« Comment maintenir une politique de prévention du suicide si l’on légalisait le suicide assisté ? » Cette question posée par Claire Fourcade dans l’entretien qu’elle a accordé à Fabrice Madouas après les déclarations de François Bayrou affirmant son souhait de scinder la future loi en deux – soins palliatifs d’un côté, suicide assisté de l’autre –, nous paraît essentielle, car elle touche au cœur même du débat sur l’euthanasie. La loi qui avait été proposée avant qu’Emmanuel Macron ne procède à la dissolution de l’Assemblée nationale impliquait une mutation radicale d’ordre anthropologique, contrairement à l’affirmation de la ministre de la Santé, Catherine Vautrin. Il s’agissait de mettre fin à l’interdit de donner la mort à des personnes en état de faiblesse, violant ainsi le serment d’Hippocrate, prêté par tous les jeunes médecins. Celui-ci dispose notamment : « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. »
« Tu ne tueras pas »
Il s’agit là d’un principe immémorial de l’humanité, inscrit dans le marbre avec le Décalogue d’autorité divine donné à Moïse : « Tu ne tueras pas » (Ex 20, 2-17).
Cet interdit a même été ranimé dans le débat sur la peine de mort. Alors que celle-ci était largement admise avant l’ère contemporaine, elle se trouve aujourd’hui de plus en plus rejetée, y compris par les autorités de l’Église catholique. Il y a donc une contradiction flagrante entre l’interdit du meurtre et l’autorisation législative à la possibilité de donner la mort médicalement et d’aider au suicide. On conçoit d’ailleurs l’étrange paradoxe de ce concept d’aide à se donner volontairement la mort.
Les démons du nihilisme
Le déni de cet interdit fondamental constitue une véritable mutation de civilisation, avec le changement des signes qui structurent la société. Quand il n’y a plus primauté de la vie, l’existence est forcément tentée par les démons du nihilisme. En son temps, le cardinal Lustiger avait fortement insisté sur cet aspect existentiel. À la moindre contrariété, ne serait-ce qu’une déception sentimentale à l’adolescence, la perspective du suicide s’impose d’autant plus qu’elle n’est plus l’objet d’un refus législatif.
Comment ne pas penser également au retour à un véritable ensauvagement de la société, avec des meurtres accomplis par des jeunes, presque des enfants ? Un climat de permissivité généralisé contribue à cette dégradation, dont on ne voit pas comment elle prendrait fin, si n’intervenait pas ce que le laïque Ernest Renan appelait une réforme intellectuelle et morale.
Une telle réforme, dans notre pays, se réfère spontanément à un héritage spirituel fondateur, celui que symbolise plus que jamais la lumière de Notre-Dame de Paris. Nul doute que le combat pour la vie exigera beaucoup de courage. L’exemple d’une Claire Fourcade est précieux face à un défi aussi décisif.
Pour aller plus loin :
- Débat parlementaire du 19 novembre sur l'Euthanasie
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- La bataille de l'euthanasie
- « Donner la mort, ce n’est pas soigner »
- Erwan Le Morhedec : « Cette loi est une tromperie »