Il est bien périlleux d’écrire sur saint Joseph alors que les Saintes Écritures ne nous laissent guère d’informations à son sujet, sur son caractère et sa personne. Seulement qu’il était un « homme juste » (Évangile selon saint Matthieu 1, 19), de la lignée du roi David. Et qu’il est silencieux, qualité bien peu à la mode dans notre monde de bruit, de chaos, de rires hystériques, d’apostrophes grossières.
Son silence est à la mesure de sa justice. Pas simplement la justice selon la Loi mosaïque, mais une justice nouvelle, inégalée, car cet homme a déjà compris que la lettre de la Loi ne suffit pas et qu’il faut la transcender, l’accomplir en un détachement plus parfait. Avant d’être éclairé en songe par l’Ange au sujet de la conception surnaturelle de Jésus, il décida de répudier en secret cette vierge qui lui était promise car il ne souhaitait pas la diffamer et voulait s’effacer devant Dieu. Ce secret est le silence qui habite son cœur. Il ne sera jamais l’homme des déclarations pompeuses et des promesses publiques. Il accomplira tout dans le silence : le voyage à Bethléem, la fuite en Égypte, l’installation à Nazareth. Paul Claudel, inspiré, déclare : « Joseph entre dans la conversation de Dieu avec un grand soupir,/Il a préféré la Sagesse et c’est elle qu’on lui amène pour l’épouser./Il est silencieux comme la terre à l’heure de la rosée./Il est dans l’abondance et la nuit, il est bien avec la joie, il est bien avec la vérité./Marie est en sa possession et il l’entoure de tous côtés » (Feuilles de saints, Saint Joseph).
Gardien du Verbe incarné
Il reçut de Dieu une autorité à nulle autre pareille puisque le Fils et sa Mère lui furent confiés et que le Verbe incarné et la Femme des Douleurs lui durent obéissance terrestre. Mais cette obéissance fut bien douce car elle ne pouvait être autre de la part de ceux qui sont sans péché. Il n’empêche que tous les ordres de Joseph furent accueillis par l’un et par l’autre en reconnaissant la justice de ce père adoptif et de ce mari donné.
Nul doute qu’il fût surnommé déjà dans son village « Joseph le Juste ». Il éclaira ainsi la mission particulière du Joseph, fils de Jacob, qui garda en Égypte le pain naturel tandis que lui conserva le Pain surnaturel. L’écrivain Ernest Hello (1828-1885) précise : « Tous deux furent les hommes du mystère ; et le rêve leur dit ses secrets. Tous deux furent instruits en rêve, tous deux devinèrent les choses cachées. Penchés sur l’abîme, leurs yeux voyaient à travers les ténèbres. Voyageurs nocturnes, ils découvraient leur route à travers les mystères de l’ombre » (Physionomie de saints, Le voisinage de la gloire, Saint Joseph).
Le silence de Joseph
La nuit est silence et elle fut le séjour privilégié de Joseph, cherchant un refuge pour Marie en couches, sellant l’âne tout ensommeillé pour fuir l’orgueil d’Hérode. Cet homme est juste en chacun de ses actes car tout est pesé à l’aune de la volonté divine et non point en raison de ses préférences ou même de sa compréhension de la réalité. Il obéit comme Jésus et Marie lui obéissent. Cette obéissance est toute humilité, une humilité prodigieuse, gigantesque. Silence et humilité sont les piliers de sa justice.
La mort d’un juste
Des mystiques et des saints affirment que Joseph ressuscita et fut emmené au ciel. L’Église ne se prononça pas puisque rien, dans la Révélation directe, ne permet d’en être certain, mais elle est libre de reconnaître un jour son Assomption.
Saint Vincent Ferrier, Gerson, saint Bernardin de Sienne, le théologien jésuite François Suarez, saint François de Sales n’avaient quant à eux aucune réserve à ce sujet. La mort de ce juste a fait l’objet de bien des hypothèses et des scénarios : juste après l’épisode de Jésus retrouvé au Temple ; ou bien après la Résurrection du Christ ; ou encore juste avant le début de la vie publique de Notre-Seigneur. Cette dernière possibilité semble être la plus probable puisque la Très Sainte Vierge est invitée seule aux noces de Cana ; que Joseph n’est pas mentionné lorsqu’il est signalé à Jésus que sa mère et les siens Le cherchent ; et qu’enfin la Vierge des Douleurs est seule au pied de la Croix et lors de la Passion.
Mission accomplie
La mort de Joseph avant le début de la prédication du Christ est d’ailleurs le signe que cet homme a terminé de remplir sa mission : il ne pouvait mourir lorsque Jésus était jeune car alors, il aurait laissé la Mère et le Fils dans une situation matérielle difficile. Il devait amener l’Enfant jusqu’au terme de sa croissance en taille et en sagesse.
Tant de fois il le prit sur ses genoux, pour le bercer, puis pour lui enseigner ce qu’il connaissait de la Création alors qu’il tenait entre ses bras l’auteur de la Création. Et il lui apprit la scie, la hache et le rabot, et toutes les choses pratiques.
Le poète Claudel souligne qu’il regardait cet Enfant avec les yeux de la foi, plutôt qu’avec ceux de la chair : « Il est le Désir des collines éternelles, il est l’aboutissement du désir de tous les siècles jusqu’au Seigneur,/Maintenant plutôt qu’avec les yeux pour le voir, il préfère se servir de son cœur./Il le tient et il sait qu’à jamais cet Enfant de lui ne s’en ira pas./Plutôt que le regarder il l’écoute qui lui parle profondément avec le poids » (Visages radieux, Saint Joseph).
Plénitude divine
Ainsi Joseph était-il prêt, dès le début, à cette bonne mort dont il devint le saint patron. Il avait toujours vécu en compagnie de ce Fils qui est la Vie, ce Fils qui l’assista aussi dans ses derniers instants, qui recueillit son souffle et l’envoya aussitôt vers le Ciel, par un privilège inouï car ce père adoptif avait accompli en tout la tâche confiée.
La bonne mort est celle qui survient dans les bras de Dieu parce que l’âme est préparée, parce que l’abandon est confiant, parce que les angoisses se déchirent soudain pour laisser place à la plénitude divine. Une bonne mort n’est pas une mort « sans souffrance », une mort programmée sous tuyaux soudain débranchés ou avec une injection pour « mourir dans la dignité ». Une bonne mort est celle qui se laisse porter, comme Joseph dans les bras de Jésus, parce que la justice et l’humilité d’une vie gagnent la miséricorde divine. Saint Joseph le silencieux introduit les âmes dans la musique céleste.