admirant le talent technique déployé par Martini, je trouvais l’œuvre théologiquement perturbante. Holland Cotter, critique pour le New York Times, écrivait dans son compte-rendu que « Jésus, Marie et Joseph apparaissent comme une famille moderne dysfonctionnelle : un ado boudeur, un papa exaspéré, une maman conciliatrice ».
Mais la Sainte Famille n’était pas dysfonctionnelle et le Fils de Dieu ne boudait pas. Affirmer cela n’est pas diminuer l’humanité du Christ. Jésus n’est pas plus humain en partageant les imperfections de notre nature déchue. Par exemple, quand le Diable a tenté Jésus dans le désert, Jésus n’a pas lutté contre ces tentations comme vous ou moi pourrions le faire. Il n’a pas trouvé les tentations attirantes et n’a pas dû lutter pour les rejeter. Ce fait rend Jésus plus humain et non pas moins. Son émancipation de la concupiscence ou de l’inclination au péché découle de la nature humaine parfaite qu’il possédait et que, par le secours de la grâce, nous nous efforçons d’obtenir.
Bien sûr, Jésus était capable de colère, comme nous le voyons dans le nettoyage du Temple. Sa colère était alors juste, la réponse appropriée au sacrilège en cours. Et Jésus maîtrisait parfaitement cette colère, la dirigeant avec son intelligence et sa volonté parfaites. Ce contrôle émotionnel n’était pas une compétence acquise, elle faisait partie de la parfaite humanité de Jésus, même lorsqu’il n’était qu’un adolescent.
Alors que penser du Christ boudeur de Martini ? Ce pourrait être une image bien intentionnée mais théologiquement fausse, une tentative de rendre Jésus plus proche qui finit en diminuant sa nature humaine. […]
Il m’a toujours semblé que la question de Jésus à ses parents en quête était celle d’une frustration légère, du genre : « Vous n’avez vraiment pas compris cela ? » C’est le le même type de réponse que nous l’entendons donner lors de la Dernière Cène, quand Philippe demande à voir le Père : « J’ai été avec vous depuis si longtemps et tu ne me connais pas encore, Philippe ? » (Jean 14, 9).
Martini semble donner un tour plus tranchant à la question de Jésus, la tournant en réprimande. Quand Pierre tente de dissuader Jésus de subir sa Passion, Jésus répond sévèrement : « Passe derrière moi, Satan ! Tu n’es pas du côté de Dieu mais des hommes » (Marc 8, 33). Jésus ne permettra pas que rien ne s’interpose entre lui et son œuvre salvatrice.
C’est peut-être avec une telle lecture en tête que Martini dépeint la conversation, Jésus a un instant de dépit de ce que ses parents, si bien intentionnés qu’ils soient, veuillent l’éloigner de la maison de son Père. Si c’est ce que Martini sous-entend, il peint le verset de l’Évangile avec une lumière différente, lui donnant une puissance et une résonance inattendues, le reliant aux autres épisodes de l’Évangile où les bonnes intentions de quelqu’un risqueraient de faire dévier Jésus de son but. [..]
Si c’est bien le cas, l’œuvre de Martini est d’autant plus un chef d’œuvre car elle fait ce que le grand art est supposé faire : nous faire sortir de nous-mêmes, nous faire reconsidérer nos suppositions et pour finir nous conduire plus près du Divin Artiste.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2024/11/03/an-illuminating-portrait-of-the-young-jesus/
P. Brian A. Graebe, traduit par Bernadette Cosyn