Saint Joseph, le silence de l’artisan - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Saint Joseph, le silence de l’artisan

© E. G.

Image :
La Sainte Famille au travail, 1939, Mauméjean Frères, basilique du Sacré-Cœur, Bourg-en-Bresse.
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Saint Joseph, le silence de l’artisan

Alors que l’Église célèbre le 1er mai la fête de saint Joseph Artisan, l’époux de Marie reste, par son application au travail, un modèle pour tous les fidèles. Son exemple a nourri la réflexion de l’Église sur le sens et la dignité du travail.
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Joseph est un homme dont on ne sait presque rien et qui, pourtant, a fait couler beaucoup d’encre comme le prouve la montagne d’ouvrages qui lui sont consacrés. Si les écrivains sont prolixes, l’homme juste de Nazareth est en revanche un taiseux. Les Saints Évangiles sont très peu diserts et se contentent de rapporter qu’il est un homme juste. La sobriété des évangélistes inspirés s’applique à tout ce qu’ils nous transmettent, mais il semble qu’ils soient encore plus discrets en ce qui regarde saint Joseph. Le père adoptif est d’abord silence, il inspire le silence et est enveloppé de silence. Pourquoi ? Parce qu’il travaille et que sa tâche est celle d’un artisan d’art penché sur son œuvre, contemplant le matériau qu’il choisit, la forme qu’il fait surgir, qui chérit le détail. Un charpentier, un ébéniste ont besoin de ce silence pour qu’émerge de leurs mains ce qui a mûri dans leur cœur.

Oh certes ! nous parlons ici de ces artisans d’antan, de ces compagnons d’exception qui épousent leur occupation comme une mission et comme une vocation. Joseph, de noble lignée davidique désargentée, a sans doute reçu, dès sa jeunesse, ce don pour travailler le bois. Il est homme du bois, souple, obéissant, malléable, et non point de la pierre dure, tranchante, rétive. Il ne sait pas que son Fils reposera un jour sur la Croix, sur ce bois qui, normalement, est pour le service et le confort des hommes et non point pour la violence et la torture.

Une ancienne tradition rapporte que la Croix est taillée dans l’arbre du bien et du mal, cause du péché originel. Ce bois maudit devient l’étendard du salut, par retournement divin. Le bois est pourtant le même. La transformation provient de celui qui le touche : le Nouvel Adam. De la même façon, les instruments et les supports de notre travail peuvent être généralement pour le bien ou pour le mal, tout dépend de la façon dont nous les utilisons : pour satisfaire notre médiocrité, nos plaisirs, nos vices, notre égoïsme, ou bien pour la gloire de Dieu, pour le service du bien commun, pour l’exercice de la charité.

Il a formé Jésus au travail des hommes

Pendant trente ans, saint Joseph a formé Jésus au travail des hommes, dans son atelier. Le Christ est un charpentier et il doit son savoir-faire manuel à son père adoptif. Dans le silence recueilli de ce lieu béni de Dieu, le Sauveur du monde a grandi en taille et en sagesse, sous la houlette de ce maître-artisan tout donné à son art. Des peintres, par la suite, représenteront l’Enfant Jésus aux pieds de Joseph en train de confectionner maladroitement une petite croix, pressentiment de son sacrifice futur. Joseph manie tous les instruments que les méchants utiliseront au Calvaire pour crucifier cet Enfant, à lui, confié par le Très-Haut : marteau, clous, tenailles… Joseph les utilise pour la gloire de Dieu tandis que les hommes pécheurs s’en servent pour tuer le Messie.

