René Bazin, l’imagier de la foi - France Catholique
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Aumôniers militaires : servir les âmes et les armes
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René Bazin, l’imagier de la foi

Le ciel de Bazin plonge ses racines dans la terre de France qu’il a tant aimée. Une œuvre à redécouvrir au moment où l’on adapte au cinéma son chef-d’œuvre, Magnificat.
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Plus de vingt romans, six recueils de nouvelles et des récits de voyages, des biographies qui s’élèvent à l’apologétique, des poèmes et des articles, des écrits de toute nature… Voilà l’œuvre – considérable – de René Bazin. Mais que sait-on aujourd’hui de cet écrivain si renommé en son temps qu’il siégea parmi les Immortels, occupant à l’Académie française le fauteuil n° 30 qui fut, avant lui, celui de Louis de Bonald et, plus tard, de Maurice Druon ? Avouons-le : plus grand-chose.

Dieu et la France

Quand on le cite, c’est souvent au sujet de sa correspondance avec Charles de Foucauld, dont il rédigea la biographie alors que l’ermite de Tamanrasset était encore peu connu. À Bazin qui l’interroge sur le destin de la France en Algérie, l’ancien officier répond, avec la clairvoyance du futur saint : « Si nous n’avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu’ils deviennent Français est qu’ils deviennent chrétiens. » Ce bref extrait résume à grands traits les préoccupations que partageait René Bazin avec le saint : Dieu et la France.

Au physique, Bazin était de petite taille, longue moustache, col cassé, complet bleu marine, « sans rien dans l’apparence qui retînt le regard, écrit Maurice Genevoix. Mais un mot, en mon for intérieur, fixa d’emblée mon impression et le sentiment que j’en ai gardé depuis : clarté ». Une clarté « révélatrice d’une âme fervente merveilleusement accordée au monde qui nous est donné ; au monde visible, au monde divin ».

À des années de distance, l’écrivain Henry Bordeaux en dresse un autre portrait, alors que René Bazin est cloué au lit par la maladie qui allait l’emporter : « le visage aussi blanc que les draps du lit », les traits creusés, il le trouve détaché de tout, comme « au seuil d’une autre demeure ». Pourtant, Bazin saisit sur la table de chevet une cigarette et l’allume. Avant de rappeler à Bordeaux la façon dont mourut Antonio de Oquendo. Cet amiral du Siècle d’or espagnol, mourant de fièvre et dévoré de soif, supplie qu’on lui apporte un verre d’eau, l’approche de ses lèvres, le regarde et renonce à le boire : « Je l’offre à Dieu », dit-il en expirant. « Et moi, ajouta René Bazin avec un pâle sourire, je n’ai pas encore renoncé à la cigarette… »

Voici ce qu’était l’homme. Conscient de ses menues faiblesses mais aspirant tout entier à Dieu. Et l’écrivain à l’image de l’homme : catholique de bout en bout. Depuis ses premiers romans, consacrés à cette terre de France qu’il dépeint toujours d’une plume délicate, jusqu’à son chef-d’œuvre, Magnificat, aujourd’hui porté à l’écran : l’histoire belle et sainte d’un jeune paysan breton qui, se dépouillant de tout ce qu’il aime et qui l’enchaîne, choisit d’écouter sa vocation et d’épouser le sacerdoce.

Voici son œuvre, qui conduit naturellement ses lecteurs de la terre au Ciel, car le ciel de Bazin plonge ses racines dans la terre qu’il a tant aimée – mais peut-il en être autrement ? – et l’on songe à l’Angélus de Millet. « La sainte terre, la terre sacrée, la terre bénie, qui ressuscitera au dernier jour puisqu’elle est faite essentiellement de la cendre de nos pères endormis, René Bazin l’admire devant nos yeux. Il est en réalité le romancier de la terre qui vit », écrit joliment François Mauriac, qui compare aussi son œuvre à celle des grands paysagistes français et hollandais.

René Bazin était chasseur : il aime courir les champs et les forêts. C’est un besoin qu’il tient de son enfance et, au-delà, de ses ancêtres. L’un fut lieutenant de Stofflet. Il combattit en Vendée « Où les vaincus furent si grands/Que l’histoire s’est demandé/Comment choisir entre leurs rangs./Parmi ceux qu’elle immortalise/Notre aïeul ne fut pas compté/Mais comme il défendait l’Église/Je tiens au nom qu’il a porté », écrira plus tard René Bazin. Un autre était « planteur en chef des forêts du roi ».

