On reste coi à la lecture de certains textes législatifs. À croire que c’est le but cherché, car ils sont rédigés pour écarter, ou sérieusement décourager, l’expression de gens dont les idées ne sont pas dans l’Air du Temps. [N.d.T. : l’auteur avait retenu le terme Allemand Zeitgeist].
L’ Air du Temps est exigeant. Les tribunaux et parlements s’y plient.
Tout a commencé par une petite joute verbale entre politiciens de gauche et de droite, cherchant à clouer le bec à l’adversaire avec l’arme du politiquement correct, sur les campus des Facultés et autres lieux où ils pouvaient s’ébattre.
C’était la tendance du siècle dernier. Le mur de Berlin est tombé, pour notre plus grande joie; mais de nouveaux murs moraux se sont élevés pour faire progresser la vieille lune de transformation de l’homme en ”Nouvel Homme Soviétique”, sagement soumis aux autorités révolutionnaires.
C’est alors parti dans l’espace intersidéral, comme un Spoutnik. Tandis qu’en France tout semble s’éclairer, les cercles intellectuels Américains restent instinctivement attachés à la vieille Doctrine du Parti, qui dépasse leurs ambitions. Ils ne souhaitaient pas se limiter au contrôle des moyens de production par les masses laborieuses ou autres ambitions limitées. Ils voulaient tout changer.
Pour les léninistes et leurs politburos, au cours de ces trois dernières générations, on ne remettait pas en question tant de ces idées archéo-bourgeoises héritées de siècles de civilisation Chrétienne. Selon eux, par exemple l’homme était encore un homme, la femme, une femme, et l’enfant un enfant. Ils toléraient certains progrès tels que le divorce et l’avortement, et admettaient l’égalité des sexes — mais selon eux les deux sexes étaient deux sexes, et dans la société vieillotte communiste les attitudes normatives demeuraient en vigueur.
En de nombreux domaines, les Communistes figuraient parmi les plus conservateurs des dirigeants. Leur mouvement remontait bien avant Marx, à l’invention de « masses laborieuses » lors de la Révolution Industrielle, du bain de sang révolutionnaire de Robespierre, où les « masses » étaient d’abord orientées pour la démolition de l’ordre ancien des institutions héritées de l’Église et de l’État.
Marx, Engels, Lénine, Mao-Tsé-Tung, Ho-Chi-Mihn, Pol-Pot, tous d’une même époque selon un même œil Européen. Pour toutes leurs variantes, une constante anthropologique : « un homme est un homme ». On pouvait le fusiller, le torturer pour qu’il agisse contre ses propres intérêts ou ceux de sa famille, tout en sachant qu’on agissait contre lui.
L’idée dominante était que l’homme est malléable, qu’on peut le transformer à son gré, base de toute idée révolutionnaire, mais aucun apparatchik du Parti n’aurait jamais adopté d’idées telles que celle de « trans-genre ». Là, on dépassait les bornes. Les homosexuels restaient hors du débat et, dans un pays Communiste, « chacun reste à sa place ».
Alors qu’en Occident, il y a toujours eu des arrangements, même si on n’en parle pas dans les ouvrages d’Histoire, eux-mêmes parfois expurgés.
Depuis le Moyen Âge, de Michel-Ange jusqu’à Auden [Poète britannique 1907-1973], les homosexuels ont tenu une place considérable dans les milieux cultivés. En fait, quand Auden, dans les années 1950, se plaignait, gémissant, de ce climat “homintern” dominant dans les milieux artistiques de New-York, il reprenait les reproches des papes médiévaux, qui étaient persuadés de la présence de “gays” au sein de l’Église — et déploraient parfois qu’ils fussent si nombreux.
Si je rappelle ces faits sans user de notes ou de renvois, c’est tout simplement pour remettre à leur place dans leur contexte les vieilles histoires de Sodome et Gomorrhe. Les leçons de la Chrétienté sur la perversion sexuelle, héritées des Hébreux, étaient simples : mais, comme on le découvre en lisant l’Ancien Testament, Dieu n’a pas détruit de tels lieux tant qu’y vivaient quelques hommes de bonne morale, un seul ”juste” suffisant pour les épargner.
Les persécutions sont dans l’héritage de toutes les sociétés, de toutes les religions. Les évènements semblent parfois échapper à tout contrôle, et la réaction peut être fort dangereuse. Je ne prétends pas que certaines réactions exceptionnelles furent épouvantables, mais au cours de la tradition Chrétienne, occidentale comme orientale, la règle fut de “vivre et laisser vivre“. L’homme est pécheur par nature. Et si on condamne tous les péchés, le dernier homme devra se condamner lui-même.
Au Moyen-Âge, les lois n’étaient pas toutes codifiées, mais, pour la plupart, coutumières ; il faut le retenir pour comprendre nos anciens. En fait, une motivation essentielle de toute philosophie, ancienne et actuelle, a té fondée sur le rejet de toutes règles totalitaires — ce qui explique pourquoi non seulement les Scolastiques, mais aussi les penseurs des Lumières, étaient suspects de penchants démocratiques.
Mais il n’y a plus de questions, grâce au Savoir. De nos jours, l’avant-garde de la société — intellectuels, juristes, médias, élites bureaucratiques — n’a guère connaissance et ne s’intéresse que peu aux leçons du passé. Tous ont adopé un credo existentiel qu’ils sont bien incapables de définir, où le Désir précède la Compréhension, dans un univers réputé irrationnel. Et ils ne s’interrogent pas sur ce qu’ils ne comprennent pas.
Tout cela pour tenter d’éclairer une récente publication législative au Canada, qui a fait froncer bien des sourcils de par le monde. Insistant davantage sur le ”Droit-de-l’hommisme” en vigueur au Canada, le code fait de nous des criminels si nous employons le ”mauvais” pronom pour parler d’un(e) ”Trans-…”
Les ”guillemets” sont nécessaires car ”mauvais”, en l’occurrence, pourrait être biologiquement exact, et la définition de ”Trans-” évolue rapidement. Ce mot pourrait être bientôt remplacé, car il implique la constance des ”genres”, qu’on peut à présent ”trans-férer”.
Cette mesure a été adoptée au Parlement Canadien sans guère d’objections. Nul ne souhaite, principalement chez les hommes politiques, prendre à rebrousse-poil les ”bien-pensants-politiquement-corrects”. Rares étaient les gens au courant de cet article ”C-16” jusqu’à ce qu’il fasse l’objet, comme fait accompli [en Français dans le texte] d’articles dans les tabloïdes.
Le Commandement : « Tu ne . . . . . . pas » va à l’encontre de la vanité de toute ”classe protégée”, selon la dernière définition des ”Droits-de-l’Homme”. Naguère, le droit à la liberté de parole ne protégeait pas la vanité de chacun, et ce qu’on désigne désormais comme ”expression haineuse” pouvait jadis être pris pour un ”jargon amical”.
Si vous faites partie d’une classe protégée, vous pouvez bien dire tout ce que vous voudrez ; sinon, que Dieu vous aide.
23 juin 2017.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/06/23/trans-canada/
Illustration : Carnaval de Berlin, par Jeanne Mammen, vers 1930.
Musée d’Art Moderne, New York.