Si la Très Sainte Vierge est le tabernacle précieux qui a porté en sa chair le Fils de l’homme, Joseph, dans un rôle plus modeste mais tout aussi irremplaçable, est, comme le dit Ernest Hello, « l’ombre du Père ». Cet écrivain prodigieux (1828-1885) compare Joseph à l’aigle dans le désert qui, selon la légende, indique par son ombre au voyageur perdu et assoiffé l’existence d’une source. L’aigle n’est point la source, mais il aide à la découvrir : « Quand l’aigle plane, disent certains voyageurs, le pèlerin altéré devine une source à l’endroit où tombe son ombre dans le désert. Le pèlerin creuse, l’eau jaillit. L’aigle avait parlé son langage, il avait plané. Mais la chose belle avait été une chose utile ; et celui qui avait soif, comprenant le langage de l’aigle, avait fouillé le sable et trouvé l’eau » (Physionomies de saints, « Saint Joseph »).

Là où se pose l’ombre de Joseph travaillant en silence, il suffit de se baisser, de creuser et de trouver le véritable sens de toute activité humaine. Et, du même coup, cette familiarité avec Joseph rapproche de son Apprenti, le Christ lui-même qui, pendant tant d’années, demeura dans l’ombre de son père adoptif, Joseph, ombre du Père céleste.

Le silence dans l’atelier

Le silence de Joseph contient toutes les paroles, contient la Parole. Il n’a pas besoin de prononcer des paroles, d’utiliser des mots, car son silence laisse jaillir l’Eau vive qui s’active modestement à ses côtés dans l’atelier. Notre Seigneur, tout entier donné au Père, – comme il le rappelle à ses parents de la terre lors du recouvrement au Temple de Jérusalem –, a été formé humainement par ce père adoptif, simplement en regardant son exemple, en contemplant ses gestes précis, en l’imitant dans le moindre détail, comme le font certes tous les enfants de la terre admiratifs de leur père, mais dans ce cas précis et unique comme une marque d’obéissance au Père parlant à travers l’humble Joseph.

Ce dernier fut le gardien et l’éducateur du Pain du Ciel, ce qu’aucun autre homme n’a jamais reçu comme mission. Il n’était pas l’homme déconstruit et mou tant vanté par notre époque en dérive. Il était patriarche à la suite de tous les patriarches, et il commanda à la Mère de Dieu et au Fils de Dieu qui s’inclinèrent devant ses décisions lorsqu’il fallut fuir en Égypte ou en revenir pour s’installer à Nazareth. Dieu a obéi au travailleur Joseph. Joseph savait quelle était la nature de ce fils, et pourtant, il ne recula pas devant l’autorité qu’il dut exercer, avec humilité. Il a vraiment épousé la Très Sainte Vierge, mais comme Trône de la Sagesse, retrouvant en elle un silence identique à celui qui le hantait depuis toujours et qui l’avait préparé à accueillir le message de l’Ange.

Son vol d’aigle habitera toujours le ciel

Paul Claudel écrit magnifiquement : « Quand les outils sont rangés à leur place et que le travail du jour est fini,/Quand du Carmel au Jourdain Israël s’endort dans le blé et dans la nuit,/ Comme jadis quand il était jeune garçon, et qu’il commençait à faire trop sombre pour lire,/Joseph entre dans la conversation de Dieu avec un grand soupir./Il a préféré la Sagesse et c’est elle qu’on lui amène pour l’épouser./Il est silencieux comme la terre à l’heure de la rosée./Il est dans l’abondance et la nuit, il est bien avec la joie, il est bien avec la vérité » (Feuilles de saints, « Saint Joseph »). Tout homme, tout père de famille, tout époux, toute âme consacrée ne peuvent que trouver refuge dans le silence de l’atelier de Nazareth, à la suite du Christ, contemplant les gestes de Joseph, imitant son regard intérieur, travaillant avec une concentration identique, suivant son exemple pour rendre gloire à Dieu. Il est bon de se reposer à l’ombre d’un tel homme. Nul besoin d’en savoir davantage sur celui qui nous protège sans jamais avoir voulu occuper une première place. Sa présence rassurante suffit. Son vol d’aigle habitera toujours le ciel et planera jusqu’à la fin des temps sur la terre.