Les bois pour horizon

Né à Angers le 26 décembre 1853, c’est dans la campagne angevine que René Bazin passa ses premières années, en raison d’une faible constitution qui lui fit recommander le grand air : « Je travaillais assez peu le De viris illustribus, mais j’apprenais ce qui ne s’enseigne pas : à voir le monde indéfini des choses et à l’écouter vivre. Au lieu d’avoir pour horizon les murs d’une classe ou d’une cour, j’avais les bois, les prés, le ciel qui change avec les heures et l’eau d’une mince rivière qui changeait avec lui. […] Je me rappelle qu’à certains jours, mon âme débordait de joie, et qu’elle était alors si légère qu’elle me paraissait prête à s’échapper et à se fondre dans l’espace » (Contes de bonne Perrette, 1897).

Une saine éducation

Un paysagiste, mais mieux que cela : un imagier. Le mot est de Georges Duhamel, dans son éloge à l’Académie française, en 1936. Car l’image, à la différence de la peinture de chevalet, enrichit les pages d’un livre ou les murailles d’un temple : « Elle explique et parachève […]. Elle sert une cause dont elle accepte l’empire. Parce que son œuvre est tout entière soumise à une telle cause, René Bazin apparaît à mes yeux plus souvent un imagier qu’un vrai peintre. Il est imagier de la foi. » Une foi que ses parents lui auront transmise et qu’il aura cultivée au collège Mongazon d’Angers, « une maison où la religion, le sens commun et le latin tiennent les trois premières places », dira-t-il ensuite. L’assurance d’une saine éducation.

C’est donc en étudiant Virgile et saint Augustin que René Bazin apprivoisa le français et poliça son style – « ce doux parler de France», disait-il. Il s’en souvint quand, lors du millénaire de l’abbaye de Cluny, il remercia « l’Ordre bénédictin pour tant de mots français qu’il a préservés dans leur source latine » (discours prononcé au nom de l’Académie française, 1910). Il en profita pour célébrer aussi l’œuvre civilisatrice des abbés de Cluny qui servirent en même temps Dieu, Rome et la France car « c’était la culture latine et déjà l’esprit de France qu’ils répandaient à travers le monde » par les 2 000 monastères qu’ils avaient essaimés en Europe.

Portant sur la terre un regard aimant, René Bazin ne pouvait qu’avoir de la tendresse pour ceux qui la travaillent. C’est aux humbles qu’il s’intéresse dans ses romans, avec la charité de celui qui n’a jamais cessé de les côtoyer, même s’il fit aussi carrière à Paris. « Il est le romancier des cœurs profonds, de la vie populaire, qu’elle se passe aux champs ou dans les fabriques », précise Henry Bordeaux. Il les saisit dans le cadre de leur labeur, dans leurs devoirs domestiques – ce que saint François de Sales appelait « le fuseau et la quenouille » : René Bazin nous fait « entendre le bruit des fuseaux ».

Mais on se tromperait en croyant que le temps s’écoule dans ses romans comme un fleuve tranquille. La terre qui meurt (1899) est le récit douloureux des champs abandonnés, Les Oberlé (1901) le chant d’une Alsace nostalgique de la mère patrie. « La souffrance, la détresse humaines y sont encloses, mais avec de l’espérance. Car il y a chez René Bazin la foi qui console et qui vivifie », résume Henry Bordeaux. « Autour de la tendresse et du respect qu’il a des humbles rayonne toujours le souvenir de l’atelier de Nazareth », conclut un autre académicien, André Chaumeix.

Le goût de la discrétion

Ses adversaires – il en eut – l’ont parfois décrit comme un écrivain doucereux, « un auteur de tout repos » parce qu’il portait sur les hommes un regard charitable. Il a souffert de cette médisance, car il n’y a chez lui rien de fade, ni de frelaté. Simplement, ses drames restent intimes. Il a le don des passions et le bon goût de la discrétion.

Mais René Bazin, chrétien complet, catholique assumé, n’était pas un tiède. Il savait aussi rendre les coups en un temps où la République, en guerre contre l’Église, chassait les congrégations de France. Un jour, un candidat à l’Académie française vient le visiter dans l’espoir de gagner son soutien. « Monsieur, vous n’aurez pas ma voix, lui répond-il, pour trois raisons : je ne juge pas votre œuvre littéraire suffisante ; vous êtes l’un des adversaires de l’Église les plus agissants ; vous avez meurtri mon cœur paternel en obligeant ma fille religieuse à s’exiler. » L’histoire n’a pas retenu le nom de ce malheureux candidat. Dieu élève les humbles et disperse les superbes. 


Site de l’Association des amis de René Bazin : https://siterenebazin.wordpress.com/lassociation/