Pourquoi l’image du Sacré-Cœur me renvoie-t-elle spontanément au village de mes parents, Santes, à proximité de Lille ? À cause d’une statue à l’entrée de ce village (voir ci-dessus), devant une ferme appartenant à des cousins. Il est vrai que, durant mon enfance, nous étions encore en pleine terre de chrétienté, toute la population fréquentant les deux églises, la plus récente vouée justement au Sacré-Cœur. Impressionnants d’ailleurs tous les témoignages de piété dispersés dans tous les quartiers, notamment le calvaire au milieu de la rue principale. Dans ce climat, on ne pouvait s’étonner que le Sacré-Cœur vous accueille, les bras ouverts, au sortir des champs, comme un témoignage de bienvenue.
Témoignage de gratitude
La protection divine était sur Santes ! D’ailleurs, le monument avait été érigé en 1946, au sortir de la guerre. Grâce au Ciel, les gens de la Libre Pensée ne disposent pas de la faculté de réclamer sa suppression à la puissance laïque. Il est construit sur un terrain privé, offert à la paroisse par de bons chrétiens. Surtout, il se rapporte à un événement bien précis. Des combats acharnés avaient eu lieu sur place au moment de la Libération. Et à la suite de tirs nourris de résistants du quartier, les Allemands avaient pris en otages les habitants des Provisoires, le secteur le plus déshérité du village. Il fallut l’intervention courageuse d’une personnalité bien connue de Santes, Jean Théry avec son fils Xavier, pour sauver ces braves gens au bout de longues heures de négociations. La statue du Sacré-Cœur correspondait à un témoignage de gratitude pour ce sauvetage providentiel.
Je me souviens d’avoir participé, enfant, à la procession annuelle qui allait de l’église Saint-Pierre au Sacré-Cœur. C’était toute une dévotion populaire qui s’exprimait à l’égard de celui qui était Rex et Centrum omnium cordium, « Roi et Centre de tous les cœurs », honoré aussi sous le vocable de « Sacré-Cœur de Jésus, roi des familles ». Sans doute, cette piété populaire correspondait-elle à une certaine sensibilité religieuse, qui fut critiquée par la suite. Mais il est, pour le moins, incertain, que son abandon ait signifié un gain théologique. C’est plutôt un dessèchement spirituel qui s’est produit avec la rupture des années 1960. Tout d’abord, la dévotion qui s’était amplifiée depuis la révélation du Cœur de Jésus à sainte Marguerite-Marie n’était nullement dépourvue de solides fondements scripturaires. Sur le socle de la statue de Santes, étaient sculptés les symboles de la Passion : trois clous posés dans un calice entouré de la couronne d’épines. Il y avait, bien sûr aussi, l’expression sculptée du Cœur de Jésus. Autant de références à la plus solide des mystiques.
Le secret du cœur
Le symbolisme du cœur est déjà présent chez les prophètes de l’Ancien Testament, dans un sens qui annonce peut-être la notion pascalienne. Les Pères de l’Église ont insisté sur l’effusion de l’eau et du sang venue du cœur transpercé. Et l’exégèse la plus contemporaine ne fait que renforcer les intuitions les plus fortes de la Tradition. Ainsi, dans leur récent et très précieux Dictionnaire Jésus, les dominicains de l’École biblique de Jérusalem peuvent montrer l’enracinement de la vision de sainte Marguerite-Marie : « Comme pour l’Agonie, les mystiques chrétiens ont perçu que le sens le plus profond de la Passion était dans cette apocalypse du secret habitant le siège de l’Amour du Sauveur. » L’auteur de l’article « Coup de lance » conclut sa réflexion par une citation d’une sainte qui précède la mystique de Paray-le-Monial, Catherine de Sienne : « J’ai voulu vous révéler le secret du cœur, en vous le faisant voir ouvert, pour que vous compreniez bien qu’il vous aimait bien plus que je n’avais pu vous le dire… »
La foi et la piété de nos parents reflétaient l’enseignement le plus concret et le plus véridique de Jésus Sauveur.